Accueil  > Années 1952  > N°660 Février 1952  > Page 86 Tous droits réservés

L'eau en truiticulture

Lorsqu'on veut installer une pisciculture à truite, qu'elle soit seulement pour l'élevage des alevins, ou pour l'obtention de truites-portion, ou le stockage de reproducteurs, le premier point que doit considérer le pisciculteur est le choix de l'eau.

La truite, en effet, a un très grand besoin d'oxygène dissous dans l'eau. Construire une pisciculture dans une eau ayant une teneur en oxygène inférieure à 6 centimètres cubes ne peut qu'aboutir à des mécomptes coûteux. D'ailleurs la truite ne peut vivre qu'en eau froide, à température inférieure à 20° et constamment renouvelée. Toutefois, la truite arc-en-ciel est un peu moins exigeante et pourra vivre dans une eau atteignant l'été 22 à 24° et ayant une teneur en oxygène de 5,5 cm3 seulement. Mais il convient de ne pas effleurer d'une façon trop dangereuse ce seuil-limite.

De toute façon, il faudra procéder à des analyses chimiques de l'eau. En général, les eaux qui sortent en terrain granitique et siliceux, donc pauvre en calcaire, sont souvent bonnes pour l'élevage, mais elles donneront la plupart du temps une croissance moindre que les eaux de sources vauclusiennes, calcaires et oxygénées, car elles sont en général moins riches en nourriture naturelle ; il faudra toutefois se méfier des eaux par trop chargées en calcaire et éviter les eaux séléniteuses qui laissent déposer du carbonate de chaux dans les auges d'alevinage. Il faudra également soigneusement éviter les eaux de marais et de tourbière qui sont trop humiques, trop acides et trop pauvres en oxygène. On évitera également les eaux ferrugineuses qui entraînent le développement de certaines algues qui nuisent à la production de la faune nutritive.

En résumé, il faudra donc des eaux pures, au pH compris entre 6,5 et 7,5, ayant une teneur d'oxygène d'au moins 7 centimètres cubes par litre et ne dépassant pas, l'été, 20 à 22°. Il existe dans le commerce des trousses pour dosage d'oxygène qui sans appareillage compliqué et soins minutieux permettent d'obtenir un résultat suffisamment approché.

Si la teneur en oxygène se révèle insuffisante au dosage, on peut encore y remédier si l'on dispose d'une dénivellation d'au moins 3 à 4 mètres. Des chutes et des brassages d'eau élèvent rapidement le taux d'oxygène dissous.

Une eau froide de 5 à 6° permettra une excellente incubation et un bon élevage des jeunes alevins de deux à trois mois; passé cet âge, à cette température, la croissance sera très ralentie. En ce cas, tout dépend du but que l'on se propose. Si l'on veut faire de l'alevin de repeuplement, il faut si possible élever les alevins dans une eau voisine de celle à repeupler. Il est évident que, si nous habitons une région granitique et si nous élevons des alevins destinés au repeuplement, il faudra prendre une eau granitique, même si la croissance des alevins en est ralentie. Il est en effet très mauvais pour eux de mettre les alevins dans de l'eau acide s'ils viennent d'eau calcaire, et ces alevins n'ont que de faibles chances de survie.

Si l'on se propose au contraire de faire de l'élevage de truites-portion, il y a intérêt à prendre des eaux pas trop froides, les truites ayant le maximum de croissance et le maximum d'appétit entre 15 et 18°.

La question de la qualité de l'eau étant réglée, passons maintenant à la quantité. En principe, on n'a jamais trop d'eau dans une truiticulture ; l'excès en la matière n'est jamais un défaut. Ci-dessous quelques chiffres qui pourront servir de données de base et qui présentent la quantité d'eau minima nécessaire :

1/2 litre-minute pour 1.000 œufs de l'incubation à trois mois.
2 litres-minute alevins de trois à six ou huit mois.
5 de plus de huit mois.

On peut évidemment descendre un peu en dessous de ces chiffres-limite, mais c'est dangereux et on frise la catastrophe.

Pour l'élevage des truitelles et des truites-portion, le professeur Léger a proposé la formule du litre-kilo, c'est-à-dire qu'il faut un litre d'eau par minute pour élever 1 kilo de truite.

Ces chiffres sont larges si l'eau reste très froide l'été et inférieure à 12°. Pour les eaux de 15° environ, on peut abaisser légèrement la quantité d'eau à 3/4 de litre-minute par kilo de reproducteur.

Pour l'alevinage, on choisira, en principe, de l'eau de source dont la température est constante. Pour l'élevage des gros alevins, truitelles et reproducteurs, il faudra le plus souvent faire des prises d'eau sur un ruisseau. Ceci demande quelques précautions supplémentaires. En effet, on ne peut avoir de mécomptes avec une eau de source, mais un ruisseau peut être pollué plus ou moins volontairement par le fumier, les arrivées d'égout ou effluents d'usine ; on évitera donc de placer sa prise d'eau immédiatement en aval d'un village ou d'une usine. Enfin, un danger est toujours possible, celui de la malveillance ; il est en effet facile d'empoisonner l'eau d'une truiticulture en déversant de l'eau de Javel dans le ruisseau d'alimentation. Délit d'ailleurs très grave et relevant de l'article 452 du Code pénal, et non des lois sur la pêche.

Un dernier point qui a son importance, c'est celui de la dénivellation dont on dispose pour opérer la circulation de l'eau. Pour le laboratoire d'incubation, il faut pouvoir jouer sur une dénivellation d'au moins 1m,50 ; en effet, pour que le pisciculteur puisse travailler facilement, les bacs doivent être placés sur des socles de 0m,70 de haut ; la hauteur des bacs étant de 40 centimètres environ, on dispose ainsi de 30 à 40 centimètres de hauteur de chute d'eau. Pour les bassins extérieurs, la chute pourra être plus faible et de l'ordre de 1 mètre. Il faut toujours que le pisciculteur soit maître de son eau et puisse vider un bassin à n'importe quel moment et complètement.

Enfin, si l'on peut sans inconvénient envoyer l'eau de sortie des auges d'incubation et d'élevage d'alevins dans les bassins à truitelles et à truites-portion, l'inverse est soigneusement à éviter, car l'alevin est beaucoup plus sensible aux maladies qui risquent de s'étendre plus facilement de la truite à l'alevin que de l'alevin à la truite.

Telles sont les données générales que doit connaître le pisciculteur. Malgré cela, ses débuts en pisciculture seront accompagnés fatalement de mécomptes et de déboires ; aussi faudra-t-il, s'il n'a pas l'expérience, qu'il l'acquière lentement en commençant à petite échelle. Il devra, avant de se lancer, d'une part se procurer un manuel de pisciculture moderne, d'autre part, visiter des piscicultures déjà existantes, et enfin faire passer un expert sur les lieux pour étudier son projet. On ne saurait prendre trop de précautions avant d'engager des sommes importantes dans une affaire très rentable si elle est bien menée, mais qui conduit à la catastrophe dans le cas contraire.

DELAPRADE.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 86