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Le calibre 10

Divers lecteurs nous reprochent de passer sous silence les possibilités des armes dites de gros calibre, et particulièrement celles du calibre 10, qui est encore une arme portative, mais très puissante, et qui, à ce titre, peut intéresser de nombreux chasseurs. La question a été traitée dans ces causeries, il y a une quinzaine d'années : nous la reprenons bien volontiers, non pour apprendre quelque chose de très nouveau aux usagers, généralement spécialistes, qui savent ce qu'ils peuvent faire de leur arme, mais plutôt en vue d'exposer aux amateurs éventuels ce qu'il est permis d'attendre du calibre 10 et de leur indiquer quelle est sa marge d'utilisation.

Nous avons fait remarquer que, dans la pratique de la chasse courante, une charge d'environ 30 grammes de plomb permet un tir très suffisamment efficace de la grande majorité des gibiers de notre pays. Que cette charge, légèrement réduite dans les 24 grammes du calibre 20 ou quelque peu renforcée avec les 32 grammes du calibre 12, convienne plus spécialement à certains tirs et à certains tireurs, c'est là une évidence pratique, mais, en réalité, les armes des trois calibres, 20, 16 et 12, ont ce caractère commun d'être essentiellement portatives.

Si nous désirons aborder les portées efficaces supérieures à celles du calibre 12, nous allons nous trouver en présence de conditions très différentes. Les conséquences sont toujours les mêmes : la portée efficace impose la charge, celle-ci conditionne le recul, qui lui-même implique, pour être acceptable, un poids minimum. Or ce poids, lequel est voisin de 4 kilogrammes, fait tout de suite sortir l'arme de la catégorie précédente. Si elle est encore facilement maniable de pied ferme, elle ne saurait être commodément portée un peu longuement et, d'autre part, la recherche de groupements particulièrement serrés ne permet plus d'écarts de visée importants.

Comment sont constitués dans la pratique les fusils calibre 10 ? La charge théorique, égale au dixième de l'ancienne livre, devrait être de 48 grammes ; depuis assez longtemps, elle a été réduite à 44 ou 45 grammes, laquelle tient facilement dans une douille de 75 millimètres. On emploie des charges de poudre susceptibles d'assurer une vitesse initiale de 360 mètres, soit 2gr,60 de poudre T ou 6gr,50 de poudre noire forte n°1.

Tout ceci constitue une moyenne raisonnable ; on rencontre parfois des calibres 10 à un coup, dont la fabrication remonte au milieu du siècle dernier, lesquels employaient une charge de plomb un peu supérieure à 50 grammes, mais avec une vitesse initiale voisine de 300 mètres ; nous n'avons pas à les regretter, car ils n'offraient aucun avantage sérieux et étaient peu maniables.

Nous donnons notre préférence à la poudre T, l'emploi de la poudre noire n'assurant ici aucun avantage.

En dehors de ces charges normales, les amateurs de chargements particuliers ont toute latitude d'essayer toutes les combinaisons raisonnables auxquelles ils attribueraient des vertus spéciales. Certaines armes dont les dimensions ne sont pas absolument standard peuvent, en effet, mieux se comporter avec des charges légèrement différentes, et nous ne découragerons jamais les expérimentateurs sérieux quand ils veulent bien se livrer à des essais convenablement conduits.

En ce qui concerne les armes elles-mêmes, nous trouverons deux types bien distincts :

L'arme a un coup, relativement légère, canon de 0m,80, chambré à 75 millimètres, relativement très maniable et devant être utilisée avec un sabot amortisseur.

L'arme à un double canon, même longueur et même chambrage, sensiblement plus lourde, moins maniable, mais de recul à peu près comparable à celui des fusils ordinaires.

On peut d'ailleurs modifier le recul de l'un et l'autre type par l'adjonction d'une plaque de plomb sous la plaque de couche.

On voit, comme nous le disions plus haut, que ce genre de calibre 10 à deux coups, s'il conserve la ligne générale de l'arme de chasse, n'est plus une arme à porter en permanence, et que le tireur doit conserver toute sa force pour la manier vite et bien lors de l'emploi.

Que gagne-t-on à utiliser le calibre 10 ? Sa charge est les 45/32 de celle du calibre 12, soit 40 p. 100 de différence. Combinée avec un forage peu dispersant, il en résulte une notable augmentation de portée efficace, variable bien entendu avec le numéro de plomb employé et, par conséquent, avec les gibiers chassés. D'autre part, le prix élevé de sa munition n'en fait évidemment pas une arme destinée au tir d'une pièce isolée, sauf cas exceptionnel.

Le fusil double calibre 10 sera particulièrement l'arme du chasseur de canards à la passée, à l'approche en bateau et même à l'approche le long des cours d'eau lorsque le terrain est bien connu. Dans ce cas, le port de l'arme a lieu le plus fréquemment à la bretelle ; le fusil n'est mis en mains qu'en temps voulu.

La densité de la gerbe permettra d'atteindre plusieurs pièces à la fois dans les vols comportant un grand nombre d'oiseaux ainsi que sur les bandes bien groupées à l'approche ou à la hutte. Ses deux coups, qui totalisent 90 grammes de plomb, ont une puissance très supérieure à celle des calibres 12 renforcés.

On nous a parfois demandé pourquoi on ne construisait pas des armes à deux coups avec départ simultané de manière à obtenir les effets d'un calibre très supérieur en s'arrangeant pour atténuer le recul moyennant une augmentation du poids. Cette idée a été émise plusieurs fois en balistique ; elle est séduisante en ce sens que les deux canons ne travaillent pas davantage lorsqu'ils tirent simultanément, seule la bascule supporte un effort plus considérable, mais il serait facile d'y remédier par des aciers spéciaux et une section un peu plus grande. La véritable raison pour laquelle le dispositif n'a pas été adopté est la suivante : dans les armes à percussion, la simultanéité des départs n'existe qu'à l'oreille et les charges ne parcourent pas le canon exactement en même temps ; il en résulte des vibrations irrégulières, dont il est très difficile de corriger les effets, et les centres de groupement ne coïncident jamais parfaitement. Il ne faut donc pas compter sur une dispersion aussi réduite que dans le cas du même poids de plomb tiré dans un seul canon.

Nous terminerons en disant que les munitions calibre 10 ne supportent pas la médiocrité pour deux raisons. En premier lieu, parce qu'il convient d'obtenir du forage de l'arme le minimum de dispersion ; en second lieu, parce que lesdites munitions, exposées le plus souvent à l'humidité, doivent être aussi étanches que possible. On fera donc usage des meilleures douilles et des meilleures bourres, certain que l'on sera d'y retrouver son compte.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C. P.

Le Chasseur Français N°661 Mars 1952 Page 129