Accueil  > Années 1952  > N°659 Janvier 1952  > Page 26 Tous droits réservés

Nos cyclistes aux jeux olympiques

La 15e Olympiade est commencée dans le féerique décor des sports d'hiver à Oslo : neige, glace, préludant au soleil de minuit qui nous guettera, en juillet-août, à Helsinki (Finlande).

En route donc pour le serment, la parade, la rencontre d'éléments venus de tous les pays du monde, y compris (pour le cyclisme) les antipodes, y compris ceux de nos voisins qui négligent depuis un temps les Championnats du monde annuels, y compris les moindres parcelles indépendantes perdues de par le globe.

Le sport a l'avantage d'être universel. Il n'est sans doute aucune autre activité susceptible d'étaler une aussi heureuse conception de la vie.

Jaunes, noirs ou blancs, nordiques, centraux ou sudistes, tous peuvent se rencontrer sans qu'il en résulte autre chose que le plaisir de l'avoir fait.

Ce qui précède conditionne un sport pur. Les Jeux olympiques offrent cet aspect. Ils ont, pour le défendre, des dirigeants obstinément accrochés aux rivages d'une tradition qui, un jour, risquerait de ne plus être un havre de salut si l'on ne se souciait d'adapter aux coutumes d'un autre âge celles des temps plus que présents, c'est-à-dire futurs.

Je laisserai de côté le soin de critiquer les Jeux olympiques ou de les encenser. Je ne regrette qu'une chose : qu'ils ne réunissent pas les meilleurs athlètes du monde, mais seulement ceux qui ont les moyens (directs ou indirects) de se déclarer amateurs pour autant que durera ce mot et, surtout, de passer des semaines ou des mois en un voyage qui ne peut être autrement que d'agrément.

*
* *

Le cyclisme (tenez-vous bien, ceux des sports de base : rien dans les mains, pas de poche, pas d'instrument) est le sport qui, proportionnellement, brilla le plus aux Jeux olympiques en ces dernières années ; ce qui n'implique point que grâce lui en soit particulièrement rendue (encore qu'un ministre déclarait récemment au président de la Fédération française : « Pour la France, vous continuerez de gagner »).

En vrai, notre palmarès est le suivant :

    1896, Athènes. — 100 kilomètres : Flameng. 2 et 10 kilomètres : Masson. Tour de piste : Masson.

    1900, Paris. — Vitesse : Taillandier.

    1906, Athènes. — Route : F. Vast.

    1908, Londres. — Tandems : Schilles-Offray. Vitesse : Schilles.

    1920, Anvers. — Route par équipe : France (Canteloube, Detreille, Souchard, Gobillot).

    1924, Paris. — Route : Blanchonnet. Par équipe : France (Blanchonnet, Hamel, G.  Wambst, Leducq). Vitesse : Michard. Tandems : Cugnot-Choury.

    1928, Amsterdam. — Vitesse : Beaufrand.

    1932, Los Angeles. — Tandems : Chaillot-Perrin.

    1936, Berlin. — Poursuite : France (G. Lapébie, Goujon, R. Charpentier, Le Nizerhy). Route : Charpentier. Route par équipe : France (R. Charpentier, G. Lapébie, Dorgebray).

    1948, Londres. — Poursuite : France (Adam, Blusson, Coste, Decanali). Route : José Beyaert. Kilomètre : Jacques Dupont.

Elles sont curieuses, les victoires olympiques, et très difficiles à obtenir, parce que le rythme habituel de la course cycliste s'en trouve généralement contrarié par le programme olympique, par les coutumes du pays où s'exécute l'épreuve, par des présences insoupçonnables de coureurs plus ou moins bien doués ou équipés.

*
* *

Je n'ai pas encore perdu le souvenir du « kilomètre », à Londres, en 1948, où notre merveilleux athlète Jacques Dupont dut satisfaire à des heures d'attente sur une pelouse de vélodrome (que la nuit finit par envahir) avant que de subir tant de faux départs que nous fûmes sur le point de crier : « Assez ! »

Dupont devint champion olympique parce qu'il était de tellement loin le meilleur que ni le vent qui se levait, ni la nuit qui l'enveloppait, ni les alternances de départs déconcertants ne réussirent à combler le trou qui existait entre lui et ses suivants, parmi lesquels des coureurs de valeur (et d'autres dont certains montaient à vélo l'abdomen reposant sur le guidon).

La montée des couleurs et la présentation n'avaient pu se dérouler correctement parce que, derrière Dupont, il restait à courir la finale des tandems, parce que, aussi, les cérémonies officielles sont surtout prévues au « stade olympique », dont les prérogatives sur les vélodromes demeurent entières.

Ah ! cette finale des tandems ! C'est à peine si nous pûmes en distinguer les vainqueurs ... Un tour de plus, et les équipes disparaissaient sous le tunnel de la nuit pour le fameux combat de nègres ...

