Les chiens courants possèdent une puissance d'odorat
plus ou moins grande selon leur race d'abord, puis ensuite suivant leur nature
personnelle. Certaines races ont le nez très fin, d'autres moyen, d'autres dur.
Il en est de même chez les chiens et il y a parfois de grandes différences
entre les qualités olfactives des membres d'une meute.
Mais il est facile de se rendre compte que la finesse de nez
n'est pas tout et qu'il y a la manière d'interpréter le sentiment de la voie
perçu par plusieurs chiens, sensiblement aussi bien douée sous le rapport
odorat.
C'est que là, comme ailleurs, l'intelligence joue son rôle,
et j'ai connu des chiens au nez très fin, mais bien moins pourvus de cervelle,
qui n'étaient à la chasse que des sujets très ordinaires ou même de parfaites
nullités.
Et c'est pour cela que l'on voit parfois certains corniauds,
roquets ou autres chiens de braconnier montrer un brio extraordinaire devant
des difficultés de la voie où peineraient des chiens plus orthodoxes ;
mais il ne faut pas se presser de conclure, car souvent cette supériorité
éphémère est plus le signe de l'intelligence parfois indéniable de ces produits
de hasard que la preuve d'un nez meilleur.
Si vous demandez à un veneur ou à un chasseur au chien
courant quand et comment on peut juger le grand nez d'un chien, il est probable
qu'il vous répondra : pendant un rapprocher, pendant un forlonger ou quand
l'animal de chasse a suivi une route.
Voilà donc en compétition nos trois grands spécialistes :
le rapprocheur, le chien de chemin et le chien de forlonger, et la question se
pose alors : quel est le plus fin de nez des trois ?
Pour y répondre, voyons-les à l'ouvrage et examinons avec
soin leur comportement réciproque.
Qui d'entre nous n'a pas admiré un bon rapprocheur défaisant
la nuit d'un animal ? Il a pris connaissance d'une voie vieille de
plusieurs heures, et le voilà qui la défile bravement malgré les difficultés
rencontrées ; ne fait-il pas preuve de grande finesse de nez ?
Et le chien de chemin ? L'animal de chasse a suivi une
route, ne laissant sur ce sol dur et imprégné de nombreuses odeurs qu'une voie
bien légère. Seul de la meute le chien de chemin, le nez collé à terre, semble
distiller ces odeurs et recueillir les bribes laissées par son animal, tandis
que ses camarades n'en ont aucune connaissance. La grande finesse d'odorat de
celui-ci est évidente aussi.
Mais, à la faveur d'un incident de chasse ou d'un défaut,
notre bête de meute a pris beaucoup d'avance. De plus, elle fuit maintenant en
plaine, passant dans des endroits où il n'y a pas de portées et ne laissant
derrière elle qu'une bien faible odeur. Là, c'est le triomphe du chien de
forlonger ; collé à sa voie, il l'emmène pied à pied, apportant la preuve
de sa grande finesse de nez. Pourtant à ce moment le rapprocheur, le chien de
chemin que nous avons vu biller tout à l'heure pourraient se distinguer aussi
et aider leur compagnon, et ils ne le font pas ou si peu.
Et c'est cette attitude qui nous donne la réponse à la
question posée : ces trois chiens sont aussi fins de nez les uns que les
autres. Selon leurs dispositions particulières, hérédité, aptitudes
personnelles, l'un aime mieux les voies très froides du rapprocher, l'autre les
difficultés du chemin, le troisième les émanations fugitives du forlonger.
Je sais très bien que, dans la pratique, on rencontre
souvent un chien de chemin ou un chien de forlonger qui rapprochent avec leur
camarade, comme ce même rapprocheur travaille sur un chemin ou dans un
forlonger. Mais, dans les cas extrêmes, quand la voie est vraiment très légère,
soit par suite du temps, soit pour toute autre raison, les choses se passent
comme je viens de vous le dire.
Tous les chasseurs de lièvre ont fait ces remarques. C'est
facile, tout s'y prête pendant le courre de cet animal dont la poursuite a lieu
souvent en plaine, où les chiens manœuvrent sous les yeux des veneurs.
Il ne faut donc pas croire, comme certains l'affirment un
peu légèrement, que l'aptitude à rapprocher est seule la marque de la finesse
de nez, finesse de nez que possèdent tout autant le chien de change, par
exemple, ou celui qui chasse l'eau.
Guy HUBLOT.
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