L'article 79 de la loi du 1er septembre 1948
modifiée, sur les locaux d'habitation, autorise les locataires à échanger leurs
locaux, sous certaines conditions bien entendu.
Voici en quels termes il leur accorde cette faculté :
« Tout occupant bénéficiaire d'un maintien dans les
lieux, et tout locataire, est autorisé à échanger les locaux qu'il occupe, en
vue d'une meilleure utilisation familiale, sauf le droit pour le propriétaire
de s'y opposer pour des motifs reconnus sérieux et légitimes.
» Chaque échangiste doit au préalable avertir son
propriétaire par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée avec accusé de
réception. Si le propriétaire entend s'opposer à l'échange, il doit, à peine de
forclusion, saisir la juridiction compétente, aux termes des articles 46 et
suivants ci-dessus, dans un délai de quinze jours.
» Les échangistes restent respectivement tenus envers
leurs propriétaires respectifs de leurs obligations originaires. »
Ce texte de l'article 79 a fait l'objet d'une nombreuse
jurisprudence, dont nous allons essayer d'exposer les lignes générales. Quoique
cette jurisprudence ne soit pas encore bien fixée sur les divers points, elle
nous fournira d'utiles indications sur cette question.
1° Champ d'application de l'échange.
— Il peut être envisagé au point de vue des personnes
et au point de vue des locaux.
a. Personnes bénéficiaires.
— L'échange des locaux peut être demandé par tout
locataire ou occupant bénéficiaire d'un maintien dans les lieux.
Ce même avantage est reconnu au propriétaire occupant un
appartement de son immeuble.
Aucune disposition de la loi du 1er septembre
1948 ne prohibe l'échange entre plus de deux locataires, dès que les conditions
de l'échange sont remplies.
Par contre, ce droit de demander l'échange n'est pas applicable
aux locataires des habitations à bon marché, ni aux sous-locataires de locaux
d'habitation.
b. Locaux visés.
— L'échange n'est possible que pour les locaux
d'habitation visés à l'article 1er de la loi du 1er septembre
1948, c'est-à-dire situés dans les communes énumérées par ledit article et dans
lesquelles le bénéfice du maintien dans les lieux existe au profit des
locataires.
Est donc fondée l'opposition du propriétaire lorsque
l'échange doit être réalisé avec des locaux situés dans une commune non visée
par l'article 1er de la loi précitée.
2° De la demande d'échange.
— La demande d'échange doit être formulée, par écrit,
par chaque échangiste à son propriétaire.
Elle doit être faite soit par acte extrajudiciaire, soit par
lettre recommandée avec accusé de réception.
On peut la signifier soit au propriétaire lui-même, soit au
gérant de l'immeuble, qui est le mandataire qualifié du propriétaire.
La demande d'échange doit contenir l'indication du motif
pour lequel elle est faite.
3° Meilleure utilisation familiale.
— La demande d'échange doit être motivée par une
meilleure utilisation des locaux.
Est considéré comme présentant ce caractère :
— l'échange qui permet la réunion d'une famille au lieu
du travail du chef de famille ;
— l'échange qui assure une meilleure occupation des
locaux, c'est-à-dire une meilleure proportion du nombre des membres de la
famille de l'occupant avec le nombre de pièces de l'appartement ;
— l'échange qui est motivé par un état grave de santé
du locataire ou des siens.
4° Époque de l'échange.
— L'article 79 de la loi du 1er septembre
1948 n'indique pas à quel moment l'échange sollicité doit être réalisé.
Cet article exige que la demande d'échange soit au préalable
notifiée au propriétaire, mais il n'interdit pas aux échangistes de réaliser
cet échange après la notification, l'échange devant être déclaré opposable au
propriétaire à compter de la date de la notification, si le propriétaire n'a
pas présenté à l'appui de son opposition, et dans le délai de la loi, des motifs
reconnus sérieux et légitimes.
En prenant ainsi possession des lieux, les échangistes ne
l'ont fait qu'à leurs risques et périls, et sous réserve de la décision à
intervenir ; mais une demande d'expulsion formée contre eux ne peut être
recevable que si le propriétaire fait connaître le bien-fondé de son
opposition.
Par conséquent, le seul fait d'avoir pris possession des
lieux précédemment à toute décision de justice, mais postérieurement à la
notification de l'échange, ne peut constituer un motif de résiliation au profit
du propriétaire.
5° Renonciation à l'échange.
