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L'influence des couleurs

Voici bien longtemps que Goethe, dans sa théorie des couleurs, a jeté les bases des théories modernes, qui n'innovent rien, une fois de plus. Goethe regardait le monde à l'aide de verres colorés et signale déjà que le bleu donne un sentiment de froid, fait songer à l'ombre — et à la fuite des espaces devant nous ; le jaune réjouit l'œil, dilate le cœur, nous anime d'une chaleur subite ; il note le soulagement éprouvé, quand, par un jour sombre (tons bleus), le soleil apparaît et rend les couleurs visibles (tons jaunes et verts). Gœthe divisait déjà les couleurs en positives, actives ou stimulantes, poussant à l'action, au mouvement : rouges, orange, jaune ; et négatives ou réceptives, calmantes : différents bleus — vert et violet, couleurs de transition, étant en somme neutres.

Certes, les couleurs qui nous entourent, que nous portons, ont une influence psychologique marquée ; par leur vibrations différentes, elles changent le comportement, le moral, voire même la santé, l'aptitude au travail des humains, selon leur réceptivité, leur caractère, leur « moi ».

« Goûts et couleurs ne se discutent pas », affirme le populaire. « Je vois la vie en rose ! » proclame l'optimiste. Il ne se trompe pas. Le rose n'irrite pas la vue, calme les nerfs, porte à la douceur et se recommande pour les jeunes ; les adultes préfèrent des lieux colorés de vert tendre, si répandu dans la nature, et excellent pour cadres, tableaux ; il agrandit les pièces. En principe, s'abstenir du vert épinard foncé et de tentures à fleurs, scènes champêtres qui lassent et énervent.

« Cette couleur parle ! » dit-on. La parole n'est qu'affaire de vibrations, tout comme la couleur ; des « tons chantent » !

« Les parfums, les couleurs et les sons se répondent », a dit Baudelaire. Désormais, on tient compte des effets colorés éveillant des associations d'esprit, d'impressions, d'atavisme, de symbolisme (émaux des blasons, astrologie), provoquant des phénomènes de transposition, parfois d'audition colorée.

Chez certains sujets, en effet, le son de chaque voyelle est en même temps perçu comme une couleur ; l'audition colorée a exercé la sagacité des savants et s'illustre par le célèbre sonnet de Rimbaud :

A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles ...
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.

La couleur des sons varie d'ailleurs suivant l'auditeur ; la musique évoque chez d'autres une teinte caractérisant les œuvres d'un auteur, ou une seule phrase musicale : le Prélude en ré bémol de Chopin sera « vu » gris pâle, tandis que Le Vaisseau fantôme de Wagner sera vu vert.

La littérature associe les sons en ô, au, on au jaune (Verhaeren) :

Monotones s'en vont les sons,
Monotones par les automnes.

Samain parle des parfums « sombres », et Verlaine :

Les sanglots longs
Des violons
De l'automne
, etc.

Voici une note de Léon Gozian, toute d'intuition, étonnante de justesse :

« Comme je suis toujours un peu fou, j'ai toujours rapporté, je ne sais trop pourquoi, à une couleur ou une nuance les sensations diverses que j'éprouve. Ainsi, pour moi, la pitié est bleu tendre, la résignation est gris-perle, la joie est vert-pomme, la satiété est café au lait, le plaisir rose velouté, le sommeil est fumée de tabac, la réflexion est orange, la douleur est couleur de suie, l'ennui est chocolat. La pensée pénible d'avoir un billet à payer est mine de plomb, l'argent à recevoir est rouge chatoyant ou diablotin. Le jour du terme est couleur de Sienne, vilaine couleur ! Aller à un premier rendez-vous, couleur thé léger ; au vingtième, thé chargé. Quant au bonheur ! ... Couleur que je ne connais pas ! »

L'astrologie attribue aux pierres de couleurs des vertus curatives ou talismaniques ; le goût pour les pierres précieuses, si variable suivant les individus, mais très vif pour les occultistes, les initiés, les intuitifs, qui en font des « supports », vient de leurs belles couleurs, harmoniques du tempérament du possesseur.

