Lorsqu'on veut installer une pisciculture à truite, qu'elle
soit seulement pour l'élevage des alevins, ou pour l'obtention de truites-portion,
ou le stockage de reproducteurs, le premier point que doit considérer le
pisciculteur est le choix de l'eau.
La truite, en effet, a un très grand besoin d'oxygène
dissous dans l'eau. Construire une pisciculture dans une eau ayant une teneur
en oxygène inférieure à 6 centimètres cubes ne peut qu'aboutir à des mécomptes
coûteux. D'ailleurs la truite ne peut vivre qu'en eau froide, à température
inférieure à 20° et constamment renouvelée. Toutefois, la truite arc-en-ciel
est un peu moins exigeante et pourra vivre dans une eau atteignant l'été 22 à
24° et ayant une teneur en oxygène de 5,5 cm3 seulement. Mais il convient
de ne pas effleurer d'une façon trop dangereuse ce seuil-limite.
De toute façon, il faudra procéder à des analyses chimiques
de l'eau. En général, les eaux qui sortent en terrain granitique et siliceux,
donc pauvre en calcaire, sont souvent bonnes pour l'élevage, mais elles
donneront la plupart du temps une croissance moindre que les eaux de sources
vauclusiennes, calcaires et oxygénées, car elles sont en général moins riches
en nourriture naturelle ; il faudra toutefois se méfier des eaux par trop
chargées en calcaire et éviter les eaux séléniteuses qui laissent déposer du
carbonate de chaux dans les auges d'alevinage. Il faudra également
soigneusement éviter les eaux de marais et de tourbière qui sont trop humiques,
trop acides et trop pauvres en oxygène. On évitera également les eaux
ferrugineuses qui entraînent le développement de certaines algues qui nuisent à
la production de la faune nutritive.
En résumé, il faudra donc des eaux pures, au pH
compris entre 6,5 et 7,5, ayant une teneur d'oxygène d'au moins 7 centimètres
cubes par litre et ne dépassant pas, l'été, 20 à 22°. Il existe dans le
commerce des trousses pour dosage d'oxygène qui sans appareillage compliqué et
soins minutieux permettent d'obtenir un résultat suffisamment approché.
Si la teneur en oxygène se révèle insuffisante au dosage, on
peut encore y remédier si l'on dispose d'une dénivellation d'au moins 3 à 4
mètres. Des chutes et des brassages d'eau élèvent rapidement le taux d'oxygène
dissous.
Une eau froide de 5 à 6° permettra une excellente incubation
et un bon élevage des jeunes alevins de deux à trois mois; passé cet âge, à
cette température, la croissance sera très ralentie. En ce cas, tout dépend du
but que l'on se propose. Si l'on veut faire de l'alevin de repeuplement, il
faut si possible élever les alevins dans une eau voisine de celle à repeupler.
Il est évident que, si nous habitons une région granitique et si nous élevons
des alevins destinés au repeuplement, il faudra prendre une eau granitique,
même si la croissance des alevins en est ralentie. Il est en effet très mauvais
pour eux de mettre les alevins dans de l'eau acide s'ils viennent d'eau
calcaire, et ces alevins n'ont que de faibles chances de survie.
Si l'on se propose au contraire de faire de l'élevage de truites-portion,
il y a intérêt à prendre des eaux pas trop froides, les truites ayant le
maximum de croissance et le maximum d'appétit entre 15 et 18°.
La question de la qualité de l'eau étant réglée, passons
maintenant à la quantité. En principe, on n'a jamais trop d'eau dans une
truiticulture ; l'excès en la matière n'est jamais un défaut. Ci-dessous
quelques chiffres qui pourront servir de données de base et qui présentent la
quantité d'eau minima nécessaire :
1/2 |
litre-minute |
pour 1.000 |
œufs |
de l'incubation à trois mois. |
2 |
litres-minute |
— |
alevins |
de trois à six ou huit mois. |
5 |
— |
— |
— |
de plus de huit mois. |
On peut évidemment descendre un peu en dessous de ces chiffres-limite,
mais c'est dangereux et on frise la catastrophe.
Pour l'élevage des truitelles et des truites-portion, le
professeur Léger a proposé la formule du litre-kilo, c'est-à-dire qu'il faut un
litre d'eau par minute pour élever 1 kilo de truite.
Ces chiffres sont larges si l'eau reste très froide l'été et
inférieure à 12°. Pour les eaux de 15° environ, on peut abaisser légèrement la
quantité d'eau à 3/4 de litre-minute par kilo de reproducteur.
Pour l'alevinage, on choisira, en principe, de l'eau de
source dont la température est constante. Pour l'élevage des gros alevins,
truitelles et reproducteurs, il faudra le plus souvent faire des prises d'eau
sur un ruisseau. Ceci demande quelques précautions supplémentaires. En effet,
on ne peut avoir de mécomptes avec une eau de source, mais un ruisseau peut
être pollué plus ou moins volontairement par le fumier, les arrivées d'égout ou
effluents d'usine ; on évitera donc de placer sa prise d'eau immédiatement
en aval d'un village ou d'une usine. Enfin, un danger est toujours possible,
celui de la malveillance ; il est en effet facile d'empoisonner l'eau d'une
truiticulture en déversant de l'eau de Javel dans le ruisseau d'alimentation.
Délit d'ailleurs très grave et relevant de l'article 452 du Code pénal, et non
des lois sur la pêche.
Un dernier point qui a son importance, c'est celui de la
dénivellation dont on dispose pour opérer la circulation de l'eau. Pour le
laboratoire d'incubation, il faut pouvoir jouer sur une dénivellation d'au
moins 1m,50 ; en effet, pour que le pisciculteur puisse
travailler facilement, les bacs doivent être placés sur des socles de 0m,70
de haut ; la hauteur des bacs étant de 40 centimètres environ, on dispose
ainsi de 30 à 40 centimètres de hauteur de chute d'eau. Pour les bassins
extérieurs, la chute pourra être plus faible et de l'ordre de 1 mètre. Il faut
toujours que le pisciculteur soit maître de son eau et puisse vider un bassin à
n'importe quel moment et complètement.
Enfin, si l'on peut sans inconvénient envoyer l'eau de
sortie des auges d'incubation et d'élevage d'alevins dans les bassins à
truitelles et à truites-portion, l'inverse est soigneusement à éviter, car
l'alevin est beaucoup plus sensible aux maladies qui risquent de s'étendre plus
facilement de la truite à l'alevin que de l'alevin à la truite.
Telles sont les données générales que doit connaître le
pisciculteur. Malgré cela, ses débuts en pisciculture seront accompagnés
fatalement de mécomptes et de déboires ; aussi faudra-t-il, s'il n'a pas
l'expérience, qu'il l'acquière lentement en commençant à petite échelle. Il
devra, avant de se lancer, d'une part se procurer un manuel de pisciculture
moderne, d'autre part, visiter des piscicultures déjà existantes, et enfin
faire passer un expert sur les lieux pour étudier son projet. On ne saurait
prendre trop de précautions avant d'engager des sommes importantes dans une
affaire très rentable si elle est bien menée, mais qui conduit à la catastrophe
dans le cas contraire.
DELAPRADE.
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