— La convention d'échange ne devient parfaite qu'avec
l'accord des échangistes et le consentement des propriétaires ou, à défaut, la
décision de justice.
Lorsque ces divers éléments ne sont pas réunis, elle ne
constitue qu'un projet et, dès lors, en l'absence d'intention frauduleuse, et
quels que soient les motifs invoqués, tout échangiste peut valablement renoncer
à en demander l'exécution ou à exécuter lui-même une convention d'échange d'appartement.
6° Motifs d'opposition du propriétaire.
— Le propriétaire ne peut valablement s'opposer à
l'échange que pour des motifs reconnus sérieux et légitimes.
a. Motifs admis.
Les motifs d'opposition admis comprennent notamment :
— le fait que l'un des échangistes n'habite pas une
commune dans laquelle existe le bénéfice du maintien dans les lieux au profit
des locataires ;
— le fait que le nouveau locataire ne détient
l'appartement qu'il échange qu'à titre d'accessoire de son contrat de travail,
encore que le locataire échangiste ait été agréé pour lui succéder dans ses
fonctions ;
— le fait que l'un des échangistes est sous-locataire
du logement qu'il occupe.
b. Motifs non admis.
Au contraire, ne sont pas admis comme motifs d'opposition de
la part du propriétaire à l'échange des locaux :
— le fait qu'un locataire avocat n'occupe pas les lieux
bourgeoisement, l'exercice de sa profession libérale n'étant pas incompatible
avec la clause d'obligation d'occupation bourgeoise ;
— le fait, pour un des échangistes, de n'avoir pas
assuré une occupation suffisante des lieux et d'avoir tenté un autre échange ;
— le congé donné à fin de reprise par le propriétaire
lorsqu'il est prouvé qu'il a été signifié dans le but d'empêcher l'échange ;
— le caractère indésirable que présenterait un
échangiste ;
— le fait que les échangistes ont cru devoir procéder à
la réalisation de l'échange avant l'expiration du délai de quinzaine ;
— le fait que l'appartement est insuffisamment occupé
par un échangiste dans les termes de la loi du 1er septembre
1948.
7° Procédure d'opposition du propriétaire.
— Si le propriétaire entend s'opposer à l'échange, il
doit, à peine de forclusion, saisir la juridiction compétente dans un délai de
quinze jours.
Le juge compétent est le juge de paix, lorsque le montant
annuel du loyer au jour de la demande n'excède pas 20.000 francs charges non
comprises ; sinon, c'est le président du Tribunal civil.
Il a été jugé que, faute d'avoir saisi la juridiction
compétente dans le délai de quinzaine, prévu par l'article 79 de la loi du 1er septembre
1948, à partir de la notification, le propriétaire qui s'oppose à l'échange
doit être déclaré irrecevable dans sa demande, même si cette demande, après
avoir été portée devant une juridiction incompétente dans les délais prescrits
par la loi, a été, après l'expiration de ces délais, portée à nouveau cette
fois devant la juridiction compétente.
Est aussi irrecevable comme tardive l'opposition formée par
le propriétaire plus de quinze jours après la notification de l'échange projeté
et ce, nonobstant le fait que, dès réception de cette notification, le
propriétaire a informé le locataire qu'il ne pouvait la considérer que comme
irrecevable.
Mais l'expiration de ce délai de quinze jours ne saurait
empêcher plus tard le propriétaire de demander la nullité d'un échange qui n'a
pu être que fictif, fait qu'il pouvait difficilement prévoir dès l'origine.
8° Décès d'un échangiste.
— Le décès de l'un des échangistes ne saurait nuire aux
intérêts légitimes de l'autre partie et doit être réalisé s'il est établi que,
à l'origine, le projet d'échange était régulier.
9° Échanges frauduleux, irréguliers.
— Lorsque l'échange projeté n'est pas sincère, le
caractère frauduleux de la manœuvre employée suffit à justifier la résiliation
de la location pour manquement grave aux obligations contractuelles, prévu par
l'article 84 du Code civil.
L'irrégularité de l'échange, en l'absence de toute intention
frauduleuse d'un échangiste, ne suffit pas pour entraîner la privation pour celui-ci
du logement qu'il occupait régulièrement avant la notification de l'échange.
10° Maintien des obligations des échangistes.
— Malgré la réalisation de l'échange, les échangistes
restent respectivement tenus envers leurs propriétaires respectifs de leurs
obligations originaires.
C'est qu'en effet l'échange a le caractère juridique de la
sous-location.
L. CROUZATIER.
|