Dans notre dernière causerie, il a été surtout envisagé le
côté commercial du dernier Salon de l'Automobile. Il nous reste, pour
aujourd'hui, à dire quelques mots sur l'évolution de la technique automobile au
cours de l'année écoulée et à noter les quelques nouveautés et tendances qui se
sont précisées en octobre dernier, au Grand Palais.
Côté nouveautés, rien de sensationnel. Les jeux étaient déjà
faits, et aucune carte imprévue n'est venue troubler la douce quiétude du monde
automobile. Pourtant il faut s'empresser de noter que quelques modèles
nouveaux, français, déjà connus et décrits dans nos causeries, affrontaient
pour la première fois les feux de l'immense lustre suspendu à la verrière, bien
connu, de ce XXXVIIe Salon.
Il est fait allusion, ici, à la Frégate, la Comète,
la Randonnée, auxquelles il faut ajouter la Dyna-Junior, la
Bugatti, la Talbot et la Rosengart. Aux places d'honneur habituelles, Citroën
et Renault sont toujours face à face. Mais, alors qu'à la Régie règne une
animation pleine de promesses, la firme du quai de Javel semble béatement
s'endormir sur son matelas bourré de bons de commande. Ses supporters seraient
cependant peu exigeants. Un encastrement des phares et des ailes plus ou moins
intégrées leur donneraient satisfaction ! Ils n'osent espérer, les
pauvres, une 7 ou 8 CV qui garderait les grandes caractéristiques de
l'extraordinaire 11 CV, celle qui avait quinze années d'avance. Il est vrai
qu'il y a dix-sept ans que la première traction faisait ses sensationnels
premiers pas. Les mal intentionnés, il y en a toujours, diront que, tout compte
fait, cela ne donne que deux années de retard. Une 1.500 centimètres cubes
moderne doit fournir les mêmes performances qu'une 2 litres d'hier, mais ces
gens oublient que l'immense majorité des usagers demandent une voiture sans
histoires, et il faut bien convenir qu'avec de tels véhicules la mise au point,
à part quelques malfaçons inévitables, est presque définitive et que parcourir
25 ou 30.000 kilomètres sans « lever le capot » devient une chose
banale. Mais l'homme est ainsi fait qu'il aimerait un peu moins de banalités.
Chez Renault, la 4 CV demeure la voiture la plus
fabriquée d'Europe si l'on emploie le style américain. Deux modèles seulement,
le type « Affaires » et le type « Sport », de laquelle on
est arrivé à extraire 23 CV au lieu de 18. On parlait, pour mémoire, de la
Spéciale-Saprar, qui reste hors série et dont les performances
extraordinaires ont résonné dans quelques récentes compétitions. Il ne sera pas
inutile de revenir ultérieurement sur ce sensationnel moteur.
Le troisième grand, celui de Sochaux, présentait un
cabriolet 203 qui fut très remarqué. Il est naturel que l'on souffle un peu
après de tels succès et que, suivant en cela la tactique classique, le lion
organise le terrain conquis afin de faire face, demain, aux assauts de l'Aronde.
Cette dernière a adopté le pont hypoïde et perfectionné les détails :
vernis, garnitures, chrome. Chez Ford, les Vedette ont été travaillées,
surtout sous l'angle des accessoires, joint à des améliorations secondaires,
cependant que la Comète, mise bien à part, semble vouloir encore
conserver jalousement ses secrets.
Respect à sa modestie. La Salmson Randonnée, par
contre, sans fausse honte, nous montre les entrailles de son moteur, en une large
coupe où l'on admire une mécanique soignée et la simplicité du mécanisme de
commande des deux classiques arbres à cames en tête par pignons en celloron.
Hotchkiss, de son côté, a monté sur ses Anjou la commande sous volant
des vitesses. Un bon point. Grégoire reçoit des commandes et commence à
satisfaire les premiers inscrits. La critique pourra donc bientôt prendre une
position précise sur cette voiture tant attendue et annoncée à coups de grosse
caisse.