Les radiesthésistes ont, paraît-il, mesuré les longueurs d'ondes des couleurs, des pierres, des métaux et des humains, et nous expliquent pourquoi, de même que nous accordons notre récepteur sur l'onde choisie, caractérisant l'émetteur de T. S. F., de même notre personnalité vibre en harmonie avec telle ou telle longueur d'onde.

Les praticiens du magnétisme ont signalé depuis longtemps que les sensitifs, êtres faciles à endormir et très aptes aux expériences, aiment le bleu et détestent le jaune. Question d'accord, de self, dira le physicien ...

Ainsi certain ton nous horripile, qui plaît au voisin ! Néanmoins, nous allons voir qu'une certaine majorité se dégage, ce qui a permis de rationaliser l'emploi des couleurs et des sources d'éclairage.

La lampe antique fumeuse était d'une couleur rougeâtre « chaude », l'incandescence actuelle est jaune (comme notre soleil) ; les autres sources donnent blanc, ou, mieux (fluorescence), blanc rose, plus « chaud ».

Dans le spectre aux sept couleurs, plus la longueur d'onde s'élève, plus la sensation de chaleur domine (du jaune au rouge). Pourtant aucune variation de température du sujet n'est décelée ; l'effet suggestif est bienfaisant (orange favorise ainsi la digestion).

Le jaune, très voyant, a été adopté par l'industrie pour les signaux, les affiches. Les couleurs claires favorisent le rendement, les sombres « alourdissent » les objets ; par suite, de lourdes caisses noires, repeintes en vert clair, parurent plus légères aux manutentionnaires.

En 1948, une vieille usine sale fut nettoyée : plafonds blancs, murs vert clair, machines grises, fermes et fers aluminium. Le résultat fut : améliorations des rapports maîtrise-ouvriers, production presque doublée et sans rebuts, forte impression sur la clientèle, absences réduites.

En France est appliqué un système presque ésotérique de l'emploi des couleurs : dans une fonderie, le couloir allant aux bureaux est bleu-ciel (froid, calme, invitant à passer vite) ; le bureau directorial est jaune (excitant intellectuel), avec bordures pourpres (commandement, sang-froid), plancher vert (équilibre des tendances, havre de repos).

Le secrétariat est jaune avec plaques vertes (intellect), plancher clair, neutre (harmonie). Bureau de paie, bruyant et très fréquenté, bleu (calme, repos des nerfs) ; celui du Comité d'entreprise jaune et bleu (conciliation, intelligence réfléchie).

Le chef de fabrication, praticien dont on cherche à élever l'intellect, est voué au jaune.

Tout ceci est bariolé pour un Français, mais s'est révélé efficace à l'usage.

Désormais, dans l'industrie, les appartements, les édifices publics, on tient compte du facteur de réflexion des teintes, car une brillance trop élevée fatigue l'œil.

Si le plafond doit réfléchir beaucoup, murs et machines auront un facteur de réflexion de 0,5, les murs avec deux bandes de teintes différentes (blanc brillant, cote 0,8 ; jaune, vert et bleu pâle, 0,6 ; bleu ciel, marron, 0,3 ; rouge, vert et bleu sombre, 0,15). Les contrastes sont employés pour de grandes surfaces : teintes pâles, chaudes ; pour les objets qu'y s'y trouvent : vives, claires et froides. Si la chaleur gêne (fours), on illusionne les sens en colorant les murs de bleu (froid) et les fours de rouge (chaud). Le travail prolongé demande la lumière dite « du jour » ; il faut prendre pour les machines le gris bleu, salissant et permettant un nettoyage facile par contraste. Exemples (usines, labos) :

    — murs (chauds) : chamois clair, beige crème, ocre jaune pâle ;

    — machines (froides) : vert clair, bleu vert clair, bleu clair.

