Oh ! rassurez-vous : il ne s'agit point là de
politique ! D'abord, Le Chasseur Français ne se mêle jamais de ce
sujet, et puis je suppose qu'en l'an de grâce 1951 nous avons tous — grâce
à nos cartes — touché notre pleine ration de ce genre de denrée.
Il s'agit simplement de savoir pourquoi en France les
voitures tiennent leur droite et en Angleterre leur gauche ...
On a écrit sur ce sujet quantité d'argumentations parfois
fort pertinentes, mais aussi pas mal de balivernes. À ma connaissance, personne
encore n'a vu bien nettement les causes absolues qui ont rendu obligatoire — je
dis bien obligatoire — cette différence de procédé entre les deux pays.
Ces habitudes sont anciennes, très antérieures à
l'automobile, et il nous faut les rechercher dans l'état des routes et la façon
d'atteler les véhicules si nous voulons y comprendre quelque chose.
La chaussée, en France comme en Angleterre, était, il y a
déjà pas mal de centaines d'années, constituée par une surface empierrée et
assez bombée pour assurer l'écoulement des eaux de pluie vers les bas côtés. À
droite et à gauche, il y avait, le long des très grandes artères, des pistes
cavalières de terre piochée et meuble, douces aux sabots, où les cavaliers
galopaient de relais en relais à franc étrier. La plupart du temps, sur les
routes ordinaires, la chaussés était simplement délimitée par deux fossés.
Or les voitures allaient au grand trot sur les routes,
parfois même au galop, qu'il s'agît des lourdes chaises de poste ou des rapides
voitures privées. L'institution des maisons de poste et des relais, où tous les
12 à 15 kilomètres environ on changeait les attelages pour des chevaux frais,
permettait de soutenir cette allure. Peu de temps avant les chemins de fer, les
diligences de Paris-Marseille, par exemple, marchaient à environ 20 kilomètres
à l'heure de moyenne, montées et arrêts compris, ce qui est fort beau pour des
chevaux.
Il est facile de concevoir que, pour les conducteurs de ces
lourdes machines, la principale préoccupation était de ne pas « aller au
fossé » à pleine allure. Ils étaient un peu dans la situation des routiers
actuels, nos modernes conducteurs de poids lourds rapides, contre lesquels
s'énervent à tort pas mal de conducteurs et qui, tout en se garant pour laisser
le passage, doivent aller progressivement pour pouvoir « ramener » à
temps leur « vingt tonnes » et ne pas se laisser embarquer dans les
platanes.
En France, de tout temps, les chaises de poste et les
diligences ont été attelées à la Daumont, c'est-à-dire sans cocher, avec des
postillons montés. Tels furent, jusqu'aux autos officielles, les carrosses des
présidents de la République. C'est également de cette manière que l'on attelait
nos fameux canons de 75, chaque conducteur étant monté sur le cheval de gauche
et menant de son bras droit un autre cheval dit sous-verge. Comme les gauchers
sont une petite minorité, les conducteurs préféraient garder le second cheval
sous leur bras le plus robuste.
Si la voiture s'était garée à gauche, le postillon, ou
conducteur de la paire de chevaux, se serait trouvé entre le fossé et tout le
poids de l'attelage. Pour ramener les chevaux au milieu de la route bombée,
qu'eût-il pu faire ? Pratiquement rien. Mais, tout au contraire, si la
voiture tient sa droite, il est très bien placé pour ramener au milieu de la
route son cheval porteur et tirer le second de son bras droit. Il ne risque pas
d'être écrasé si l'on verse, et il lui suffit de ralentir la bête qu'il monte,
le « porteur », pour que la tête et l'avant-train de son autre cheval
se trouvent « braqués » vers le milieu de la route. D'où la
nécessité, pour le véhicule ainsi attelé, de tenir sa droite : c'est la
seule position où le postillon peut, à volonté, après avoir dégagé pour croiser
une autre voiture, reprendre ses chevaux en main, surtout aux allures rapides.
L'Anglais, tout au contraire, conduit en brides, depuis son
siège. Tels les mail-coachs qui, il n'y a que quelques années, allaient encore
à Longchamp en remontant les Champs-Elysées. C'est le genre de voitures que
nous voyons dans les gravures anglaises, spécialement dans celles qui nous
retracent les aventures de M. Pickwick. Là, le bras droit le plus fort
joue encore son rôle discriminatoire. Faire obliquer l'attelage vers le fossé
n'est rien, l'empêcher d'y verser est tout. Donc ... tenons la gauche, le
bras droit agissant de toute sa force sur celles des rênes qui ramènent les
têtes des chevaux vers le milieu de la route.
C'est là, indubitablement, l'origine de ces lois de la
circulation opposées en deux pays si voisins. La route est pareille des deux
côtés de la Manche, les hommes et les chevaux se comportent exactement de la
même façon. Mais, par un commun souci de sécurité, tous redoutant également de
finir les roues en l'air le long du grand chemin, ils ont choisi de part et
d'autre la façon de rouler qui, vu leurs attelages diamétralement opposés,
était la seule logique et prudente.
Toutes les autres explications sont inefficaces : là
seulement est l'origine de cette divergence qui disparaîtra peut-être un jour,
n'ayant plus sa raison d'être en un siècle motorisé.
Paul MOLYNEUX.
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