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Greffes de printemps

Nous avons déjà eu l'occasion, dans ces colonnes, de définir le greffage, procédé de multiplication courant pour nos arbres fruitiers, dont les différentes variétés ne se reproduisent pas fidèlement par graines.

La reprise de la greffe consiste dans la soudure du greffon, portion de l'arbre à reproduire, avec le sujet, ou porte-greffe, qui doit par la suite le nourrir. Cette soudure, en établissant la parfaite continuité des tissus de l'un et de l'autre, assure le passage de la sève du sujet dans le greffon. Elle s'effectue en deux phases.

Il se produit d'abord une union provisoire des deux parties par l'agglutination des débris de membranes sectionnées et des contenus cellulaires ; puis, plus tard, l'union définitive a lieu par la multiplication des cellules des assises génératrices libéro-ligneuses et péridermiques du greffon et du sujet. L'activité de ces assises provoque la réunion et la soudure des tissus ainsi constitués et, par suite, la mise en communication définitive du bois et du liber des deux individus.

Tous les végétaux ne peuvent pas être greffés entre eux ; il faut, entre le sujet et le greffon, une certaine affinité, qui n'existe que dans une même famille et, le plus souvent, dans un même genre botanique. Quelquefois, pourtant, des plantes de genres voisins peuvent se greffer les unes avec les autres, alors que des espèces du même genre ne sont pas susceptibles de l'être.

Ainsi, le pêcher se soude au prunier et à l'amandier ; le poirier reprend très difficilement sur pommier, d'espèce botanique très voisine, alors qu'il reprend parfaitement sur cognassier, de genre différent. Tandis qu'on ne réussira jamais, ou presque, la greffe de cognassier sur poirier, et qu'on pourra avoir plus de succès en greffant pommier sur poirier.

Ces affinités et ces antipathies, dont l'explication satisfaisante est toujours à trouver, sont connues des arboriculteurs, lesquels les ont déterminées par expérience. Il est primordial d'en tenir le plus grand compte.

Lors des greffages de printemps, il est utile que la végétation du greffon marque un léger retard sur celle du sujet pour éviter que ce greffon se dessèche par suite d'une transpiration trop active non compensée par l'alimentation en eau. Aussi doit-on récolter les greffons un ou deux mois avant leur emploi. Pour les conserver jusqu'à leur utilisation, on les enterre par la base au pied d'un mur exposé au nord, de façon à les maintenir stationnaires. On peut aussi les placer dans une cave froide en les mettant debout dans du sable frais.

La protection des plaies de greffe se fait avec des produits capables de résister à la fois à l'humidité et à la chaleur. Il existe, dans le commerce, des mastics à greffer qui s'emploient à froid et remplissent parfaitement ces conditions. Mais, dans les pépinières, on utilise des cires à greffer, de formules diverses, moins coûteuses, mais qui ne peuvent s'employer qu'à chaud. Ces cires sont ordinairement composées de poix, de cire jaune, de résine et de suif.

Greffe en fente.

— Elle se pratique au départ de la sève, en février-mars, quand les yeux commencent à s'ouvrir. Parfois aussi, et notamment pour le cerisier, on l'exécute en août-septembre, avec des greffons détachés au moment de l'emploi et effeuillés.

La greffe en fente simple convient pour des sujets de 2 à 4 centimètres de diamètre. Le sujet est coupé horizontalement à la hauteur voulue, soit à peu de distance du sol s'il s'agit d'une basse tige, soit à 2 mètres s'il s'agit d'une haute tige. La plaie faite par la scie doit être rafraîchie à la serpette ; puis, avec ce dernier instrument, sur le dos duquel on frappe légèrement, on fend le sujet par le milieu sur une longueur de 4 à 5 centimètres. La fente est maintenue ouverte à l'aide d'un petit coin en bois dur.

Le greffon est un fragment de rameau d'un an. Il est essentiel qu'il soit formé de bois bien aoûté et pourvu de deux ou trois yeux bien formés. On le prélève dans la partie moyenne du rameau. À sa base, sur une longueur de 3 à 5 centimètres, on le taille sur deux faces, en partant de l'oeil inférieur, de façon à lui donner la forme d'une lame de couteau dont le dos se trouverait du côté de l'œil. À la partie supérieure, il est sectionné un peu obliquement au-dessus du dernier œil. Ainsi préparé, il est introduit, jusqu'au sommet du biseau, dans la fente du sujet en ayant soin de faire correspondre aussi exactement que possible la partie interne des deux écorces. Pour être certain que cette correspondance existe au moins en un point, on donne au greffon une légère inclinaison par rapport au sujet. On retire alors le coin et, si le serrage est suffisamment énergique, on peut se dispenser de ligaturer. La ligature est cependant à conseiller. Il ne reste plus qu'à recouvrir les plaies du sujet et du greffon avec un mastic ou une cire à greffer.

