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Pêches de grèves

Pour construire son pousseux

Puisque vous savez maintenant tisser un filet, en principe, et que l'hiver perdure, nous contraignant au champ clos, profitons-en pour bricoler un peu et parfaire en même temps notre arsenal de pêche.

Rassurez-vous, je n'ai point dessein de vous exposer ici les moyens de forger une fouëne à deux dents ou même un croc. Nous risquerions de nous y brûler les doigts, vous comme moi, ou de nous les y pincer entre marteau et enclume. Mais, pour qui sait manier la scie et le rabot, enfoncer un clou, planter une cheville, ce qui est tout de même plus courant, la construction d'un pousseux à tous usages ne présente point de bien hermétiques secrets. Rien ne nous empêche donc de la tenter, au minimum de frais.

Le pousseux, ou bourraque, ou crevettier, appelé encore grand havenet, trouble ou truble, voire bichette — et je suppose qu'il en existe encore bien d'autres noms, selon les régions considérées, — est une sorte de petit chalut à main servant à pêcher la plupart des crustacés côtiers. C'est l'instrument idéal pour le bouquet d'abord, sur des fonds de rocher tapissés d'algues ; l'étrille ensuite, sur de semblables points, mais en eau profonde ; la crevette grise enfin, sur des fonds de sable tendre. Et rien ne vous empêchera, pour peu que vous soyez né sous une bonne étoile, d'y ramasser également un homard, parfois, quand ce ne seront pas des lançons ou des célans, peut-être même quelque maquereau ou une plie égarée. Toutes ces prises, je les ai constatées dans des bourraques amies, presque toujours au cours de pêches à l'aveuglette, dans de larges bras de mer sans grande profondeur : je reconnais pourtant que ces dernières captures demeurent rigoureusement exceptionnelles. Mais le bouquet, l'étrille et la « grise » offrent déjà des plats de choix.

Autant dire que le pousseux prend la première place dans la panoplie du bassier, une panoplie qui, on le sait, va du crochet à la fouëne en passant par le louchet (à équilles), le râteau ou l'étrier (à coques) et le ramassoir (à vanneaux).

Pour les non-initiés — et je souhaite qu'ils soient nombreux parmi mes lecteurs, parce qu'il est moins dangereux, pour l'apôtre, de prêcher des néophytes, — le pousseux est constitué par un filet en forme de poche, monté sur un bâti de bois figurant un T, un T dont le manche serait disproportionné à la tête, un tiers plus long que la barre transversale de celui-ci. La gueule de cette poche est fixée pour partie tout au long de la traverse du T, et pour partie sur un demi-cercle dont les branches auront été assujetties à chacune des extrémités transversales du T. L'ensemble de cet appareil revêt ainsi, graphiquement, la forme d'un U court surimprimé sur un T long. Faute de savoir dessiner, force m'est de suppléer à cette insuffisance au moyen de lettres à la place de traits, l'essentiel étant ici de se bien faire comprendre. Je suppose qu'il en ira ainsi, de vous à moi.

Ce bâti recevra bientôt le filet de lin, en vue de l'usage marin. Il importe cependant tout d'abord d'en donner une description moins schématique.

La traverse horizontale du pousseux, appelée souvent râteau ou peigne, est faite d'une barre de bois dur et sec, taillée en biseau. L'extrémité de cette traverse devant rester, au cours de toutes Opérations de pêche, en contact permanent avec les fonds rocheux sous-marins et être appelée à travailler en biais, à la manière d'un rasoir attaquant les poils d'une barbe, on concevra tout de suite la double nécessité de sa coupe oblique et de la robustesse du bois qui la compose. En raison du risque d'usure rapide de cette barre — c'est la cuirasse qui reçoit tous les coups — certains bassiers ont le souci de la caparaçonner de zinc ou de plomb. Ce revêtement présente l'avantage de renforcer le dispositif d'attaque du pousseux et, en même temps, de diminuer la flottabilité du bois, par alourdissement, donc de faciliter l'immersion de la partie antérieure de l'appareil, surtout lorsque l'on péchera la crevette en eau profonde, avec la mer au ventre, par exemple. Mais, par contre, ce mode de protection risque de faire pourrir trop rapidement le bois, dans la mesure où son séchage entre deux marées aura été ainsi rendu plus difficile. Certains amateurs usent parfois d'un revêtement amovible, sous forme d'une plaque de zinc repliée à angle aigu, qu'ils montent sur leur pousseux au moyen de quatre écrous, avant de partir à la pêche. Ils oublient peut-être ainsi que le mieux reste parfois l'ennemi du bien, les solutions simples demeurant presque toujours les meilleures.

On doit cependant ne jamais perdre de vue que le plombage du râteau n'est pas inutile si l'on doit pousser la bourraque en eau profonde. Car, pour peu que vous travailliez dans de telles conditions, le crevettier aura fatalement tendance à se soulever, ce qui réduit amplement le nombre des captures (à moins que vous ne consacriez la moitié de vos forces à appuyer lourdement sur votre manche, pour en maintenir le contact avec le sol).

La qualité du bois du bâti joue un rôle important, on s'en doute, mais si le chêne est souvent un peu lourd, le sapin paraît moins résistant. On conseille généralement le choix du chêne ou de l'orme pour la construction de la barre horizontale, le manche arrondi étant de préférence taillé dans du sapin très sec.

Selon les points de pêche, les dimensions du bâti peuvent évidemment varier. Mais un pousseux à toutes mains — et à tous lieux — se développera profitablement sur une largeur de 1m,30, ce qui semble être la mesure idéale, au moins pour des bassiers soucieux d'utile travail.

