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Le shoot en football

Quand on a suivi pendant des années l'évolution du football, on est choqué par l'imprécision et la faiblesse du shoot de 70 p. 100 de nos joueurs. Il est courant de constater que de très belles équipes, qui ont pendant des mois mis au point une tactique offensive remarquable, échouent lamentablement devant les buts, parce qu'elles manquent de shooteurs. Il est également courant de voir de très grands joueurs et de très beaux athlètes, en pleine forme et possédant toutes les finesses du jeu, terminer un splendide effort par un shoot à deux mètres en dehors des poteaux, ou dans les nuages, même quand la conclusion de l'attaque se présentait dans les meilleures conditions désirables.

Jadis, nos équipes étaient moins fortes et ne subissaient pas l'entraînement assidu et bien dirigé que permet aujourd'hui le professionnalisme, mais les amateurs passaient leurs heures de loisirs à apprendre à shooter devant les buts. Ce point capital — puisque, finalement, c'est le résultat, donc la « marque », qui compte — semble négligé par les meilleurs entraîneurs.

Pourtant, il existe quelques principes assez simples, permettant d'assurer au shoot la puissance et la précision désirables, et que, il y a trente-cinq ans, m'apprenait comme suit, à Tottenham, un professionnel anglais :

1° En football comme en tennis, quand on se prépare à frapper la balle, il ne faut pas la quitter des yeux. Une balle de tennis et un ballon de football sont, comme une boule de billard, sphériques, donc sujets à « effets ». Il faut frapper une sphère à l'endroit voulu et avec l'incidence de l'agent frappeur (queue de billard, raquette ou pied bien chaussé) convenable pour obtenir l'effet désiré. Il faut donc la regarder. Le joueur, après avoir d'un coup d'œil, s'il connaît bien son football, déterminé l'objectif (qu'il s'agisse d'un shoot au but ou d'une passe), doit reporter ses yeux sur la balle au moment de l'attaquer. La méconnaissance de ce principe « sacré » est à l'origine de 99 p. 100 des « ratés ».

2° Il faut, dès l'âge de treize ou quatorze ans, celui des scolaires ou des « poussins », apprendre à la graine dans laquelle germeront les footballeurs de demain à botter la balle correctement des deux pieds. Une mauvaise habitude prise au cours de l'apprentissage ne se corrige jamais complètement dans l'avenir. Les habitudes motrices sont plus difficiles encore à perdre que les habitudes du domaine psychique. Huit footballeurs sur dix n'ont confiance qu'en un pied et ne se servent que de celui-là ; il en résulte, si, au moment où il faudrait botter, le joueur se trouve sur le mauvais pied, une perte de temps appréciable pour trouver le bon. Pendant ces deux ou trois dixièmes de seconde, la belle occasion qui se présentait est passée, ou bien, bousculé ou en perte d'équilibre, il enverra du mauvais pied un « loupé » inefficace, sinon ridicule.

Le jeu de jambes et l'étude de l'équilibre en toute position devraient être, pour le footballeur comme pour un joueur de tennis ou une danseuse, l'objectif n°1 de tous les entraîneurs de juniors. La puissance et la vitesse viendront ensuite d'elles-mêmes, si le sujet a « de la classe ».

Or la plupart des gosses (j'ai fait, nous avons tous fait comme eux) font leur apprentissage en dribblant des cailloux tous les jours et tout au long du parcours qui sépare l'école de la maison paternelle. C'est passionnant, mais on prend de mauvais principes, car autre chose est de diriger, sur un terrain gras ou sous le vent, un ballon rebondissant, terriblement rapide et sensible, dont la moindre caresse modifie la trajectoire.

Il faudrait un volume pour décrire toutes les finesses de l'art du shoot. Nous devrons donc nous borner à quelques exemples élémentaires : pour shooter une balle arrêtée et la tenir au sol, il faut se tenir le plus près possible de la balle, corps penché en avant, genou fléchi au-dessus de la balle, talon fortement relevé, frapper avec le haut du cou-de-pied. Le poids du corps est ainsi transféré du talon à la pointe du pied d'appui.

Pour « enlever » le ballon, frapper avec l'extérieur du cou-de-pied ; et même, s'il s'agit par exemple d'un corner, avec l'intérieur de la pointe du pied. C'est ici la hanche qui donne l'impulsion, le genou non fléchi.

Pour une passe précise, mais relativement courte, la poussée est exécutée avec toute la surface intérieure du pied, ou, si la direction l'impose, avec l'extérieur du cou-de-pied (jab kick) des Anglais).

Dans la demi-volée (drop kick), l'extension du genou est complète. Pour botter la balle de volée, le mouvement doit partir de la hanche et l'articulation du genou se redresser au maximum.

Il faut que tous ces mouvements deviennent des réflexes, des automatismes.

Avant d'apprendre aux juniors les beautés du W. M., les subtilités du démarquage et les « combines », qui seront acquises par l'expérience sur le terrain, enseignez-leur d'abord l'A. B. C. du footballeur : se tenir sur ses pattes, ou sur une, toujours en équilibre afin de pouvoir botter de l'un ou de l'autre pied la balle dans toutes les positions. Sinon, les attaques amorcées par les meilleurs stratèges se termineront trop souvent par un shoot dans les décors, ou, comme cela m'est arrivé une fois, dans le panier de la marchande de « chocolats glacés ».

Dr Robert JEUDON.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 91