La greffe en fente s'applique au pommier, au poirier, au prunier et au cerisier, plus rarement au pêcher et à l'abricotier.

Au lieu d'un seul greffon, les sujets de 5 à 6 centimètres au moins de diamètre en reçoivent deux, placés aux deux extrémités de la fente. C'est la greffe en fente double, dans laquelle le biseau des greffons présente à peu près la même épaisseur de chaque côté. Les chances de réussite sont ici doublées, mais, lorsqu'il s'agit de former la tête d'un arbre, l'un des greffons doit, par la suite, être supprimé, si tous les deux ont repris.

Pour de plus gros arbres, que l'on ne pourrait fendre sans les endommager, on pratique la greffe en incrustation triangulaire, encore appelée greffe à la Pontoise. Ici, le greffon, taillé en coin, vient s'insérer dans une cavité de même forme et de même dimension, pratiquée sur le sujet après étêtage.

Au noyer, on applique avec succès la greffe en fente terminale, qui ne comporte pas l'étêtage du sujet. Celui-ci est simplement fendu par le milieu pour recevoir le greffon. Les rameaux un peu forts se prêtent seuls à cette opération.

Greffe en couronne.

— Pour les gros sujets, qu'on ne peut plus fendre, on a souvent aussi recours à la greffe en couronne. Le greffon est taillé en un biseau très allongé. On le glisse entre l'aubier et l'écorce, écartée à cet effet. Il est donc indispensable, pour que cette greffe puisse se faire, que l'écorce puisse se détacher aisément, ce qui n'a lieu que lorsque la sève est en mouvement. La greffe en couronne se fait donc plus tard que la greffe en fente, deuxième quinzaine d'avril ou première quinzaine de mai. On s'en sert fréquemment pour regreffer des arbres improductifs ou changer la variété. Il est nécessaire que le sujet à greffer ait été rabattu, un peu au-dessus du point de greffage, au cours de la période d'hiver précédant celui-ci.

Suivant le diamètre du sujet ou de la branche à greffer, on pose un ou plusieurs greffons. La plupart des bons praticiens pratiquent sur le greffon, à la partie supérieure du biseau, un épaulement à angle droit qui, lorsque ce greffon est posé, vient reposer sur la tête du sujet.

Comme dans la greffe en fente, il est nécessaire de ligaturer les greffes et de mastiquer soigneusement les plaies. Ici, la ligature doit être moins serrée que dans la greffe en fente. Chaque greffe doit être munie d'un bon tuteur sur lequel il ne faut pas manquer d'accoler les pousses dès qu'elles atteignent une vingtaine de centimètres de long. La greffe en couronne, greffe de débutant, d'une réussite à peu près certaine, est, en effet, moins solide que la greffe en fente et est exposée à se rompre au ras de la tête du sujet lorsque les pousses sont déjà quelque peu allongées et que survient une violente tempête.

Soins à donner aux greffes après l'exécution.

— Quelque temps après le greffage, et lorsque la végétation du greffon a commencé à se manifester, il convient de s'assurer que la ligature n'étrangle pas celui-ci ; si l'on constate qu'elle a pénétré dans l'écorce, on la tranche sur le côté d'un coup de greffoir et, s'il est nécessaire, on la déroule avec précaution. On se contente de la desserrer si le greffon n'est pas encore bien fixé. Parfois on doit la renouveler.

Dès le début du développement du greffon, il faut ébourgeonner le sujet, c'est-à-dire supprimer tous les bourgeons qui naissent au-dessus et au-dessous de la greffe. Quand il s'agit de greffes faites à peu de distance du sol, les drageons, ou rejets souterrains, doivent être détruits chaque fois qu'il s'en produit.

En palissant la ou les pousses du greffon sur le tuteur, on les empêche de se briser et on leur fait prendre une direction convenable.

E. DELPLACE.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 96