L'arceau d'osier destiné à supporter les lèvres inférieures du filet sera inséré profondément à chaque extrémité de la barre transversale et consolidé par des chevilles ou par des pointes obliques, le fil de fer (inoxydable, bien entendu) enfoncé à chaud, autant que possible après passage au rouge. Naturellement, ce demi-cercle d'osier ou de fil de fer sera arrimé au manche au point d'intersection, à cet effet pourvu d'une encoche. S'il s'agit de fil de fer, deux cavaliers pourront l'y maintenir avec rigueur, consolidés par un entrecroisement de fils de cuivre. Cette précaution pourra être prise également si l'arceau de monture est en osier, que l'on pourra aussi clouer directement sur le manche.

On aura toutefois intérêt à visser, d'autre part, deux équerres à angle droit à l'extrémité du manche, au milieu de la traverse-râteau, en vue d'assurer la rigidité du bâti. On ne saurait oublier, en effet, que la barre horizontale du pousseux est constamment appelée, au cours des manœuvres de pêche, à recevoir des heurts violents, et toujours de la manière la plus irrégulière et sur les points ou sous les angles les plus variés. Si la lourde pierre immergée que le pousseaux frappe de front n'amènera aucun déséquilibre sensible de l'appareil, il n'en ira plus de même dès que les extrémités de la traverse seront touchées, et cela se comprend. J'ai pu ainsi assister à maints désastres, qui se produisent presque fatalement au cours de la plus fructueuse des marées, à la minute où la crevette se met justement à donner à fond. Et il suffit de quelque lourde rocaille, invisible en eau aveugle, pour désarticuler complètement le bâti du pousseux, donc rendre celui-ci tout à fait inutilisable, au moins jusqu'au retour au rivage et réparation à l'atelier. Raison de plus pour que l'amateur apporte tous ses soins à la rigidité de son assemblage, de manière à faire de son futur pousseux une arme sans défaut.

Un lecteur à l'esprit critique (mais c'est le cas de tous nos lecteurs) me signalera peut-être que j'ai omis d'assigner à notre manche des dimensions précises. Je m'en garderai bien, au souvenir d'un incident professionnel. Il m'arriva naguère de consacrer une étude au pousseux dans quelque revue halieutique et d'y suggérer, par imprudence, une longueur de manche en fonction de ma propre taille. Or la nature ne m'a pas fait géant, ce qui n'était pas le cas d'un de mes correspondants, haut de bien plus de six pieds. Le résultat, c'est que notre homme dut reconsidérer après coup les données du problème, en remplaçant un manche qui ne lui permettait guère de plonger sa bourraque qu'à la verticale, à la pointe même de ses orteils, et non, comme il sied, à l'oblique. Je n'ai pas besoin d'ajouter que cet impair me valut de cinglants reproches. Confectionnez-vous donc un manche à votre taille, et dites-vous que, en travail de pêche, votre pousseux, tenu à deux mains, devra adhérer constamment au sol à une distance de vous presque égale à votre propre hauteur. Par mesure de précaution, et compte tenu du principe qu'il vaut toujours mieux retrancher qu'ajouter (en menuiserie comme en littérature), donnez à votre manche une longueur égale à votre propre hauteur, en y ajoutant une bonne quinzaine de centimètres : votre manche devra ainsi se trouver ajusté à vos besoins.

Le bâti du pousseux ainsi assemblé, il ne vous restera plus qu'à y agencer votre filet — bien que ce ne soit pas là le plus facile ! Quelques considérations générales guideront ce montage.

D'abord, on prendra soin de tendre à la base inférieure de la traverse du T, et à 2 millimètres de celle-ci, un solide fil de cuivre, maintenu en place par des cavaliers à intervalles de 5 centimètres, et de garnir de la même façon le demi-cercle d'osier, en y assujettissant le fil de cuivre au moyen de très fortes ligatures, placées à d'égales distances. C'est sur ce fil de cuivre que le filet sera monté, et jamais directement sur le bâti du pousseux, le fait est à noter.

Dans la partie supérieure du pousseux, parallèle à la barre horizontale, le filet devra être tendu, et point lâche. Par contre, le filet prendra du « mou » de chaque côté de l'arceau de monture et présentera des « joues » latérales. Il est indispensable que ces joues s'élargissent au fur et à mesure que le filet s'écartera du sommet du bâti. On fera en sorte que ces joues dépassent le demi-cercle d'osier, latéralement, d'une bonne largeur de main. C'est d'ailleurs en étendant la main à l'intérieur du filet, après construction et avant tout usage, que les bassiers s'assurent du parfait montage de celui-ci, procédé expérimental de contrôle des plus commodes.

La partie basse du filet dépassera de 20 à 30 centimètres environ le niveau inférieur de l'arceau, de façon à donner à la poche un ventre de large contenance. C'est en effet dans ce dernier que les crevettes se trouveront enfermées pendant toute la durée du trait, c'est-à-dire pendant l'opération de pêche proprement dite. On fera en sorte, d'autre part, qu'il n'existe aucune solution de continuité entre le bâti et le filet, condition utile à la capture des brins.

Un tel pousseux sera pratiquement inusable, pour peu que le pêcheur n'oublie jamais de le rincer longuement à l'eau douce après chaque opération de pêche, pour le débarrasser de tout élément salé comme de toute matière putrescible, débris de crustacé ou de varech. Mais le séchage devra se faire en un endroit bien éventé, autant que possible à l'abri du soleil.

Pour les amateurs que pourrait effrayer ce long travail de construction et d'assemblage, je rappelle que, dans les grands centres côtiers et sur la plupart des plages à pêche, on trouve dans le commerce des pousseux généralement bien montés. Il leur suffira alors de s'assurer que les dimensions du bâti comme du filet répondent aux recommandations ci-dessus exprimées pour être sûrs d'aborder les fortes marées avec le maximum d'atouts.

Maurice-Ch. RENARD.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 88