Les distances énormes franchies par les oiseaux
migrateurs ont toujours frappé les esprits, surtout quand il s'agit de certains
gallinacés, comme les cailles, les poules d'eau et les râles, dont le vol est
si lourd et qui paraissent mal construits pour entreprendre de grands voyages
d'un seul bond. Or ceux-ci n'en franchissent pas moins les mers.
Il convient toutefois de remarquer que les espèces nous
venant d'Afrique peuvent suivre en partie les côtes d'Italie et d'Espagne et
qu'elles rencontrent en mer des îles ou îlots qui peuvent leur servir de relais ;
il faut aussi considérer que leur vitesse est plus rapide que celle des
bateaux. Quant aux oiseaux qui nous viennent du Nord, ils ont peu de mers à
franchir. Ceux qui nous viennent occasionnellement d'Amérique sont, pour la
plupart, des palmipèdes ou oiseaux aquatiques, qui peuvent se poser sur l'eau
et s'y maintenir fort longtemps, même braver les tempêtes. Il n'est d'ailleurs
pas exclu que certaines espèces terrestres puissent se poser aussi sur l'eau
pendant un certain temps. Il est pourtant fréquent que les navigateurs voient
s'abattre sur leurs navires des vols de migrateurs, si épuisés qu'ils se
laissent prendre à la main.
On peut supposer qu'avant de prendre leur départ les oiseaux
se gavent d'une nourriture abondante, afin de pouvoir supporter le jeûne qui
s'impose à eux pendant une partie de leur voyage. Il en est très probablement
ainsi pour ceux qui sont obligés de franchir de longs espaces sans ressources ;
mais il est des espèces, notamment les oiseaux aquatiques, qui suivent
volontiers les routes jalonnées de fleuves et étangs, sur lesquels ils font
halte. La plupart des oiseaux migrateurs voyagent ainsi par étapes. Certaines
espèces voyagent le jour et se posent au crépuscule ; ainsi voit-on les
vols de grues, qui se dirigent vers l'Afrique venant du Nord-Est de l'Europe,
se succéder dans le ciel, en octobre, en piquant vers le sud, et, au déclin du
jour, se poser dans les plaines pour repartir avant le lever du soleil. Ce
n'est qu'exceptionnellement et sans doute harassés par une longue étape, ou
prévoyant qu'ils en ont une plus longue à franchir, que ces oiseaux restent un
jour entier à terre ; il est cependant des régions qui doivent convenir à
leur restauration et qui les retiennent parfois plusieurs jours, exacerbant la
convoitise des chasseurs qui parviennent rarement à pouvoir les tirer en raison
de leur vigilance extrême. Des canards voyagent de même et ne se posent sur nos
fleuves ou étangs que pour y prendre un court repos et quelque nourriture.
Divers rapaces voyageurs, qui parfois sillonnent nos cieux en troupes d'une ou
deux douzaines d'individus, en décrivant des orbes harmonieuses, semblent bien
plus préoccupés de repérer au sol les proies qu'exige leur gloutonnerie que
d'arriver rapidement au terme de leur randonnée. Toutefois ce manque de hâte et
ce vol si particulier tiennent en grande partie à leur état de purs voiliers.
Les rapaces nocturnes, qui émigrent aussi, trouvent chemin faisant une
abondante nourriture.
Cependant, beaucoup d'oiseaux diurnes, dont les yeux ne sont
pas faits pour se mouvoir particulièrement dans l'obscurité, voyagent
exclusivement la nuit ; tels sont notamment les ortolans, les grives, les
bécasses, les rossignols, les fauvettes, les cailles et les hirondelles. On
remarque, en passant, que presque tous les oiseaux chanteurs sont voyageurs
nocturnes. Or ces oiseaux, qui, presque tous, se nourrissent pendant le jour,
ont besoin de rechercher leur nourriture entre le lever et le coucher du
soleil. Volant pendant la nuit, on pourrait supposer qu'ils aménagent leur
voyage de façon à prendre un peu de repos. Diverses observations semblent
pourtant prouver qu'il n'en est rien et qu'ils passent tout le temps de leur
migration éveillés. En effet, ceux d'entre eux que l'on tient prisonniers dans
des cages restent dans un état d'agitation continuelle, tant la nuit que le
jour, sans même s'occuper de se nourrir, pendant toute l'époque des migrations.
Ils chantent même de préférence la nuit, surtout par clair de lune, ce qui
semble correspondre aux moments les plus propices au voyage qu'effectuent leurs
frères libres. On peut donc admettre que l'instinct de la migration provoque
chez les individus qu'il affecte un état tout particulier, pour lequel leur
organisme est agencé, qui leur permet de supporter le jeûne et l'insomnie,
ainsi que la fatigue qui en résulte, jusqu'à une limite normale prévue par la
Nature. Quand des circonstances particulières, telles qu'ouragans et tempêtes,
obligent les oiseaux à dépasser cette limite de résistance, ce serait la raison
des catastrophes qui les assaillent et les précipitent parfois exténués sur les
bateaux, la terre et sur les villes dont l'éclairage les attire, ou les fait
trouver morts en masse sur la mer.
