À notre époque d'utilitarisme à outrance, d'où tout idéal — chasse
comprise — est banni et semble un anachronisme, il est d'autant plus
réconfortant de constater que, dans un corps tout au moins, les grandes
traditions de dévouement, de désintéressement et d'indépendance se sont
maintenues à travers les siècles, plus vivantes que jamais, grâce à une
Association qui a eu le grand honneur de les maintenir intactes.
Il s'agit de la louveterie française et, si les lieutenants
de louveterie font si peu parler d'eux, c'est que, comme ceux dont les mérites
sont réels, ils ont la pudeur de leurs sentiments.
Ils ont cependant des lettres de noblesse à nulles autres
pareilles puisque, créés dès le IXe siècle par un capitulaire de
Charlemagne, ils ont poursuivi une tâche, ingrate parfois, utile toujours sans
la moindre défaillance.
Alors que la France était en proie aux malheurs causés par
les loups, le gouvernement d'alors, au lieu de prendre d'énergiques mesures
pour les conjurer, s'avisa, en dépit des services rendus par la louveterie
depuis tant d'années, de la supprimer, ainsi que tout ce qui s'y rapportait,
par un règlement du 9 août 1787. Il y a, de tout temps, des inspirations
plus ou moins heureuses, bien qu'officielles, et ce règlement rentre dans ce
cadre, puisque l'on fut obligé de rétablir en toute hâte la louveterie par une
loi du 19 pluviose, an V, loi reconnaissant ainsi les mérites de la
louveterie, ajoutant ainsi un nouveau fleuron à la couronne de ses officiers,
si, toutefois, cela était encore nécessaire ...
Dévouement, ai-je dit plus haut ? À toute réquisition
de l'Administration supérieure, le lieutenant de louveterie doit répondre et
prendre toutes dispositions utiles pour la destruction des nuisibles menaçant
l'agriculture, et sans qu'aucune excuse puisse être invoquée de sa part :
froid, chaud, intempéries, impedimenta quelconques, etc.
Se tenant en dehors de toute chapelle, ne voyant que le bien
public à faire, le lieutenant de louveterie, se plaçant en dehors et au-dessus
des partis, conserve donc une indépendance totale dont, au surplus, il tire une
partie de sa force.
Quant à son désintéressement, je laisse au lecteur le soin
de juger et d'apprécier !
L'ordonnance du 20 août 1814 lui fait l'obligation d'entretenir
à ses frais un équipage de chasse ainsi composé :
— un piqueur ;
— deux valets de limiers ;
— un valet de chiens ;
— dix chiens courants ;
— quatre limiers ;
— nombreux pièges à fauves, etc.
Il est prévu, en outre, des montures avec harnachement
officiel, une tenue que son archaïsme a obligé à moderniser, du reste.
Si les conditions des destructions ont changé, si les
chevaux ont été remplacés par des autos, l'avoine, la paille et le fourrage par
de l'essence, de l'huile et des pneus, il n'en existe pas moins que ces
fonctions, tout en étant aussi gratuites qu'honorifiques, sont, en réalité,
aussi onéreuses qu'absorbantes.
L'organisation de la battue aux sangliers la plus simple
demande plusieurs déplacements, une prise de contact avec la Préfecture, le
conservateur des Eaux et Forêts, la gendarmerie, les maires des communes
intéressées, les futurs tireurs qui, en raison des dangers du tir, soit à
balle, soit à chevrotines, doivent faire l'objet d'un choix judicieux. Car le
lieutenant de louveterie a la responsabilité des accidents pouvant se produire,
bien qu'ayant pris le maximum de précautions ; et il lui est bien souvent
difficile de pouvoir en administrer la preuve le cas échéant !
Reconnaissons cependant qu'ils sont excessivement rares et ne constituent
qu'une exception, en raison des connaissances cynégétiques étendues des
louvetiers.
