Grand vainqueur à Paris de ton ultime et décisive rencontre
canine, les marches du trône de champion s'ouvrent devant toi. Te voilà muni du
plus alléchant certificat prénuptial qu'on puisse rêver. Tout un harem de
reines de beauté n'aspirent qu'à ton amour.
Cependant bien des parents ne veulent pas d'un gendre
inutile et désirent, avant de donner leur consentement, connaître ton
savoir-faire. Cependant tu ne pourras gravir les marches de ton piédestal
qu'après avoir donné des preuves de qualité.
Il ne suffit pas de prendre des poses avantageuses sur
une planche. Il faut battre le terrain. Il faut chasser. Il faut pister ou
humer l'air, le nez au vent, selon ta spécialité. Il faut galoper ... mais
il faut être prudent et silencieux si tu es couchant. Il faut, au contraire,
foncer sur le gibier et le poursuivre à grand bruit si tu es courant.
L'épreuve de travail avant l'attribution définitive du titre
de champion est théoriquement une excellente précaution. Est-ce une garantie
sérieuse ? J'en doute.
D'abord, parce qu'il suffit d'une note bien moyenne au
concurrent.
Ensuite, parce que je ne crois pas qu'il y ait des jurys — à
moins d'une nullité absolue et trop criante du chien — qui aient le cœur
assez inhumain pour ne pas reconnaître que le candidat champion possède des
qualités naturelles assez honorables. Comment avoir la cruauté ... et
l'indépendance nécessaires pour priver une race de son champion annuel, pour
une petite affaire de rien ... alors qu'il est si facile, avec de
l'indulgence, de lui donner une note un tout petit peu supérieure.
Eh bien ! j'avoue que, si je suis partisan de la plus
grande sévérité, j'admets fort bien que, dans la circonstance, le jury soit
bien inspiré en accordant la note nécessaire.
Et voici pourquoi un champion manqué va continuer à
s'exhiber dans les expositions et il va peut-être ainsi barrer la route à un
chien qui, sans lui, pourrait être champion et un champion complet. Il est donc
encore préférable de sacrer champion un chien qui ne le mérite pas que
d'écarter un vrai champion. On se débarrasse d'un inutile dans l'espoir d'en
trouver un bon.
Je puis citer le cas d'un beau terrier à poil dur, importé,
certainement pour un très gros prix à l'époque. Dans toutes les expositions où
il se présentait — d'ailleurs fort bien, — il glanait des C. A. C.
Il obtint naturellement celui de Paris. C'était une très jolie statue ...
Mais il manquait vraiment de vie et ne semblait pas du tout avoir le caractère
terrier.
Dès le lendemain de son triomphe dans le ring, il prit part
à un concours au terrier artificiel. Lorsqu'on lui montra la gueule du terrier,
il recula avec épouvante. Sa maîtresse l'introduisit malgré lui dans le trou.
Elle le poussa vigoureusement, aussi profondément qu'elle le put. Mais, dès
qu'elle cessa cette poussée en avant, bien vite le fox revint à l'air libre.
Après plusieurs tentatives infructueuses, il était évident que son inaptitude
était trop absolue et qu'il ne pouvait pas obtenir la note suffisante.
L'année suivante, il reparaissait en classe ouverte partout et
à Paris ...
S'il récoltait encore le premier prix et le C. A. C.,
ça y était ! Pour la seconde année, il n'y aurait pas de champion, par la
faute de ce futur champion inapte. Et il s'en est fallu de bien peu.
J'assistais ce jour-là à sa présentation, de même que j'avais été témoin
l'année précédente et de sa victoire sur la planche et son attitude négative au
terrier. Le juge hésita bien très longtemps entre lui et son concurrent direct.
Le juge était cet excellent et regretté de La Chomette, et, comme il était
connaisseur, diplomate et humoriste ..., je crois bien qu'il était moins
hésitant qu'il ne paraissait l'être et qu'il s'amusait énormément de la
situation. Il tenait les exposantes et le public en haleine ! Il
prolongeait l'émotion et le supplice des deux dames. Pour tous ceux qui
connaissaient la rivalité terrible qui existait entre elles, le spectacle était
très drôle ; aucun spectateur ne songeait à se plaindre et à s'étonner de
la lenteur du juge. Chaque dame était accroupie aux côtés de son chien. Elle
rectifiait les aplombs, le port de la tête et de la queue, tout en lançant à la
dérobée un regard de défi à la concurrente ... pendant que le juge
mâchonnait le tuyau de son inséparable pipe, tout en tournant doucement autour
de ce groupe fémino-canin.
Finalement l'impossible champion fut battu par un chien qui,
lui, méritait bien d'être champion. Plus d'ossature, encolure moins grêle et
mieux portée, et un tempérament terrier remarquable. C'était un chien complet.
Le terrier artificiel pour lui n'était qu'un jeu. Il opérait réellement à la
vraie chasse sous terre. Il y avait même perdu une dent dans la bataille et,
lorsqu'il retroussait les babines, il montrait un magnifique croc en or.
Un chien qui n'a manqué le championnat que parce qu'il était
absolument inapte au travail ne devrait plus pouvoir reparaître en classe
ouverte et risquer de barrer la route à un chien susceptible d'être champion.
Puisque l'épreuve — cependant indispensable — pour
recommander des chiens à la fois beaux et bons n'est pas une garantie
suffisante, existerait-il une garantie plus sûre ?
Incontestablement oui.
L'amélioration des races dites d'utilité ne consiste pas
uniquement à produire de beaux tableaux, mais aussi et surtout des chiens les
plus aptes possible à leur destination.
Pour les utilisateurs, ce qui compte avant tout, c'est la
qualité. Pour les vrais amateurs, ce qu'ils recherchent, c'est la qualité
alliée à la beauté.
Cela admis, si vous voulez faire de la sélection complète et
sérieuse, pourquoi ne pas faire l'épreuve de travail avant le concours de
beauté ?
Avant ou après, cela revient au même, direz-vous.
Pas du tout.
Parce que vous pourrez alors ne laisser concourir pour le C. A. C.
que les seuls chiens ayant obtenu leur brevet d'aptitude au travail. Si, au point
de vue morphologique, le chien C. A. C. n'est pas la perfection, vous
aurez au moins la certitude qu'il a des qualités de travail. Ce ne sera
peut-être pas un grand, un vrai champion, mais il aura au moins le mérite de
n'être pas nuisible à la race.
Et, pour cela, il suffirait tout simplement de décider que
désormais les C. A. C. ne pourraient être proposés que dans les
classes de travail, au lieu de l'être dans les classes ouvertes.
Paul DAUBIGNÉ.
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