— Amis chasseurs, êtes-vous contents de la saison
écoulée ? ...
Les réponses varieront suivant les régions et le gibier
considéré. Dans le même secteur nous trouverons des mécontents à côté de
bienheureux fort satisfaits. D'après ce que j'ai vu, et en m'appuyant sur des
témoignages dignes de foi, il apparaît qu'à l'ouverture — 26 août — le
gibier plume était trop petit dans bien des coins du Sud-Est. Ce jour-là, et
malgré une abondance relative, je n'ai tiré aucun perdreau. Les compagnies
rencontrées, parfois très fournies, étaient composées d'oiseaux d'une taille
voisine de celle des tourterelles : peut-on tirer de tels volatiles ?
La fusillade des premières journées constitue une réponse
affirmative énergique ... Des chasseurs ont ainsi réalisé des tableaux ...
Bien rares ceux qui ne participèrent pas au massacre ces innocents. Pour leur
défense, les amateurs de perdreau coquille disent : « Si je ne les
tue pas, un autre le fera. »
Voilà de mauvais arguments, nés de l'afflux de fusils sur
des terrains aux ressources limitées. Égoïsme de la masse désireuse de profiter
au maximum des plaisirs cynégétiques. Pour d'autres, appât du gain : le
perdreau premier âge se vend bien.
Lorsque, fin septembre, je revins sur les mêmes terrains,
les pouillards, devenus perdreaux, se défendaient admirablement, mais les
compagnies avaient fondu ... J'ai cependant vu des oiseaux volant à peine ;
quelques semaines plus tôt, dans les Hautes-Alpes, des moissonneurs trouvaient
encore des cailles achevant de couver. Ce retard anormal est dû sans doute au
printemps tardif, suivi d'un été humide et froid. Comme nous ne pouvons rien
changer aux conditions atmosphériques, il nous reste à déplorer l'ouverture
prématurée amenant le massacre rapide d'oiseaux parfois saisis par les chiens.
Voilà qui s'appelle manger le blé en herbe alors qu'il faudrait, plus que
jamais, veiller à la précieuse semence. Mais allez parler prévoyance à une
majorité persuadée que cela durera bien autant qu'eux. N'a-t-on pas vu des
sociétés locales méridionales presser leur fédération pour obtenir l'ouverture
le 12 août, comme en Corse ! ... Et les mêmes s'agiteront encore
afin d'arracher des autorisations de chasse à la repasse. On agit comme s'il
fallait, dans les plus brefs délais, achever la destruction d'un gibier de plus
en plus rare. Le simple bon sens serait-il, lui aussi, en voie de disparition ?
Des purs, doublés de naïfs, prêchent pour l'éducation
sportive du chasseur ! ... Ce n'est point à l'heure de la noyade
qu'il faut prendre des leçons de nage ; on s'accroche alors à la plus
frêle épave. Rien n'a été prévu officiellement quant à la sauvegarde du gibier
sans défense. C'est regrettable. Cependant, n'est-ce pas le ministère de
l'Agriculture et, plus particulièrement, les « Eaux et Forêts » qui
veillent sur chasse et pêche ? Tout porteur de permis doublé d'un pêcheur
a certainement relevé une anomalie par trop criante. En juillet, alors que je
trempais du fil dans l'écume des eaux savoyardes, je fus vigoureusement
interpellé par un garde :
— Est-ce que vos truites ont la taille réglementaire ?
Je m'attendais à voir le représentant de la loi mesurer mes
prises. Il ne le fit pas ; d'autres pêcheurs eurent quelques ennuis ...