Encore n'avions-nous tremblé qu'au nom d'un sentiment de danger parfaitement compréhensible, sans que pointe le bout de l'oreille du nationalisme. C'étaient des Italiens et des Anglais ... les meilleurs du moment.

Dans la grisaille des demi-finales, les nôtres, Faye et Dron, n'avaient cueilli qu'une troisième place.

*
* *

En vitesse, Jacques Bellenger n'avait pas encore atteint à la classe internationale et il n'exista pas.

*
* *

La course poursuite avait été dramatique.

À trois tours de la fin, l'équipe française et l'équipe italienne sont sur la même ligne. Decanali mène un tour à fond et se relève ! Émotion ... Ce n'est qu'une tactique, car un Italien lâche aussi ... Nous fermons les yeux ... Alors Adam, Blusson, Coste, soudés, collés (l'homme relevé se replaçant en queue comme si un aimant l'y contraignait), sont à plat ventre ... Les Italiens aussi, qui demeurent les favoris ...

Tout à coup, crac ! Ces derniers se désunissent, roulent à 20 mètres l'un de l'autre ...

Descendus en flammes à la seconde suprême, pour n'avoir pas su s'étriper comme les Français ...

L'équipe tricolore passe la ligne au coude à coude dans un tonnerre d'acclamations ...

Mais vainqueurs et vaincus sont exténués, il faut emmener les uns et les autres ... Ils ne respirent plus, ils sont livides ...

Statufiés vivants sur la pelouse, nos quatre Français apparaissent cependant bientôt comme de merveilleux athlètes moulés aux couleurs de France.

La Fédération avait convié à dîner le soir même les vainqueurs olympiques de la poursuite : Adam, Blusson, Coste, Decanali, quelques journalistes français et deux ou trois dirigeants, en un restaurant chic de Londres (d'essence française).

À l'heure du Champagne, il nous fallut boire à la coupe, après avoir bu de doctes paroles présidentielles.

Ça manquait de musique.

Alors Baker d'Isy eut une inspiration qui me mit en sueur dans la seconde :

— Chesal va nous chanter La Marseillaise ...

Je me levai et entonnai l'hymne national le moins mal possible.

Aux premières strophes, tous les dîneurs de la salle se levèrent, se découvrirent et écoutèrent mes couplets au garde à vous.

Certains reprirent le refrain avec moi, puis d'autres, puis tous. Français, Anglais, que sais-je !

Mes notes chaotiques ayant valu tous les flonflons d'une fanfare, il restait à monter les couleurs.

À quoi bon ...

« Vive la France ! » criait-on de toutes parts, cependant que notre table, véritable territoire français, connut un doux envahissement ...

*
* *

José Beyaert et ses compagnons de l'équipe de France : Rouffeteau, Moineau, Dupont, formidables vainqueurs dans le parc de Windsor, connurent sous les frondaisons les honneurs les plus recherchés : présence du duc d'Édimbourg, musique de l'Armée, sonneries officielles, oriflammes déployées.

Le duc en personne avait, pendant la course, visité les campements et s'était fort intéressé à la confection des musettes et des bidons ; amusé, aussi, aux reparties des soigneurs et à leur débrouillardise ... car, ce jour-là, le « ravitaillement au vol » avait été organisé suivant les règles d'un art insoupçonné ...

Aucun coureur n'avait loupé la musette ... il en avait plutôt deux dans les bras qu'une.

Le sprint de José Beyaert laissera longtemps son empreinte dans les annales de la course olympique sur route. Sa façon, aussi, de saluer et remercier le duc d'Édimbourg de ses compliments.

On se serait cru à la cour.

*
* *

À Helsinki les cyclistes français seront assez dépaysés. Le circuit routier réservera des surprises à ceux qui n'auront pas d'excellents boyaux.

Il mesurera 10km,600 à parcourir dix-huit fois pour un total de 190km,800 durant lesquels la dénivellation de terrain sera de 1.620 mètres, soit 90 mètres au tour.

Le village olympique ne sera distant que de 4 kilomètres du circuit routier, un même nombre de kilomètres le séparant du vélodrome (piste de 400 mètres).

Le régime, enfin, sera l'une des questions primordiales, et il est à penser que nous n'emporterons pas que des maillots tricolores, des casquettes, des bidons et des boyaux, mais aussi les denrées les plus variées et les moins périssables, qui laisseront à nos sélectionnés une image aussi exacte que possible d'une cuisine française.

*
* *

Moins d'un mois plus tard, les mêmes (ou leurs remplaçants, s'ils ont flanché) courront les championnats du monde organisés par la Fédération du Sport Cycliste Luxembourgeois pour la conquête du maillot arc-en-ciel, valable un an, cependant que le maillot olympique peut offrir à son auteur les honneurs de l'attribut aux anneaux durant une olympiade, s'il reste amateur.

... Le mot qui « fait rire » en 1951.

René CHESAL.

Le Chasseur Français N°659 Janvier 1952 Page 26