Il n'est pas indispensable, à mon humble avis, d'être du
nombre de certains tireurs d'élite particulièrement dotés d'une vue
exceptionnelle et d'un parfait équilibre nerveux pour placer très
convenablement une balle en cible, toutes conditions étant réalisées pour
obtenir un maximum de chances de mettre dans le mille.
Le tir est, certes, un exercice passionnant, et beaucoup de
personnes, surtout parmi les jeunes qui s'y adonnent avec ardeur, arrivent à de
très beaux résultats.
Mais je ne sais si bien nombreux sont ceux qui ont songé
franchir avec leur arme les limites du stand pour exercer leur talent dans la
campagne ou les bois, voire même, et surtout, au bord de la mer, en quête de
jolis coups de longueur toujours intéressants, quelquefois de bon rapport.
Qui sait se servir d'une carabine à balle se réserve bien
des satisfactions, toujours beaucoup d'agrément et souvent de vives émotions.
Le fusil de chasse, aussi parfait qu'il soit, laisse au
gibier, surtout s'il est petit, quelques chances de s'échapper, car le
groupement du plomb, même bien envoyé, peut très bien, surtout si la distance
est un peu grande, laisser une plage neutre par où passera indemne l'alouette,
la grive ou la bécassine posée de bien faible surface vulnérable. Tout plomb
qui passe dans les plumes ne tue pas. La limite de portée est surtout vite
atteinte et le grain qui touche devient insuffisant pour arrêter net l'oiseau
qui, dès lors, est perdu pour le chasseur. Il est enfin indéniable que le tir
au fusil d'un oiseau posé à terre, sur l'eau ou même sur une branche, est
souvent déconcertant.
Un de mes amis, excellent tireur et fervent de la chasse à
la hutte de jour, se plaisait à tirer à balle tous les oiseaux d'eau qui se
posaient sur les bords de la flaque. Il affectionnait ce genre de sport et ne
manquait jamais son but.
Eh bien ! laissons donc nous aussi, pour la
circonstance, notre ami l'hammerless au râtelier et prenons notre carabine.
Cette arme est légère en général, sa munition est
relativement peu onéreuse, elle porte loin et juste si l'on sait la choisir, et
fait rarement grâce. Avec elle disparaît pratiquement le facteur distance et,
de ce fait, la trop fréquente déception : « trop loin, trop loin ! »
Il existe des carabines de petits calibres, 6 millimètres ou
5mm,5, employant des munitions variées permettant le tir de 25 à 200
mètres, selon le forage des chambres. La rapidité du tir étant ici secondaire,
les automatiques ou semi-automatiques ne semblent pas entrer en ligne de
compte.
Selon que l'on veut pratiquer tel ou tel genre de chasse, il
faut naturellement se munir de l'arme appropriée, qui devra toujours être de
haute précision et très bien réglée.
Considérons d'abord le tir à portée relativement faible dans
les jardins, parcs ou bois de moyenne futaie.
La 6 millimètres chambrée court conviendra très bien,
d'autant plus que cette arme peut employer deux sortes de cartouches, la bosquette,
qui porte jusqu'à 25 ou 30 mètres, et la cartouche à balle ogivale, plus
chargée, pour le tir jusqu'à 50 mètres. Il existe aussi une troisième munition
à balle creuse expansive, très meurtrière et à portée plus grande encore, qui
peut être utilisée contre tout animal de forte vitalité. (Je me souviens d'un
certain chat demi-sauvage tué net à une bonne quinzaine de pas d'une telle balle
entre les deux yeux.)
Il va sans dire que l'arme doit avoir une fermeture robuste,
dans le genre de celles dites à verrou, qui offrent toute sécurité ; elle
doit aussi posséder un extracteur parfait.
Je citerai ici quelques coups qui me viennent à la mémoire :
c'est le faucon embusqué au sommet d'un grand cyprès ou sur la crête d'une
vieille ruine, qui, foudroyé, tombe à la verticale ; le corbeau qui dévale
à grand fracas dans le feuillage d'un arbre séculaire ; la petite
pie-grièche clouée sur place sur son buisson, au milieu de ses victimes, ou le
gros oiseau de proie qui, touché à mort, ne se décide pas à lâcher prise et
subitement s'effondre à vos pieds, augmentant votre collection d'un beau
trophée. C'est enfin la pie ou le geai, qui jacasse étourdiment et,
brusquement, se tait pour toujours, ou la superbe palombe qui descend en grands
cercles de son ultime perchoir pour s'abîmer sur la mousse du sous-bois, les
ailes toutes grandes déployées.