Mme la Loi protège la reine des torrents, mais
oublie d'étendre son aile sur les habitants de bois et collines. C'est un
non-sens. Bien des fois, dans des coins bouillonnants, on présente un appât
destiné à tenter quelque mémère. Touche franche. C'est une truitelle mesurant à
peine 22 centimètres, qui a dilaté sa gueule et saisi l'amorce. Le pêcheur est
dépité, furieux ; s'il ne remet à l'eau le poisson blessé, il récoltera
peut-être une contravention. Cependant, il n'a qu'une faible responsabilité
dans ce suicide. Ce même pêcheur, devenu chasseur, pourra en toute quiétude — s'il
en a le courage — fusiller des perdreaux gros comme des grives ou des
lapins rats.
Tout en soulignant l'illogisme d'une loi indifférente au
meurtre de gibier incapable de défense, je me garderai de conclure en demandant
une nouvelle réglementation répressive où un article préciserait : « Tout
porteur d'une pièce n'ayant pas atteint les trois quarts de son développement
habituel sera verbalisé. Les fonds ainsi recueillis iront à une caisse
départementale de repeuplement. »
Sur le papier, ce semblant de protection paraît simple, mais
pensons à la mise en pratique. Pauvres gardes ! ... Je les vois se
promener avec une balance et des tableaux mentionnant poids et tailles
réglementaires pour chaque espèce ! ... Rôle délicat et ingrat. Seuls
les petits groupements pourraient appliquer une amende aux massacreurs — ils
sont connus — sans l'aide d'une loi nouvelle. Combien de syndicats
communaux ont suffisamment d'autorité pour assurer le respect d'une telle
réglementation ? Beaucoup y trouveraient une occasion nouvelle de mécontentement,
exploitée aussitôt.
Alors que reste-t-il à faire pour trouver une solution
sensée ?
Ouvertures échelonnées des divers gibiers ? Que saint
Hubert nous préserve de telle mesure, dont seuls les honnêtes chasseurs feraient
les frais. Les autres franchiraient tous les échelons dès le premier jour. Et,
en haut lieu, on aurait l'impression d'avoir fait « quelque chose ». À
mon avis, le seul remède efficace et applicable consisterait à retarder la date
d'ouverture lorsque les fédérations signalent un retard général dans le
développement du gibier. Bien entendu, ce rapport départemental sérieux
traduirait des réalités constatées par les gardes et non les vœux de syndicats
locaux, trop décidés à des hostilités prématurées. Certains penseront que
j'oublie le rôle des préfets et des maires ... Non, mais que ces
notabilités m'excusent de n'avoir en elles qu'une confiance limitée quand il
s'agit du domaine cynégétique. Elles ont, par ailleurs, tant de soucis plus
pressants ! ...
Bien sûr, les éternels mécontents ou plutôt les amateurs de
tendre gibier vont s'écrier : « Les braconniers auront tout détruit à
l'ouverture ; nous payons assez cher, etc ... » De telles
affirmations laissent supposer que les gardes ne font pas leur métier ou qu'ils
sont impuissants à prendre les coupables ... J'ai toujours reconnu les
difficultés de surveillance : manque de personnel, surfaces immenses,
terrains accidentés, conditions météorologiques défavorables. Elles ne sont pas
près de disparaître. Dans tout gardiennage sérieux, il faudrait une
discrimination entre « bracos d'occasion » — tentés par un
lièvre ou un lapin — et « écumeurs » ravageant une région. Les
premiers travaillent pour la casserole familiale ; les autres alimentent
des restaurants fort connus des gourmands. Une surveillance active de ces
établissements avec visite des frigos et des menus servis aurait certainement
d'heureux effets. Si le restaurateur, en cas d'infraction, voyait sa maison
fermée, il hésiterait à s'approvisionner auprès des braconniers. Ceux-ci, sans
débouchés assurés — le gibier se conserve peu en été, — ralentiraient
leurs ravages. Peut-être ...
Je rentre — fin novembre — d'une, sortie sur les
contreforts de Lure, dans les Basses-Alpes. Journée splendide, dorée par le
soleil, l'automne et la présence de quelques compagnies. Quels beaux oiseaux ! ...
Sauvez-les des massacres légaux. Saint Hubert vous bénira pour cette bonne
action.
A. ROCHE.
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