La diagnose des diverses espèces de muges est délicate. Dans
ma précédente chronique, j'ai indiqué que sur nos côtes se trouvaient six
espèces de muges, dont quatre fréquentes et deux assez rares. Les noms
scientifiques de ces quatre espèces sont :
— Mugil cephalus ;
— Mugil labrosus, ou chélo ;
— Mugil ramada ;
— Mugil auratus.
Les caractères qui différencient ces espèces sont complexes
et multiples. J'indique ci-dessous les caractères simples que j'utilise
personnellement pour les différencier ; il peut y avoir d'autres systèmes
qui vaillent mieux, mais celui que j'ai fini par dégager de diverses études de
spécialistes et de la pratique a le mérite de la simplicité. Il faut d'abord
examiner l'espace jugulaire, c'est-à-dire le dessin formé par la jonction des
deux opercules vus par en dessous : le muge labrosus a un espace
jugulaire très étroit, les deux opercules, se touchant presque, les muges cephalus,
auratus et ramada ayant, au contraire, un espace ovale assez
large, limité par deux points où se touchent les opercules. Le dessin ci-contre
de deux têtes de muges vues par en dessous indique cette différence.
Espèces de muges. |
Espace jugulaire. |
Pupille. |
Lèvre supérieure. |
Taches sur l'opercule. |
Cephalus |
ovale |
en fente verticale |
normale |
néant |
Labrosus |
nul |
ronde |
épaisse |
néant |
Ramada |
ovale |
ronde |
normale |
néant |
Auratus |
ovale |
ronde |
normale |
2 taches dorées |
Le labrosus étant ainsi déterminé, on distinguera l’auratus
aux deux taches jaune d'or qui se trouvent l'une derrière l'œil, l'autre sur
l'opercule. Le cephalus, ou muge à grosse tête, est le plus facile à
distinguer, notamment du ramada, par ses paupières adipeuses, épaisses
et transparentes, qui limitent un espace pupillaire étroit et vertical, bien
caractéristique ; il a en quelque sorte une pupille de chat en amande,
alors que les trois autres muges ont l'œil rond.
Telles sont les caractéristiques les plus visibles pour le
profane, et qu'il faudra cependant étayer par les caractéristiques
scientifiques de ces quatre espèces.
Mugil cephalus.
— C'est le muge à grosse tête, appelé dans le Sud-Ouest
caborne, ou muge blanc, cabot en Méditerranée et sautereau sur les côtes
vendéennes ; sur les côtes méditerranéennes, on l'appelle aussi « œil
voilé », en raison précisément de la disposition toute particulière de sa
paupière adipeuse limitant une pupille en amande. J'abrégerai la description de
ses nageoires, le nombre de rayons de chaque sorte de nageoire étant à peu près
le même chez tous les muges. Ce muge, comme tous les autres muges, a de 42 à 45
écailles sur la ligne latérale, mais il n'a que deux caecums pyloriques,
organes en forme de doigts de gant se trouvant sous la poche stomacale et qui
sécrètent les sucs digestifs ; les autres muges ont de six à huit caecums ;
seul le muge cephalus n'en a que deux. Sa tête est grosse, massive, le
museau court, abaissé, la lèvre supérieure peu épaisse. Le dos est gris plus ou
moins foncé et les flancs portent de six à sept raies parallèles brunâtres ;
le ventre est blanc. Le muge cephalus est un poisson qui atteint une
grande taille, et il arrive à peser 4 à 5 kilogrammes. Il arrive sur nos côtes
normalement au printemps, où il reste tout l'été. Il ne saute pas par-dessus
les filets ; il est relativement moins méfiant que les autres et se laisse
prendre à la ligne.
