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Les anglo-français de petite vénerie

Pourquoi avoir inventé l'Anglo-Français de petite vénerie ? Certains s'en étonnent. La réponse est que cela s'imposait pour divers motifs.

Quelles sont les races françaises strictement de petite vénerie et aussi de chasse à tir, ce qu'il ne faut pas oublier ? Voyons la carte de France d'un coup d'œil circulaire. Au nord, le Briquet d'Artois ; dans la province voisine, le Normand (étiqueté à tort Artésien-Normand) ; l'Ouest présente le Briquet vendéen ; au sud-ouest, le Petit Bleu de Gascogne ; au sud, l’Ariégeois ; au sud-est, le Porcelaine. Tels sont, parmi les chiens spécialisés pour la chasse au lièvre, ceux qui ont été ou peuvent être appelés à se croiser avec les Harriers. Il est entendu que, de ces derniers, seuls le Modern Harrier et celui du Somerset sont en cause.

Chacun sait la triste aventure du chien d'Artois, aussi intéressant pour le veneur que pour le porteur de fusil. Parce que sa tête carrée et ses oreilles plates choquaient la vue d'un amateurisme peu réfléchi, on le transforma par croisement avec son voisin le Normand. Voisinage géographique uniquement, parce que rien, ni au moral, ni au physique, ne les rapprochait. Les rares unions entre Artésien et Anglais ont donné, au premier degré tout au moins, des chiens un peu violents, que n'aimait pas le bon veneur qu'était M. Levoir, mais des chiens très ardents sur le sanglier.

Ceux qu'on désigne actuellement sous le nom d'Artésiens-Normands, dont la taille va taper les 0m,60, sont, en réalité, des Normands par leur extérieur et leur psychologie. Quand on a vu qu'ils n'étaient pas assez perçants pour prendre et même dépourvus d'assez de décision pour la chasse à tir, on les a croisés avec le Modern Harrier. Pas assez malheureusement, car telle était la bonne méthode pour améliorer leurs tissus, les délivrer d'un excès de poids et leur communiquer une hardiesse dont ils étaient dépourvus. Tant il y a que les représentants de la race n'encombrent ni les chenils, ni les bancs d'exposition. Loin de s'indigner donc de l'alliance anglaise en ce qui les concerne, il faudrait, au contraire, s'en féliciter. Demeure-t-il assez de ces chiens pour que cette opération salvatrice soit à même de garantir un avenir ? C'est bien douteux. On est parti trop tard dans la voie des réformes, et c'est cela qu'il faut déplorer.

Il n'y a pas tant d'années, le Briquet Griffon vendéen comptait de nombreux représentants. Ce beau temps n'est plus. Le Basset de 0m,40, sensiblement de mêmes train et aptitudes, leur a fait grand tort. La réduction de ses effectifs a provoqué les alliances consanguines sans trêve ni merci, et on en est actuellement aux retrempes. On a opéré des croisements avec le Porcelaine, augmentant la taille. S'ils ont donné de bons chiens, ils ne semblent pas avoir produit des animaux de physique bien homogène. Depuis cinquante ans, le Porcelaine a connu divers croisements, tous honorables, mais qui ne le mettent pas à l'abri des variations. Il n'y a donc pas lieu d'être surpris. La retrempe indiquée du Briquet vendéen était le Harrier du Somerset. Aisée à obtenir avant 1939, elle n'est plus de réalisation facile, mais on ne semble pas s'en être beaucoup soucié au temps où elle l'était. Ce Harrier, très admiré dans le Sud de la Grande-Bretagne, apportait au Briquet vendéen sa tenue dans le change, ses vertus de chien d'ordre qui venaient tempérer la fougue de notre Briquet, sans en modifier la formule somatique, ni nuire à sa résistance et à sa passion de la chasse. Ce Harrier, que distinguent la finesse de nez et un tempérament très chasseur, a servi en France à diverses retrempes dont il n'y a eu qu'à se féliciter.

