Nous allons traiter un sujet un peu aride, aussi allons-nous
essayer d'être aussi simple que possible.
Tout d'abord, nous ne considérerons ici que les causes et
les remèdes de la chlorose calcaire, car parfois le jaunissement des
feuilles provient de toute autre cause, soit physique, soit physiologique.
Cette chlorose a été constatée de tout temps dans les
terrains issus de la roche mère calcaire, surtout dans les formations
jurassiques de la Champagne, des Charentes et de la Bourgogne.
Elle apparaît au printemps, par temps froid et pluvieux.
Jadis, nos vinifera résistaient parfaitement ; l'accident n'était
que passager et ne causait aucun dégât sérieux. Par contre, les plants de
l'Amérique du Nord végétant dans des terrains granitiques ou schisteux, dépourvus
de chaux, étaient beaucoup moins résistants à la chlorose calcaire (le groupe
des Berlandiéri excepté). Disons pour nous résumer que nos vieux vinifera
étaient des arbustes calcicoles et que la presque totalité des vignes
américaines sont calcifuges.
Si l'on examine la situation géographique du vignoble
français, on constate, à part quelques exceptions, qu'il est planté dans des
formations calcaires entourant le Massif Central. Évidemment, il y a des
vignobles dans les formations granitiques ou schisteuses, mais, comme nous
l'avons écrit, c'est le calcaire qui donne la finesse de nos grands vins, haut
Beaujolais excepté.
L'emploi des porte-greffes a accentué la chlorose, à tel
point que, dans certaines conditions, elle peut amener la mort de la souche.
Cette affection se manifeste par la décoloration du pourtour
de la feuille, puis des nervures, et la feuille jaunit entièrement. Jadis, on a
prétendu que la chlorophylle, naturellement verte, se transformait en xantophylle
jaune. Les qualificatifs donnés par la science ne changent rien au phénomène.
Les fleurs des vignes chlorosées, selon Pacottet, ne nouent
pas, et la fructification des souches est faible et irrégulière. L'aoûtement
des rameaux est insuffisant pour les défendre contre les froids, et, si la maladie
persiste, la souche périt.
On a évidemment étudié avec soin les causes dues à cette
affection, et nous ne citerons pas tous les noms des chercheurs qui ont trouvé
la clef du problème. Mais ils sont arrivés à cette conclusion que le calcaire
précipitait le fer soluble, nécessaire à la vie de la plante, en fer insoluble ;
à ce moment, le jaunissement apparaît. Ils ont aussi noté l'intensité du
jaunissement entre les nervures et ont établi une échelle d'intensité de la
maladie : premier, deuxième ou troisième degré.
Partant de cette échelle arbitraire, on a constaté qu'après
le jaunissement des premier et deuxième degrés la vigne reverdissait, mais
qu'au troisième degré elle se rabougrissait, résistait mal aux froids et le
plus souvent mourait.
Tous les sols calcaires ne sont pas chlorosants, car
Dame Nature nous a gratifiés d'un nombre impressionnant de variétés de cette
roche, du moellon de construction, dont la dureté ébrèche les burins du maçon,
jusqu'au tuf que l'on écrase facilement entre les doigts, en passant par toutes
ces variétés de dureté et de finesse, — quelquefois cette dernière est
impalpable.
Mais, pour que la chlorose apparaisse, il faut que le
calcaire soit dissous et absorbé par les racines afin d'insolubiliser le fer
des feuilles et accessoirement des autres tissus de la vigne.
L'explication est la suivante : on nous a appris que la
feuille respire et que cette fameuse chlorophylle a deux fonctions
importantes. De jour, à la lumière diffuse ou non, elle absorbe le gaz
carbonique de l'air et rejette l'oxygène (cette fonction a fait naître la
méthode de blanchiment sur le pré). La nuit, par contre, c'est l'inverse, elle
absorbe de l'air et rejette le gaz carbonique, se comportant ainsi comme les
animaux supérieurs.
Le gaz carbonique, ainsi exhalé la nuit, où la vitesse du
vent au sol est presque nulle, se dissout dans l'humidité de la terre arable.
Aux premières pluies, il descend dans le sol et le sous-sol et transforme le
carbonate de chaux (calcaire) insoluble en bicarbonate de chaux soluble, lequel
est assimilé par les racines.
Ce phénomène, du reste, est à l'origine de la formation des
gouffres et des rivières souterraines.
Maintenant, passons aux remèdes.
D'abord supprimer l'herbe ; on supprime en même temps
la formation de gaz carbonique. N'oublions jamais qu'un vignoble bien tenu ne
doit pas en contenir et doit recevoir dans une période de douze mois dix façons
culturales.
Les vignes en mauvais état de santé sont plus atteintes que
les vignes saines.
Ne pas employer de fumures organiques humides telles que le
fumier de ferme. Par contre on peut répandre des engrais organiques tels que le
sang desséché, la corne torréfiée et les déchets de carderie de laine. Enfin
les engrais minéraux, dont l'azote, doivent être épandus à haute dose dans les
terrains chlorosants.
Ensuite enrichir le sol en fer assimilable par l'épandage de
sulfate ferreux.
Dans le sol.
— Soit de 250 à 500 grammes dans une cuvette constituée
autour de chaque cep ; soit, à la volée, trois à quatre tonnes à
l'hectare, enfouis aussitôt par un labour léger.
Sur les feuilles.
— Pulvérisation de solution de sulfate de fer, à raison
de 0kg,500 à 1 kilo par hectolitre, selon l'intensité du
jaunissement. On voit les feuilles reverdir ; il s'agit ici d'un
traitement de complément.
Sur les plaies de taille.
— Méthode du Dr Rassignier, à
effectuer en novembre pour profiter de la dépression interne de la plante
(arrêt de sève).
Badigeonner les plaies de tailles avec la solution suivante :
Sulfate ferreux |
25 à 30 |
parties. |
Acide citrique |
5 à 6 |
— |
Eau |
100 |
— |
Dans ce dernier traitement, l'extrémité du sarment va
noircir sur une longueur de 1 à 2 centimètres ; aussi, prendre les
précautions de tailler près du nœud supérieur.
Pour terminer, nous croyons utile de donner le tableau de
résistance au calcaire des principaux porte-greffes, selon M. R. Lafon.
Berlandiéri |
40 à 45 |
p. 100. |
41 B |
35 à 40 |
— |
1202 |
30 à 35 |
— |
Aramon X Rupestris ganzin 1 |
25 à 30 |
— |
Rupestris du Lot |
20 à 25 |
— |
330 q |
18 à 20 |
— |
10114 |
15 à 18 |
— |
Riparia gloire de Montpellier |
8 à 10 |
— |
Pour compléter ce tableau, nous donnerons la prochaine fois
la liste des porte-greffes employés selon les différents terrains.
En attendant, nous conseillons aux vignerons beaucoup de
prudence dans le choix de leurs porte-greffes en terrains chlorosants.
V. ARNOULD,
Ingénieur agronome.
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