Je me rappelle, non sans un certain plaisir rétrospectif, ces
beaux tableaux de grives au poste, d'étourneaux et de merles pilleurs de
cerisiers, de tourterelles dans l'arbre qu'elles affectionnaient, et même de
moineaux déprédateurs de semis. Dans certains cas, le pourcentage des pièces
atteignait plus de 100 p. 100 des coups de feu, certains coups d'enfilade
faisant plusieurs victimes. La fatigue ou le manque de munitions mettait
souvent fin à la partie.
Plus on tire, plus se perfectionne l'adresse. Il s'établit
entre les muscles et l'arme un équilibre parfait, et le coup d'oeil lui-même
devient si rapide que l'on arrive à tirer les deux yeux ouverts, ce qui
augmente encore la joie de la chasse, car l'on voit nettement culbuter sa
pièce, sous la pression du doigt sur la détente. Ici point de bruit
assourdissant, point de recul désagréable, partant point d'appréhension
instinctive au départ du coup, toutes les facultés sont concentrées sur la
visée, d'où précision accrue.
Il m'est arrivé personnellement d'abattre une tourterelle en
plein vol, de faire deux tronçons d'une libellule tournant autour d'un étang,
d'éteindre une bougie en lui coupant la mèche sans autre dommage ...
Hasard, me direz-vous ; en partie peut-être.
Si l'amateur du tir à balle veut étendre le champ de ses
prouesses, il lui faut abandonner son arme dite de « salon » et
adopter l'une des carabines de chasse chambrées long, autrement puissantes.
J'ai, pour ma part, employé autrefois trois de ces
excellentes armes :
- une carabine de sport de 6 millimètres, à cartouche extra
longue à balle conique ;
- une carabine à 3 coups simultanés tirant la même cartouche
que la précédente ;
- enfin une carabine 5mm,5 (calibre 22)
semi-automatique, tirant la cartouche long rifle.
Toutes les trois ont une portée, une pénétration et une
précision remarquables, mais, comme ici la distance à laquelle on tire est
souvent très grande, on ne peut plus parler de pourcentage élevé de coups au
but, car trop de facteurs défavorables imprévisibles interviennent. Néanmoins,
il est encore possible au cours d'une sortie de mettre quelques pièces dans le
carnier, d'autant plus précieuses qu'elles auront été acquises avec plus de
difficulté.
Les superbes plages qui s'étendent sans obstacles de la
jetée est de Dunkerque à la frontière belge (près de 12 kilomètres) et celle à
l'ouest de ce port, sans limites pour les jambes du plus endurant des
chasseurs, constituent des champs de tir superbes, où rien ne gêne la vue et
partout sans danger. On peut, ou du moins on pouvait, dans mon jeune temps, s'y
adonner à cœur joie à la chasse et au tir à toute portée.
Les nombreux courants qui, à marée basse, ondulaient vers la
mer, et les grandes flaques d'eau qui les alimentaient étaient autant de
rendez-vous où les oiseaux, en toutes saisons, s'ébattaient, dormaient au
soleil ou picoraient les coquillages amoncelés en véritables bancs sur leurs
bords.
Mais là, pas de cachettes, rien que le désert, et la gent
ailée, qui a bon œil, ne se laissait pas approcher. La parole était à la
carabine, il fallait tirer de loin, de très loin, mais quelle satisfaction de
savoir que vos balles pourraient toujours atteindre le gibier. Au chasseur de
toucher.
Je puis citer un coup de longueur ou mes trois balles
abattirent, dans une énorme bande posée prise en travers, quatre mouettes.
Combien de victimes seraient restées si j'avais pu tirer en enfilade, mais la
plus élémentaire prudence me l'avait malheureusement interdit. Combien de gros
oiseaux de mer isolés, tués d'une seule balle, de canards restés sur l'eau,
tirés dans des bandes bien garnies, à des portées incroyables, et bien d'autres
victimes qu'aucune chevrotine n'aurait pu atteindre. J'ai vu des chasseurs
réussir de pareilles prouesses devant des pêcheurs témoins qui restaient
stupéfaits, n'entendant pour ainsi dire pas de détonation, et se demandaient
quels étaient ces nouveaux « fusils diaboliques » ! ...
J'oserais à peine citer certains faits incroyables, si je ne
les avais vus de mes yeux ou accomplis moi-même. Ils sont relatifs au tir au
vol. Cela coûte plus cher en munitions, mais qui ne risque rien n'a rien.