Nos chiens méridionaux de petite vénerie ont très peu connu les croisements anglais. Les sportsmen de ces provinces ont certainement de bonnes raisons à présenter pour avoir conservé à l'état de pureté Petits Bleus de Gascogne et Ariégeois. Il faut, pour chasser sur la pierraille des Pyrénées et les sables des Landes, des chiens d'une finesse de nez exceptionnelle. Mais les amateurs pratiquant en latitudes plus nordiques, où les voies sont meilleures, pourraient, en alliant le Petit Bleu de Gascogne et le Harrier de même robe, obtenir des Anglo-Français bien définis et aisément classés comme variété. Avant la dernière guerre existaient en Grande-Bretagne quelques équipages composés de Harriers bleus dont certains avaient du sang de Gascogne. La production serait donc homogène, composée de chiens plus rapides que ne sont les purs Français, par conséquent adaptés aux goûts pour les chiens vites, désirés en beaucoup de régions autres que méridionales. À titre de renseignement, disons que les États-Unis possèdent également un courant bleu de taille réduite dont le type rappelle singulièrement les Harriers bleus dont la physionomie est la plus gasconne.

Si l'Ariégeois a été quelquefois uni au Gascon, opération qui ne s'imposait pas, il a été bien rarement produit d'Anglo-Ariégeois, entreprise qui n'était pas très indiquée. Les Ariégeois authentiques que j'ai vus sur le terrain m'ont paru, en effet, avoir beaucoup plus de perçant que leurs voisins Gascons et convenir, par conséquent, aux sportsmen peu emballés sur les chiens très scrupuleux de la voie là où ceux-ci ne s'imposent pas. Il est dommage que ces deux races méridionales ne soient pas représentées par des effectifs plus importants, car leurs qualités remarquables, leur distinction mériteraient de leur valoir une clientèle étendue. Et, encore une fois, les amateurs d'Anglo-Français destinés au courre du lièvre pourraient en obtenir de parfaits auxiliaires, dont un des mérites serait d'être autre chose que ces demi-sang mal définis dont nous sommes redevables aux malheurs des temps.

Le Porcelaine a connu, durant le premier quart du siècle et les dernières années du siècle précédent surtout, une très grande popularité. Avant la guerre de 1914, l'Ouest avait été complètement conquis par cette excellente race. À vrai dire, elle avait été croisée durant la dernière décade du XIXe avec le Harrier du Somerset, croisement réussi dont le mérite fut de ne pas laisser d'autres traces que celles désirées : santé et structure améliorées. Malheureusement, d'autres croisements survinrent, dont le dernier avec une lice Chambray, peu avant la première guerre, qui donnèrent aux produits taille et volume excessifs pour des chiens à lièvre. Il eût fallu s'en tenir à l'alliance anglaise et aux chiens de 0m,50 à 0m,55 en provenant. Dans mon arrondissement existaient, au temps de l'apogée de la race (qu'il faut bien dire, dès alors, Anglo-Porcelaine), une centaine de représentants. Quelques années après 1918, tout avait disparu, personne ne s'intéressant aux forts chiens de 0m,60 et plus. Après cette épreuve, on voit avec plaisir renaître l'Anglo-Porcelaine, maintenant pourvu d'un statut officiel. Un très bel équipage de ces chiens a connu aux expositions de l'Ouest, ces dernières années, des succès mérités. On sait, en outre, ses qualités sur le terrain. On ne peut que se réjouir d'une renaissance suivant une période d'obscurité qu'un peu de réflexion eût évitée.

En résumé, nos races spécialisées dans le courre du lièvre ont été toutes plus ou moins alliées avec les deux races de Harriers seules connues en France. Ces croisements bien dosés s'imposaient au moins pour le chien Normand et le Porcelaine d'il y a soixante ans, l'un et l'autre manquant de train pour prendre régulièrement. La faiblesse des effectifs peut les imposer à d'autres races, telle Briquet vendéen, pour lequel il est à préférer. Enfin, nos deux races du Midi, alliées aux Harriers qui leur conviennent, feraient d'excellents Anglo-Français pour les régions où ils sont appréciés.

L'essentiel est de ne point se livrer aux croisements touffus entre un grand nombre de races. Dans un tel maquis, impossible d'obtenir une production homogène. C'est justement que la Société de vénerie a déconseillé l'Anglo-Français, indéfinissable en vertu de la complexité des origines. Si les circonstances le permettent, tâchons donc d'éliminer cette production panachée dont nous sommes moins responsables que ne le sont les événements qui l'ont imposée.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 16