Il est certain, d'autre part, que les divers oiseaux sont
conscients de leurs forces et qu'ils n'entreprennent que des raids en rapport
avec leurs moyens. Les bons voiliers, se fatiguant bien moins que les oiseaux à
faible surface portante, peuvent franchir sans repos des distances beaucoup
plus grandes que ces derniers. Ceux-ci ne se hasardent sur les mers qu'après
avoir acquis les forces nécessaires, abandonné leur excès d'embonpoint, et ils
choisissent les moindres largeurs, guidés par l'instinct ancestral. Bien que
capables d'accomplir cette splendide performance lorsqu'ils sont sur un
continent, les râles, les poules d'eau et les cailles, qui sont surtout oiseaux
piéteurs, font une partie de la route à pied, ou à la nage, ceux qui le
peuvent, en suivant les cours d'eau. Quand ils sont obligés de franchir des
montagnes, les migrateurs savent choisir le chemin de la moindre hauteur. On
sait avec quelle constance les palombes passent aux cols pyrénéens, où les
Basques, depuis des siècles, attendent chaque année ce rendez-vous pour se
livrer à une chasse pittoresque à l'aide de filets.
Rares sont les espèces dont les individus voyagent
isolément. Les rapaces diurnes migrateurs, les milans notamment, bien que ne
voyageant pas en bandes compactes, sont rarement seuls dans le ciel, où on les
voit, majestueux, ailes tendues, tournoyer lentement au gré des ascendances
qu'ils utilisent comme des planeurs. En apercevoir un permet de découvrir les
autres et d'en compter parfois une vingtaine dans le même secteur. Beaucoup
d'oiseaux voyagent par familles ; d'autres s'assemblent par tribus, comme
les hirondelles, et tous les individus de l'espèce vident les lieux en même
temps.
Quel est l'objet de cet instinct ? Peut-être est-ce
pour mieux se défendre contre certains dangers. Sans doute un grand nombre
d'oiseaux de faible taille, comme les hirondelles et les étourneaux, offrent
aux rapaces une proie facile et bien tentante ; mais il nous est donné
parfois de voir avec quelle dextérité de tels vols déjouent l'attaquant ;
ils éclatent littéralement quand le rapace plonge et ne peut plus dans cette
position rectifier sa direction avec rapidité. J'ai ainsi assisté à l'attaque
d'un vol énorme d'étourneaux et compté plus de dix assauts sans succès. Un
oiseau isolé, seul poursuivi, n'aurait pu s'échapper. En outre, ces êtres, sans
défense quand ils sont isolés, ont le courage du nombre et n'hésitent pas à
passer à la contre-attaque en groupe. Un autre motif peut aussi bien les
inciter à voyager en bandes ; c'est le fait que des êtres groupés
supportent mieux les privations et les fatigues et sont capables, par émulation
ou par le sentiment collectif qui les anime, de performances supérieures à
celles d'un individu isolé. Tous les coureurs le savent bien, et les chiens
courants forcent un animal rapide et résistant avec d'autant plus d'aisance
qu'ils sont plus nombreux
Une autre explication de ces rassemblements est d'ordre
mécanique ; formant un corps compact, le volier pénètre dans l'air comme
une seule masse et le vide créé, qui produit la sustentation, augmente celle-ci
au bénéfice de chaque individu. Les échassiers et les canards, qui volent en
triangle, n'ont d'autre but, par cette formation, que de diminuer la résistance
de l'air ; or celle-ci, qui produit ce qu'on nomme traînée en terme
aérodynamique, est la composante négative de la finesse, c'est-à-dire, en
définitive, de la sustentation. Si les rapaces, bien que voyageant en famille,
négligent les avantages dont profitent les groupes compacts, c'est qu'ils n'en
ont pas besoin. Étant eux-mêmes les pirates, ils n'ont pas à craindre une
attaque ; étant parfaits voiliers, utilisant surtout les courants
ascendants bien plus que le battement de leurs ailes, et au surplus peu pressés
de parvenir au bout de leur voyage, car ils chassent en naviguant, ils n'ont
pas les mêmes raisons de ménager leurs forces et de rechercher la vitesse de
route.
Les rapaces nocturnes, scops, moyens ducs et effraies
notamment, voyagent aussi individuellement, mais non isolément ; leur
groupe se disperse en suivant le même chemin ; mais ces oiseaux se
déplacent au ras du sol, tout en cherchant leur nourriture, et l'on manque de
précision sur la durée de leur voyage, qui les répand souvent fort loin,
parfois d'un continent à l'autre.
D'autres oiseaux que les rapaces se déplacent aussi non en
groupes compacts, mais plus ou moins dispersés sur leur route. À l'exception
des bons voiliers, tels les rapaces de haut vol et quelques échassiers, les
hérons notamment, ceux qui n'adoptent pas la formation serrée appartiennent
surtout aux espèces qui voyagent tout près du sol et procèdent par courtes
étapes ; c'est le motif qui leur fait négliger les avantages du troupeau
volant.
Certains observateurs ont cru pouvoir noter que, chez
certaines espèces de migrateurs, les mâles arrivent et repartent les premiers.
L'explication qui en a été donnée, et qui est toute empirique, serait que
l'instinct de reproduction se manifesterait plus tôt, ou de façon plus ardente,
chez les mâles, ce qui les pousserait à hâter leur départ vers les pays de
nidification. Dans le sens opposé, les femelles seraient parfois retardées par
l'instinct maternel, qui les inciterait à rester avec leurs petits jusqu'à ce
qu'ils soient assez forts pour entreprendre le voyage, surtout quand il y a des
couvées tardives. Ceci expliquerait aussi d'autres observations d'après
lesquelles les sujets plus âgés précéderaient les jeunes. Mais les chasseurs ne
sont pas unanimes à confirmer ces diverses remarques.
GARRIGOU.
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