La 15e Olympiade est commencée dans le
féerique décor des sports d'hiver à Oslo : neige, glace, préludant au
soleil de minuit qui nous guettera, en juillet-août, à Helsinki (Finlande).
En route donc pour le serment, la parade, la rencontre
d'éléments venus de tous les pays du monde, y compris (pour le cyclisme) les
antipodes, y compris ceux de nos voisins qui négligent depuis un temps les
Championnats du monde annuels, y compris les moindres parcelles indépendantes
perdues de par le globe.
Le sport a l'avantage d'être universel. Il n'est sans doute
aucune autre activité susceptible d'étaler une aussi heureuse conception de la
vie.
Jaunes, noirs ou blancs, nordiques, centraux ou sudistes,
tous peuvent se rencontrer sans qu'il en résulte autre chose que le plaisir de
l'avoir fait.
Ce qui précède conditionne un sport pur. Les Jeux olympiques
offrent cet aspect. Ils ont, pour le défendre, des dirigeants obstinément
accrochés aux rivages d'une tradition qui, un jour, risquerait de ne plus être
un havre de salut si l'on ne se souciait d'adapter aux coutumes d'un autre âge
celles des temps plus que présents, c'est-à-dire futurs.
Je laisserai de côté le soin de critiquer les Jeux
olympiques ou de les encenser. Je ne regrette qu'une chose : qu'ils ne
réunissent pas les meilleurs athlètes du monde, mais seulement ceux qui ont les
moyens (directs ou indirects) de se déclarer amateurs pour autant que durera ce
mot et, surtout, de passer des semaines ou des mois en un voyage qui ne peut
être autrement que d'agrément.
* * *
Le cyclisme (tenez-vous bien, ceux des sports de base :
rien dans les mains, pas de poche, pas d'instrument) est le sport qui,
proportionnellement, brilla le plus aux Jeux olympiques en ces dernières années ;
ce qui n'implique point que grâce lui en soit particulièrement rendue (encore
qu'un ministre déclarait récemment au président de la Fédération française :
« Pour la France, vous continuerez de gagner »).
En vrai, notre palmarès est le suivant :
1896, Athènes. — 100 kilomètres : Flameng. 2 et 10
kilomètres : Masson. Tour de piste : Masson.
1900, Paris. — Vitesse : Taillandier.
1906, Athènes. — Route : F. Vast.
1908, Londres. — Tandems : Schilles-Offray.
Vitesse : Schilles.
1920, Anvers. — Route par équipe : France
(Canteloube, Detreille, Souchard, Gobillot).
1924, Paris. — Route : Blanchonnet. Par équipe :
France (Blanchonnet, Hamel, G. Wambst, Leducq). Vitesse : Michard.
Tandems : Cugnot-Choury.
1928, Amsterdam. — Vitesse : Beaufrand.
1932, Los Angeles. — Tandems : Chaillot-Perrin.
1936, Berlin. — Poursuite : France (G. Lapébie,
Goujon, R. Charpentier, Le Nizerhy). Route : Charpentier. Route par
équipe : France (R. Charpentier, G. Lapébie, Dorgebray).
1948, Londres. — Poursuite : France (Adam, Blusson,
Coste, Decanali). Route : José Beyaert. Kilomètre : Jacques Dupont.
Elles sont curieuses, les victoires olympiques, et très
difficiles à obtenir, parce que le rythme habituel de la course cycliste s'en
trouve généralement contrarié par le programme olympique, par les coutumes du
pays où s'exécute l'épreuve, par des présences insoupçonnables de coureurs plus
ou moins bien doués ou équipés.
* * *
Je n'ai pas encore perdu le souvenir du « kilomètre »,
à Londres, en 1948, où notre merveilleux athlète Jacques Dupont dut satisfaire
à des heures d'attente sur une pelouse de vélodrome (que la nuit finit par
envahir) avant que de subir tant de faux départs que nous fûmes sur le point de
crier : « Assez ! »
Dupont devint champion olympique parce qu'il était de
tellement loin le meilleur que ni le vent qui se levait, ni la nuit qui
l'enveloppait, ni les alternances de départs déconcertants ne réussirent à
combler le trou qui existait entre lui et ses suivants, parmi lesquels des
coureurs de valeur (et d'autres dont certains montaient à vélo l'abdomen
reposant sur le guidon).
La montée des couleurs et la présentation n'avaient pu se
dérouler correctement parce que, derrière Dupont, il restait à courir la finale
des tandems, parce que, aussi, les cérémonies officielles sont surtout prévues
au « stade olympique », dont les prérogatives sur les vélodromes
demeurent entières.
Ah ! cette finale des tandems ! C'est à peine si
nous pûmes en distinguer les vainqueurs ... Un tour de plus, et les
équipes disparaissaient sous le tunnel de la nuit pour le fameux combat de
nègres ...
