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Les pouillots

"Oiseaux-feuilles".

C'est ainsi, ai-je lu quelque part, que les Allemands désignent les différentes espèces de pouillots. L'expression est bien jolie, si jolie que je soupçonne cette façon de traduire le terme originel, Laubvogel, d'un peu de romantisme. Le sens littéral serait plutôt « oiseaux des feuilles », ou « chanteurs des feuilles » dans le terme Laubsänger concurremment employé. Oiseaux des feuilles, certainement, car ces vifs et menus petits êtres passent toute leur existence dans le feuillage, au sommet des grands arbres ; mais oiseaux-feuilles tout de même, par leur petitesse, par la couleur de leur plumage, d'un ton verdâtre plus ou moins prononcé, et par leur extrême mobilité ; ils réalisent le mythe du mouvement perpétuel à tel point qu'il est difficile de les observer. Oui, vraiment, de petites feuilles de tremble ou de peuplier, continuellement remuées par la brise, et si celle-ci venait à manquer, ils seraient bien capables de la créer par l'incessante agitation de leurs hochements de queue et de leurs battements d'ailes.

Les étrangers ont décidément l'avantage dans l'art de baptiser ces charmantes petites créatures. Où avons-nous été chercher ce terme péjoratif de pouillot ? Les Italiens les appellent Lui, d'après leur cri d'appel, le même pour les quatre espèces, avec toutefois des intonations différentes.

Nous possédons aussi en France ces quatre espèces. Lui grosso, le pouillot fitis ou pouillot chantre, le plus grand de taille et l'artiste vocal de toute la famille ; lui verde, le pouillot siffleur, le plus coloré, le plus vert, celui qui a les ailes plus longues et la queue plus courte que tous les autres ; lui piccolo, le pouillot véloce, le plus petit, le plus commun ; lui bianco, le pouillot de Bonnelli, le plus clair de plumage, mais qui est assez rare en France et que je ne connais pas, car il n'habite pas ma région.

Ce cri d'appel, la teinte plus ou moins verte et jaunâtre de leur robe, le large sourcil clair qui surmonte leurs yeux et leur donne une gentille expression mutine, leur habitude de vivre à la cime des arbres et de nicher à terre ou presque à terre dans des nids clos, voilà l'héritage commun qu'un lointain ancêtre leur a légué. Pour tout le reste, ils ont évolué de façon différente, et plus qu'en tout autre domaine, dans leur chant.

Le plus mignon, le plus répandu, le moins vert de toute la tribu, le véloce, nous visite avec prédilection jusque dans nos jardins et demeure aussi le plus longtemps avec nous, quelquefois de février à décembre. Il fait entendre, dès son arrivée, ses quatre notes monotones et appuyées qui lui ont valu en Angleterre le nom très exactement imitatif de Chiff-chaff, et, dans certaines régions de France, celui beaucoup moins heureux, une fois encore, de compteur d'écus. Il les répète inlassablement tout le printemps et tout l'été. Après une brève mue au mois d'août, il recommence bien vite en septembre et octobre, et parfois même jusqu'en novembre si le temps persiste un peu doux. Il ne dépasse guère, pour la taille, le roitelet et le troglodyte, mais donne, plus que ce dernier, une impression de légèreté et, plus que le premier, d'espièglerie mutine. Assez familier, il vient de temps à autre me visiter jusque sur mon balcon, et je puis distinguer alors, sans le secours de mes jumelles, le plumage olivâtre de son dos, son ventre gris clair et ses pattes foncées. Mais si ses visites de fin d'été, et d'automne se prolongent souvent, il nous quitte très vite au printemps pour aller nicher dans les bois. Bien qu'on nous le donne comme habitant surtout les forêts de hêtres, il est très commun, avec le siffleur, dans tous nos bois de pins et de sapins.

Son nid, comme celui de tous les autres pouillots, est très difficile à trouver. Il le place à faible hauteur, près de terre ou sur le sol même. En forme de dôme, l'oiseau y pénètre par une ouverture latérale. On doit le chercher au pied des arbres, dans les taillis, les haies, entre les racines, dans les touffes d'herbe ou de feuilles sèches. Il contient d'ordinaire cinq ou six œufs blancs ou blanc jaunâtre marqués de quelques taches ou de quelques points brun rouge foncé au gros bout.