    — planchers en harmonie avec murs et plafonds ; inverser pour ateliers chauds.

Notons que l'acier et l'aluminium sont plus visibles sur fond gris que sur fond coloré.

En signalisation ont été adoptés :

    — jaune : danger (en bandes alternées ou non) ;

    — orange : feu, brûlures (bandes) ;

    — rouge : contre l'incendie (uni) ;

    — vert : poste de secours (croix verte) ;

    — blanc ou noir et blanc : parcours, escaliers (bandes obliques alternées) ;

    — bleu : attention attirée sur organes (bandes, macarons).

Pour les sceptiques, notons quelques expériences à grande échelle ou contrôlées : à Montfermeil (S.-et-O.), une cantine scolaire est fondée en 1946 par l'instituteur, M. Paumier, disciple de A. Carrel, et qui « remonta » trois cent cinquante enfants mal nourris. Il leur fit manger de la couleur : murs de tons gais, bleu rose, gris bleu, beige rosé ; toiles cirées et rideaux de mêmes tons, gravures murales changées tous les trois mois, assiettes et bols beiges, à motifs accordés avec ceux des parois ; le déjeuner devenait une petite fête. Pour les hors-d'œuvre, opposition de couleur : rouge, vert, jaune et blanc éveillent l'appétit.

En Grande-Bretagne (à la British Colour Council), en Amérique (Pittsburg Plate Glass Cy., Dupont de Nemours, etc.), en France (Aciéries de Longwy, Syndicat textile Roubaix-Tourcoing, Imprimerie Letouzey — dans cette entreprise, les heures improductives passent de 20 à 4 p. 100), Dupont de Nemours signale que l'emploi d'un code de couleur pour la sécurité abaisse de 40 p. 100 le nombre des accidents (à ce sujet, dès 1935, la Marine avait déjà défini près de cinquante teintes pour les canalisations de ses navires).

L'Association française de normalisation a étudié l'effet des couleurs, ce qui est une consécration.

Bien qu'il soit utile malgré tout (tempérament, adaptation) d'obtenir l'approbation des intéressés, on doit s'en tenir aux teintes claires, au vert : murs vert clair, soubassement lavable plus foncé et plafonds blancs ou crème, plinthes vert foncé, sol beige.

Dans les usines, adopter : bleu pâle pour conduits d'électricité-lumière, bleu foncé pour la force, vert pour eau froide, strié de rouge pour eau chaude, gris pour le gaz, jaune pour manettes et leviers, strié de rouge pour arbres, crochets, poulies, pièces mobiles dangereuses, rouge pour le matériel d'incendie (cette dernière application est déjà connue de la multitude).

Mentionnons que l'impression de hauteur ou de grandeur d'une pièce varie suivant la couleur employée ou la disposition des tons : les teintes horizontales diminuent la hauteur, et que le jaune et l'orange « réchauffent » une pièce froide.

En attendant que les employeurs se penchent tous sur ce problème, concluons que nous devons choisir avec soin les couleurs qui embelliront notre demeure, ou dont seront teints nos vêtements, et rappelons-nous une fois de plus que le vert, le bleu, le mauve et le gris clair ne procurent ni l'enthousiasme, ni la gaîté ; mais, si vos nerfs ont besoin de calme, si vous êtes de tempérament sanguin, coléreux, vous en tirerez un apaisement certain.

L'ocre, le jaune vif et le rose rayonnent la joie, la vie, la gaieté — couleurs des optimistes, bons vivants, à rechercher par l'apathique et le mélancolique:

Rouge, orangé, irritantes et violentes pour les nerfs, poussent à la colère et ne sont à recommander qu'aux grands indolents lymphatiques.

Mais, surtout, fuyez les teintes tristes et neutres : vert foncé, gris sombre, marron, noir, couleurs désespérantes, ennemies de votre vitalité et de votre optimisme.

R. MIETTE.

Le Chasseur Français N°660 Février 1952 Page 123