Encore n'avions-nous tremblé qu'au nom d'un sentiment de
danger parfaitement compréhensible, sans que pointe le bout de l'oreille du
nationalisme. C'étaient des Italiens et des Anglais ... les meilleurs du
moment.
Dans la grisaille des demi-finales, les nôtres, Faye et Dron,
n'avaient cueilli qu'une troisième place.
* * *
En vitesse, Jacques Bellenger n'avait pas encore atteint à
la classe internationale et il n'exista pas.
* * *
La course poursuite avait été dramatique.
À trois tours de la fin, l'équipe française et l'équipe
italienne sont sur la même ligne. Decanali mène un tour à fond et se relève !
Émotion ... Ce n'est qu'une tactique, car un Italien lâche aussi ...
Nous fermons les yeux ... Alors Adam, Blusson, Coste, soudés, collés
(l'homme relevé se replaçant en queue comme si un aimant l'y contraignait),
sont à plat ventre ... Les Italiens aussi, qui demeurent les favoris ...
Tout à coup, crac ! Ces derniers se désunissent,
roulent à 20 mètres l'un de l'autre ...
Descendus en flammes à la seconde suprême, pour n'avoir pas
su s'étriper comme les Français ...
L'équipe tricolore passe la ligne au coude à coude dans un
tonnerre d'acclamations ...
Mais vainqueurs et vaincus sont exténués, il faut emmener
les uns et les autres ... Ils ne respirent plus, ils sont livides ...
Statufiés vivants sur la pelouse, nos quatre Français
apparaissent cependant bientôt comme de merveilleux athlètes moulés aux
couleurs de France.
La Fédération avait convié à dîner le soir même les
vainqueurs olympiques de la poursuite : Adam, Blusson, Coste, Decanali,
quelques journalistes français et deux ou trois dirigeants, en un restaurant
chic de Londres (d'essence française).
À l'heure du Champagne, il nous fallut boire à la coupe,
après avoir bu de doctes paroles présidentielles.
Ça manquait de musique.
Alors Baker d'Isy eut une inspiration qui me mit en sueur
dans la seconde :
— Chesal va nous chanter La Marseillaise ...
Je me levai et entonnai l'hymne national le moins mal possible.
Aux premières strophes, tous les dîneurs de la salle se
levèrent, se découvrirent et écoutèrent mes couplets au garde à vous.
Certains reprirent le refrain avec moi, puis d'autres, puis
tous. Français, Anglais, que sais-je !
Mes notes chaotiques ayant valu tous les flonflons d'une
fanfare, il restait à monter les couleurs.
À quoi bon ...
« Vive la France ! » criait-on de toutes
parts, cependant que notre table, véritable territoire français, connut un doux
envahissement ...
* * *
José Beyaert et ses compagnons de l'équipe de France : Rouffeteau,
Moineau, Dupont, formidables vainqueurs dans le parc de Windsor, connurent sous
les frondaisons les honneurs les plus recherchés : présence du duc d'Édimbourg,
musique de l'Armée, sonneries officielles, oriflammes déployées.
Le duc en personne avait, pendant la course, visité les
campements et s'était fort intéressé à la confection des musettes et des bidons ;
amusé, aussi, aux reparties des soigneurs et à leur débrouillardise ...
car, ce jour-là, le « ravitaillement au vol » avait été organisé
suivant les règles d'un art insoupçonné ...
Aucun coureur n'avait loupé la musette ... il en avait
plutôt deux dans les bras qu'une.
Le sprint de José Beyaert laissera longtemps son empreinte
dans les annales de la course olympique sur route. Sa façon, aussi, de saluer
et remercier le duc d'Édimbourg de ses compliments.
On se serait cru à la cour.
* * *
À Helsinki les cyclistes français seront assez dépaysés. Le
circuit routier réservera des surprises à ceux qui n'auront pas d'excellents
boyaux.
Il mesurera 10km,600 à parcourir dix-huit fois
pour un total de 190km,800 durant lesquels la dénivellation de
terrain sera de 1.620 mètres, soit 90 mètres au tour.
Le village olympique ne sera distant que de 4 kilomètres du
circuit routier, un même nombre de kilomètres le séparant du vélodrome (piste
de 400 mètres).
Le régime, enfin, sera l'une des questions primordiales, et
il est à penser que nous n'emporterons pas que des maillots tricolores, des
casquettes, des bidons et des boyaux, mais aussi les denrées les plus variées
et les moins périssables, qui laisseront à nos sélectionnés une image aussi
exacte que possible d'une cuisine française.
* * *
Moins d'un mois plus tard, les mêmes (ou leurs remplaçants,
s'ils ont flanché) courront les championnats du monde organisés par la
Fédération du Sport Cycliste Luxembourgeois pour la conquête du maillot
arc-en-ciel, valable un an, cependant que le maillot olympique peut offrir à
son auteur les honneurs de l'attribut aux anneaux durant une olympiade, s'il
reste amateur.
... Le mot qui « fait rire » en 1951.
René CHESAL.
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