Ainsi se terminait par ces quelques mots une conversation
que j'avais récemment avec un ami, fin observateur et sachant transposer dans
le domaine des réalisations pratiques les faits qu'il enregistre en étudiant ce
qui se passe dans les cultures, et je résolus de prendre ces deux mots pour
titre de ma chronique mensuelle.
La conversation avait porté, au départ, sur l'amélioration
des sols par l'emploi des légumineuses, que celles-ci soient cultivées comme
fourrage, pour la production des graines, ou simplement enfouies au titre
d'engrais vert. C'est une erreur de dire simplement enfouies, car il s'agit là
d'une opération de haute importance, quelquefois pratique courante et
permanente, ou figurant comme sorte de remède dans des périodes ou dans les cas
difficiles.
Naturellement, en parlant des légumineuses, nous songions
aux organes souterrains des plantes et nous évoquions ces nodosités qui
garnissent les racines avec une abondance considérable ou une rareté relative ;
de même, on note l'apparition rapide de ces nodosités, ou, au contraire, elles
ne se forment qu'après quelque temps. Demolon a fort bien résumé l'état de nos
connaissances en rappelant que, si le rôle améliorant des légumineuses a été
reconnu depuis longtemps, puisque les anciens introduisaient les légumineuses
dans leurs rotations, c'est seulement de 1886 à 1891 que les progrès de la
bactériologie permirent de savoir quel est le point de départ. Le B. radicicola
se fixe sur les racines, les nodosités se forment, les bactéroïdes captent
l'azote de l'air ; les nodosités sont ainsi abondamment pourvues de
matières azotées qui entrent dans le circuit végétal ; résultat : un
gain de 50 à 100 kilos d'azote par hectare et par an.
Chiffrons le gain : 50 à 100 kilos par hectare, au prix
de 120 francs l'unité ; c'est donc annuellement de 6.000 à 12.000 francs
que ce magnifique phénomène porte à l'actif du cultivateur. Il est dommage que,
même sans explication scientifique, on n'ait pas mieux su tirer parti d'une
observation régulière, et j'entends encore le professeur Schribaux, récemment
décédé, proclamer sa foi dans l'utilisation plus grande des légumineuses ;
alors il pensait notamment au développement du lotier corniculé comme plante
fourragère.
Mais, parmi les légumineuses, des nuances sont à observer.
Tout d'abord, on connaît la spécificité des races de bactéries ; si, dans
les cas courants, la plupart de ces races existent dans tous les sols, il faut
parfois introduire les généreux parasites. L'exemple le plus frappant réside
dans le soja, aussi je me souviens avoir vu au Danemark et en Angleterre les
laboratoires officiels préconiser la culture de la luzerne, nouvellement
introduite dans ces pays, mais toujours après inoculation des semences.
Demolon nous rappelle encore que Burgevin a montré, à Versailles,
que l'apport d'engrais azoté, qui pourrait paraître inutile, n'entrave pas la
fixation d'azote gazeux ; avec ou sans bactéries, et quelle que soit la
dose d'azote minéral apporté, la quantité fixée est la même, mais l'apport
d'engrais favorise le début de la végétation, et, plus rapidement, la plante
occupe le terrain.
Ainsi se justifient des pratiques culturales. En Allemagne,
on a développé l'emploi des engrais azotés sur les légumineuses ;
peut-être faudrait-il distinguer entre les jeunes et les vieilles prairies
artificielles. Mais il est facile de voir que plusieurs légumineuses annuelles
se comportent très différemment : la fève porte des nodosités extrêmement
vite, les pois sont plus lents et les haricots montrent plus d'hésitation ;
conclusion : il est sage d'éviter ce jaunissement des très jeunes plantes,
facile à constater sur les pois et encore mieux sur les haricots, en répandant
avant le semis et superficiellement de 10 à 20 unités d'azote assimilable.
Regarder dessous, c'est déjà montrer de l'intérêt pour les
légumineuses, être curieux de connaître le mécanisme de la fixation d'azote et,
en même temps, s'intéresser aux nuances qui marquent le rôle des diverses
plantes du groupe dans l'ensemble des récoltes. Observons encore : le
système radiculaire des végétaux en question est très différent ; la
racine de la fève pivote, il semble qu'il y ait une continuité entre la
rigidité de la racine et celle de la tige ; au contraire, le haricot se
divise déjà, et la ténuité est plus grande dans le pois ; si nous
examinions la vesce, ce serait encore plus marqué. Conséquences : l'état
de la terre après la récolte n'est pas le même, et cet effritement joue sans
doute un rôle important dans la manière dont se comportent les blés après ces
quatre légumineuses ; n'a-t-on pas fait grief à la vesce d'être un
précédent discutable pour le blé dans des terres assez légères plutôt
calcaires ?
En s'attachant au groupe plus spécialement fourrager, les
quatre plantes dominantes : luzerne, sainfoin, trèfle et lotier corniculé,
sont bien différentes. Le pivot de la luzerne varie déjà suivant les types
principaux. La luzerne ordinaire veut un sol profond pour y enfoncer le
magnifique pivot qui atteint des mètres de longueur lorsque les circonstances
sont favorables ; de Gasparin rapporte une belle observation de ce genre
dans la vallée du Rhône ; mais les trois sortes classiques :
Provence, Poitou et Flandre, pourraient rendre des services plus précis en
dehors de l'adaptation au climat, si la sélection portait sur ce facteur. On
rencontre dans l'Est, fréquemment à l'état spontané, une luzerne dite
intermédiaire, au pivot rapidement divisé ; ainsi la plante s'accommode de
sols moins profonds et le système radiculaire s'étale sur des roches simplement
fendillées ; la luzerne lupuline ou minette est encore autre chose.
Le sainfoin, aux racines brunâtres, riches en nodosités
assez précoces, accepte des terres assez sèches et dont la profondeur est
simplement moyenne ; moins pourvues en feuilles que la luzerne — plante
de la fraîcheur nécessaire, — les tiges ne donnent que des produits peu
abondants, et le sainfoin disparaît lorsque la terre a été approfondie. Enfin,
le trèfle violet ou des prés fouille le sol dans toutes les directions ;
il se plaît quand l'humidité est suffisante : argile qui conserve, humus
qui retient, conditions climatiques favorables à une pluviométrie assez
importante et bien répartie. Que peut faire le dernier venu en grande culture,
je dirais presque le mal venu : le lotier corniculé ? Des racines en
tous sens qui rappellent les tiges ébouriffées, un système aérien de
développement relativement peu important; mais la plante se plaît partout.
Retenir que regarder dessous vaut autant que regarder dessus. Notre exploration
n'est pas terminée.
L. BRÉTIGNIÈRE,
Ingénieur agricole.
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