Delahaye expose ses 235 et 175, cependant que Delage est
présent avec sa D-6, toutes héritières d'un glorieux passé. Talbot suit le
train avec les châssis Baby et Record. Ces véhicules de luxe,
bien français, se prêtent particulièrement aux magnifiques habillages de nos
carrossiers, véritables couturiers de l'automobile. Quelques modèles ont été
particulièrement remarqués. Bugatti est réapparu au Salon, et sa rentrée a fait
sensation auprès des amateurs de belle mécanique. Son prestige est intact.
Autre réapparition : Rosengart avec son Ariette,
qui doit laisser échapper 21 CV de son capot avec une cylindrée inférieure au
litre. Elle reste entourée d'un certain mystère. Paix et prudence sur elle. Il
reste maintenant à faire un tour au stand de Panhard, la plus ancienne des
marques françaises. Entre les différents types de Dyna, la 120 Sprint
attire particulièrement l'attention : 4 CV fiscaux, 38 CV réels et 120
kilomètres à l'heure. Elle voisine avec la Super-Dyna 130 qui donne 40
CV réels, avec 8 CV fiscaux et une cylindrée de 850 centimètres cubes. Résultats :
8 litres de consommation et 125 kilomètres à l'heure, cette dernière
performance étant portée à 135 avec la Dyna-Junior. Mais c'est surtout
la boîte de vitesses automatique « Robot », équipant les Dyna,
qui a été la plus grande nouveauté du Salon. Elle est la première voiture de
grande série française où la pédale de débrayage a été supprimée. Avec la boîte
« Robot », chaque rapport de vitesses est commandé automatiquement
par un embrayage actionné par la force centrifuge ou par la différence existant
entre le couple moteur et le couple résistant. On peut également changer de
vitesses à volonté sans laisser agir l'automaticité. Les engrenages des
différentes vitesses restent toujours en prise, et trois embrayages entraînent,
à tour de rôle, trois arbres concentriques : arbres creux extérieurs de
deuxième, arbre creux milieu de troisième, arbre central de quatrième. Si la
vitesse augmente, des masselottes antagonistes s'écartent et, par
l'intermédiaire de billes et de butées, verrouillent les leviers des plateaux
d'embrayage correspondant aux vitesses. Bien entendu, les masselottes sont
réglées de telle façon que les embrayages successifs se déclenchent à des
vitesses de moteur différentes. La mise en action de l'embrayage, de première,
ou vitesse de démarrage, est assurée uniquement par la force centrifuge.
Grosse animation autour d'un châssis 10 tonnes Lafly, sur
lequel on pouvait admirer la première turbine à gaz équipant une voiture
française. La puissance obtenue est de l'ordre de 200 CV. Après compression de
l'air à l'aide d'un compresseur tournant à 30.000 tours-minute et combustion en
auto-allumage, la détente a lieu dans deux turbines différentes. La première
est solidaire du compresseur. La seconde, indépendante de la première, tournant
à 24.000 tours, est la turbine dite de travail. Elle entraîne les roues par
l'intermédiaire d'un réducteur à une vitesse de rotation normale. Une deuxième
boîte contient une vitesse démultipliée spéciale pour les côtes et l'inversion
marche arrière et marche avant. Un ralentisseur mécanique remplace le frein
moteur. L'alimentation en fuel est assurée par deux pompes à membrane.
La grosse « sensation » de l'année nous a été
apportée par la Général Motors avec sa voiture expérimentale le Sabre.
Cette voiture laboratoire a coûté quelque 500 millions à réaliser ; il
serait un peu prématuré de dire « mise au point ». On se trouve en
présence d'un moteur 8 cylindres en V à compresseur et double carburateur
aviation. Aérodynamisme d'avant-garde, capote à fonctionnement automatique se
fermant à la première goutte de pluie, convertisseur de couple, phares
escamotables, sièges chauffants, cric hydraulique se commandant de la place du
conducteur, etc. Rien ne manque. Planant quelque peu dans les nuages, on lui a
même adjoint un altimètre.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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