Par une anomalie inexplicable, alors que leurs chiens,
servant uniquement à remplir leurs fonctions, devraient être indemnes de tout
impôt, tout au moins classés en deuxième catégorie comme ceux dits « d'utilité »,
servant à détruire ... les rats, par exemple, les leurs paient taxe
entière !
S'ils ont, en certains cas, la franchise postale avec leur
conservateur, sous pli ouvert toutefois, elle se borne là et ils doivent
acquitter tous les autres timbres de leur poche ...
Loin de s'amenuiser, les fonctions des officiers de la
louveterie ont pris une ampleur plus considérable depuis qu'une loi du 23 février
1926 leur a donné le droit de verbaliser ; ils ont donc également
contribué, non plus seulement à la défense de l'agriculture, mais à la
protection du gibier ; une loi les charge de la protection des cultures
contre les ravages des lapins de garenne. Les circulaires ministérielles
commentant les dispositions de la loi du 2 avril 1946, modifiant le
paragraphe 9, article 90, de la loi du 5 avril 1884, recommandent de faire
appel aux lieutenants de louveterie.
Tous les ministres qui se sont succédé au ministère de
l'Agriculture ont tenu à apporter leur appui, à montrer leur sympathie à leur
Association, au surplus reconnue d'utilité publique, témoignage du gouvernement
en sa faveur; dans sa circulaire du 1er juin 1877, M. Martel,
alors garde des Sceaux, ministre de la Justice et des Cultes, déclare, d'une
part, que les fonctions de lieutenant de louveterie ne peuvent être confiées à
un étranger ; de l'autre, qu'ils constituent un véritable service public.
Toute l'organisation actuelle des fédérations en
particulier, de la chasse en général, repose entièrement sur la loi du 28 février
1934.
Superchasseurs, choisis comme tels, du reste, les
lieutenants de louveterie, à qui on doit tant et de tant de façons, font partie
des Comités de direction de toutes les Fédérations de chasse qui,
reconnaissons-le à leur honneur, n'ont pas le défaut trop commun d'ingratitude et
les mettent souvent à leur tête ; de toute façon, leurs conseils sont
appréciés partout.
Les honneurs ... platoniques ... sont acceptables
quand ils ne sont pas trop onéreux ; ne serait-il pas plus qu'indiqué que,
parmi les sommes si importantes versées par les chasseurs, une part soit
prélevée en faveur des lieutenants de louveterie, non pas à titre somptuaire,
mais pour les indemniser en partie ? Il en est de dépensées de façon
infiniment moins indiquée ...
Jacques DAMBRUN.
N. B. — Nous extrayons les chiffres suivants de
l'ouvrage La Louveterie, édité sous le patronage de l'Association des
lieutenants de louveterie et honoré d'une souscription du ministère de
l'Agriculture (1re et 2e édition).
De 1818 à 1924, il a été détruit en France trente mille huit
cent quatre-vingt-sept loups (30.887).
En douze ans, de 1818 à 1829, il a été détruit par les
lieutenants de louveterie dix-huit mille sept cent neuf loups (18.709).
De 1817 à 1842, et dans le seul département des Vosges, il a
été détruit seize cent quarante-deux loups (1.642).
Il y a lieu de signaler que le tiers environ des lieutenants
de louveterie se sont dispensés d'envoyer leurs états à l'Administration des
Eaux et Forêts.
La dernière victime des loups connue semble être une
vieille femme dévorée par eux le 2 octobre 1918, près de La Chapelle-Montbrandeix,
dans la Haute-Vienne. (P. MEGNIN, Gibiers rares en France.)
Les loups exposés au Jardin des Plantes à Paris ne sont en
rien comparables avec les superbes loups naturalisés de Pologne qui figuraient
à l'Exposition internationale de la chasse de Berlin en 1937. En les voyant, on
comprend facilement combien est justifiée la terreur des campagnes devant de
pareils animaux, de taille imposante, à la mâchoire armée de façon redoutable.
J.D.
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