Le nom latin du pouillot siffleur m'a toujours enchantée : Phylloscopus sibilatrix ! Phylloscopus, c'est toujours un petit « inspecteur des feuilles », mais sibilatrix (pourquoi le féminin ? D'autres, il est vrai, disent sibilator), la siffleuse, celle qui siffle, rend bien mieux que le mot français la qualité exacte du chant de cet oiseau. On dit que notre langue est une langue pauvre et je le crois vraiment, puisque le même mot désigne les sons de hautbois, moelleux et liés du merle, le court sifflet flûté du bouvreuil et la stridulation de grosse locuste de notre présent oiseau-feuille. Il arrive chez nous bien plus tardivement que ses deux autres parents, presque à la même époque que la fauvette des jardins et que le gobe-mouches gris, c'est-à-dire au commencement de mai. Dans mon jardin, il ne fait que passer, lui aussi. Pendant une journée ou deux, il nous alerte par ses crépitements précipités. Armée de mes jumelles, je le poursuis d'arbre en arbre, mais généralement en vain. Hochant la queue, battant des ailes, il a disparu avant que j'aie pu fixer l'endroit précis où je venais de l'entrevoir. Ce n'est que tout à fait exceptionnellement qu'il m'a été donné de distinguer son dos vert cendré sombre, ses joues, sa gorge et sa poitrine jaune clair et son ventre blanc, ainsi que le sourcil jaunâtre, plus large que chez les autres espèces, qui lui fait une physionomie très particulière. Il nous quitte rapidement pour nicher dans les bois. On y entend, une partie de l'été, non seulement son chant de sauterelle, dont nous venons de parler, mais aussi son cri d'appel, lui, d'une intonation tellement désolée, qu'il ne peut manquer d'attirer l'attention. Il a, dit un auteur anglais, des larmes dans la voix. Ai-je lu dans quelque conte de fée cette histoire de l'« oiseau trompeur », qui, par son accent de détresse, attire toujours plus avant dans le bois le passant apitoyé et curieux, pour disparaître tout à coup et le laisser, égaré, au plus touffu des ronciers ? Ou bien la voix désespérée du pouillot siffleur l'a-t-elle créée de toutes pièces en un coin de mon cerveau, par la magie des grands bois ?

Son nid, dans un talus d'herbe ou de mousse, dans une petite excavation dénudée, dans quelque touffe de bruyère, est, comme celui des autres pouillots, un dôme construit de feuilles mortes ou d'herbes sèches et précédé parfois d'une galerie souterraine pouvant mesurer près de 50 centimètres.

Les œufs, d'un blanc pur, sont presque entièrement couverts de taches brun pourpre, assez foncées.

Quant au pouillot fitis, il est, pour la plupart de ceux qui en ont écrit, l'oiseau des saules : le roitelet des saules, en Angleterre ; chez nous, le rossignol des saules. C'est sans doute pourquoi il est si rare dans ma région, où les ruisseaux montagnards sont presque uniformément bordés d'aulnes. Mais il vient nous voir au printemps et passe de nouveau après la mue, s'attardant un peu chaque fois pour nous faire admirer son joli plumage vert doré et son chant très doux, d'une expression à la fois gaie et tendre, avec une terminaison plaintive. Très court, il ne se compose guère que de cinq ou six notes, si délicatement nuancées qu'elles nous enchantent dans leur brièveté. L'oiseau les reprend à plusieurs reprises avec de courts arrêts : Huid, huit, hoïd, hoïd, hoïd. Brehm a, pour une fois, rendu si exactement les onomatopées du petit chanteur que je crois utile de les rapporter, car, m'ayant permis de l'identifier, elles pourront rendre ce même service à d'autres.

Son nid ressemble à ceux des autres pouillots, mais est moins strictement clos et, comme eux aussi, il le cache si bien que Toussenel avoue ne l'avoir trouvé en sa vie que deux fois. On ne s'étonnera pas, après cela, que je ne l'aie jamais découvert, dans un pays où son petit constructeur est rare. Il est, plus encore que celui du pouillot véloce, douillettement garni de plumes. Un observateur plein de zèle en a compté plus de deux cents. Il contient de quatre a sept œufs blancs ou blanc jaunâtre, marqués de brun rouge pâle, ce qui, avec les différences dans la composition du nid, permet de le distinguer de ceux des autres espèces. Ce gentil pouillot nous arrive en avril, pour nous quitter de nouveau, avec le siffleur, en septembre.

Pierrette MAGNE.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 74