Sur nos côtes du sud de l'Atlantique et de la
Méditerranée, c'est le muge qui est le plus abondant l'été ; il disparaît
en octobre. Il remonte fort bien en eau douce et se plaît dans les eaux
saumâtres de la Garonne et de l'Adour, ainsi que dans les réservoirs
d'Arcachon. En eau douce, il se nourrit d'algues, mais surtout de vers
(notamment des mille-pattes) et de larves d'insectes. Il descend en mer en
automne, et c'est là qu'on le capture en grosse quantité. Ses œufs sont
recherchés ; séchés, ils forment une sorte de caviar connu sous le nom de
« poutargue » ; cette poutargue se fait aussi bien sur les côtes
marseillaises que grecques, algériennes ou italiennes.
Mugil labrosus, ou chélo.
— C'est le muge à grosses lèvres, qu'on appelle
aussi muge noir. Comme celle de tous les muges, sa tête est courte, obtuse ;
son espace jugulaire est presque nul. Sa lèvre supérieure, très épaisse, est une
caractéristique du mulet lippu. Il n'a pas de paupières adipeuses. Sa
coloration est grise, avec un ventre argenté ; les nageoires sont
jaunâtres et portent des taches foncées à la partie supérieure. Le muge à
grosses lèvres atteint le même poids et la même taille que le muge cephalus.
Mugil ramada, ou capiton.
— Il a de nombreux noms locaux ; on le confond souvent
avec le muge cephalus, sous le nom de « muge blanc » ;
dans notre région, on l'appelle « mulet porc » et, en Méditerranée, roumado,
ou testu. Le cephalus et le ramada sont en effet les deux
muges qui fréquentent les eaux douces, le cephalus étant celui qui
remonte le plus loin, puisque, dans le bassin de la Garonne, on le rencontre
encore à 150 kilomètres de la mer. Ses mœurs sont les mêmes que celles du
cabot. Son museau est court et gros ; son espace jugulaire est large, le
dos est brun, les flancs sont gris, avec cinq ou six bandes longitudinales
moins foncées. Sur les côtes du Sud-Ouest, le muge ramada est de loin le
plus répandu. Il remonte au printemps dans les eaux douces et saumâtres pour
redescendre en mer à l'automne. C'est certainement de tous les muges celui qui
aime le plus l'eau douce, puisque, certains hivers doux, il y reste toute
l'année. J'ai pu notamment constater sa présence toute l'année dans certains
marais côtiers et, entre autres, dans l'étang de Moïsan, près d'Hossegor. Il ne
devient pas aussi grand que le muge cephalus, mais il atteint tout de même
50 à 60 centimètres, avec un poids de 1 kilogramme à 1kg,500.
Mugil auratus.
— C'est le muge doré, ou muge sauteur, bien connu des
pêcheurs au filet par ses bonds de 50 à 80 centimètres de haut, qui font qu'on
le capture rarement pendant le jour. C'est également le plus petit de nos
muges, et celui qui a la forme la plus élancée. Il dépasse rarement 400 à 500
grammes. Nous avons vu qu'il était caractérisé par deux taches dorées sur l'opercule
et une paupière adipeuse qui limite un œil rond, et non point en amande comme
le cephalus. Le muge doré se trouve toute l'année en abondance sur les
côtes méditerranéennes et du Sud-Ouest. Il ne remonte guère dans les estuaires
qu'en deçà de la limite des marées, ou dans des étangs à eau douce très proches
de la mer. Il est très sensible aux changements de température dans les eaux
douces ; c'est lui qui meurt le premier par température basse (à +3°) ;
d'ailleurs, il gagne la mer et les grands fonds pendant l'hiver pour essayer
d'y trouver une température plus clémente. Par grand froid, il ne saute guère
au-dessus des filets, paraît engourdi et se laisse capturer, souvent par
grandes masses.
Quant aux deux autres espèces de muges signalées sur nos côtes,
espèces assez rares, il s'agit du Mugil curtus, ou muge court, assez
semblable au muge à grosses lèvres, mais très trappu, et du Mugil saliens,
qui est un muge très allongé, à œil rouge, que l'on rencontre assez souvent sur
les côtes méditerranéennes, mais très rare sur les côtes atlantiques.
LARTIGUE.
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