Me trouvant à bord d'un bateau à vapeur par gros temps, le
capitaine, à qui j'avais confié ma carabine, abattit d'une balle unique un
goéland qui passait à hauteur des mâts. Moi-même, de la terre ferme cette fois,
je brisai le cou à un grand grèbe qui nageait sur la mer calme. Enfin, tirant
sur trois macreuses qui volaient l'une derrière l'autre par grand vent, en
rasant les vagues, je tuai raide la seconde, devant un promeneur qui n'était
certes pas le plus étonné de nous deux.
Un de mes frères, possesseur d'une 22 à lunette, abattit un
petit faucon qui faisait le Saint-Esprit, très haut au-dessus de lui, et ce
n'était pas la première fois.
Sans doute faut-il, je le répète, tenir compte ici du
facteur chance, et ces coups, triés sur le volet, ne sont point monnaie
courante, mais quand même, n'étaient-ils pas la résultante ignorée d'une longue
pratique et d'une très grande habitude ?
Le petit diamètre de la balle accorde parfois au gibier une
survie plus ou moins longue. Témoins des mouettes tirées dans des bandes qui
partent avec leurs congénères sans avoir accusé le coup et ne tombent que bien
loin, ou ce grand courlis qui, le cou traversé et perdu de vue, ne vint
atterrir, fait inexplicable, que longtemps après pour expirer exactement à mes
pieds. D'autre part, une oie blessée à mort en vol, par une balle de gros
calibre, ne fut retrouvée qu'au retour d'une randonnée sur la plage, où elle
était venue mourir. Quelquefois, une pièce bien touchée se relève à votre
approche et vous échappe pour toujours, tandis que vous n'aurez qu'à ramasser
telle autre paraissant peu atteinte, si vous lui laissez le temps de succomber ;
mais comment prendre la juste décision ? ...
Un certain hiver, il faisait très froid, j'essayais
d'approcher sur la plage une belle bande de gros goélands, mais, à environ 150
mètres, tous prirent leur essor. Risquant le tout pour le tout, je leur envoyai
nerveusement, et au jugé, les trois balles que j'avais dans ma mitraille.
J'entendis nettement le choc d'une balle au but et bientôt un oiseau tomba. Il
était très loin et tout proche de la mer.
J'étais bien jeune alors; depuis longtemps ces beaux oiseaux
sauvages à l'extrême faisaient l'objet de ma convoitise et je n'avais jamais pu
en décrocher un au fusil de chasse. Fou de joie, je me précipitai aussi vite
que je pouvais courir, le voyant déjà dans mon carnier et ornant bientôt
superbement ma véranda. Hélas ! arrivé à quelques pas de lui, mon goéland,
que je vis de près et en effet superbe, ouvrit ses grandes ailes de velours
noir et s'envola pour retomber dans la mer démontée, à cinquante pas de moi. Il
ne tarda pas à flotter, les pattes en l'air, et, poussé par le vent et le
courant, il partit à tout jamais en dérive. J'ai toujours regretté de n'avoir
pas patienté, je l'aurais ramassé sans vie sur le sable. À qui semblable
déception n'est-elle pas arrivée ! ...
En terminant, qu'il me soit permis d'écrire ce dernier
alinéa à l'intention des jeunes, particulièrement des débutants, pleins
d'ardeur, en leur recommandant la prudence dans l'exercice de ce genre de
chasse.
Ne vous laissez jamais hypnotiser, même par la plus belle et
la plus rare pièce que vous voyez au bout de votre guidon, au point d'en
oublier le monde extérieur. Si vous tirez bas, rendez-vous compte où portera
votre balle qui va loin. Un coup parti ne se rattrape pas ! Ne vous
exposez pas aux amers regrets d'un accident qui ne doit pas arriver.
Gare aussi aux ricochets, surtout sur l'eau. S'il est
désagréable d'entendre siffler à l'oreille un projectile qui a déjà touché, il
l'est encore plus de forcer un voisin à baisser la tête ou à faire le gros dos.
Amateurs de grand air et de belles et saines randonnées, si
vous avez la chance d'habiter des régions favorables à ce genre de chasse, si
vous vous sentez quelque attrait pour ce sport captivant, essayez-le,
pratiquez-le. Vous joindrez l'agréable à l'utile. Sans doute, votre carnier ne
sera pas toujours garni de pièces dignes de figurer sur la table de fins
gourmets, mais du moins vous aurez la joie de réaliser de belles performances de
tir et vous détruirez certainement maints animaux nuisibles, surtout de la gent
ailée dont les déprédations ne sont pas pour peu dans la diminution du vrai
gibier, gloire et récompense des vrais chasseurs.
Dr L. CHAVERON,
Abonné.
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