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Spécialisation

Les éleveurs de Grande-Bretagne ont été les premiers à obtenir le bétail amélioré. Il faut entendre ce terme au sens le plus large, s'étendant par conséquent à toutes les espèces domestiques, mammifères et oiseaux. Les chiens, et en particulier ceux d'utilité, ont bénéficié de la méthode basée tout particulièrement sur la spécialisation. On n'a pas tenté l'amélioration de plusieurs qualités à la fois, mais successivement pour aboutir au développement particulier de l'une d'entre elles. Puisque ces causeries sont consacrées à l'espèce canine et surtout aux chiens de chasse, nous en avons un exemple célèbre dans la personne du Pointer. Partant comme base d'un chien ibérique, supérieurement doué comme nez et arrêtant ferme sur émanation directe, les Britanniques ont su conserver toutes ces qualités au produit amélioré en allure qu'ils désiraient. La réussite a été parfaite et absolue du point de vue de la conservation du moral et du comportement sur le terrain. Peut-être dira-t-on même qu'il a été poussé jusqu'à l'exaltation ? En effet, ce chien, quand il est pur, méprise complètement les émanations basses intéressant le pisteur ou chien courant, au point qu'il a fallu lui adjoindre un auxiliaire dans la personne du retriever, pour la recherche du gibier blessé se défilant après la chute.

Sans doute a-t-on dressé le Pointer au rapport des morts et même des blessés. Lorsqu'il est dans la note classique, il les découvre par la méthode qu'est la sienne, celle de l'émanation directe ; mais ce procédé ne facilite pas la capture des coureurs. C'est pour cette raison, et non parce que le rapport comporterait un danger pour le maintien de la fermeté de l'arrêt, qu'il a fallu imaginer le retriever.

Cette spécialisation, dira-t-on, comporte donc un inconvénient. Ce serait mal raisonner que de le penser. L'ancêtre ibérique est originaire d'une région où la sécheresse habituelle du sol interdit l'usage du chien courant ou pisteur. Ce qu'on appelle chien courant dans le pays est un lupoïde surpreneur dont on se sert pour la prise des petits quadrupèdes et dont le comportement est sensiblement celui du chien des Baléares. Pour les oiseaux, le seul Braque indigène, éventant de loin comme son descendant, est employé. Celui-ci n'y est d'ailleurs pas inconnu.

Avec le concours de la nature, a donc été réalisé un chien du plus haut nez, rapide par surcroît, qui est bien un prototype de spécialisé.

Il est apprécié dans le monde entier et peut passer au premier chef pour une race internationale. C'est assez dire ses facultés d'adaptation. Le fort développement d'une qualité n'est donc pas une erreur. Si elle limite dans une faible mesure les indications particulières, il faut convenir de sa haute valeur pour l'amélioration rapide de races moins douées. En France, les éleveurs de chiens d'arrêt n'ont jamais prêté une oreille favorable à tels propos, en cela bien différents de nos veneurs, qui ont tiré du Foxhound, autre spécialisé, le parti que l'on sait, et des éleveurs des pays centraux, dont le cheptel chien d'arrêt a été transformé depuis soixante ans par l'emploi judicieux du sang pointer.

En vérité, nos éleveurs de chiens d'arrêt n'ont jamais été bien méthodiques ni informés ; témoin le chaos en lequel végétaient nos races indigènes jusqu'à la venue de Coninck et de son école. Cet état a sans doute impressionné défavorablement le milieu des intéressés, qui, ayant vu le résultat auquel des croisements insensés avaient abouti, prit en suspicion toute retrempe méthodiquement étudiée, sans plus réfléchir. Nous avons cependant les éléments voulus pour conquérir le marché étranger, autant que les voisins de l'Est. Il suffirait d'avoir les mêmes audaces pour réaliser par les mêmes procédés les chiens allégés et un peu plus rapides, seuls appréciés dans la plupart des pays. Le Pointer a donc été indiscutablement, lorsque judicieusement choisi et employé, un améliorateur des races lourdes et dénuées d'allures.

Le Setter anglais, s'il était encore des Épagneuls à alléger, remplirait certainement le même office. J'entends par Setter anglais celui que le gros public s'obstine à nommer Laverack et non les autres, en dépit de leur qualité indiscutable, mais déjà psychologiquement plus voisins des Épagneuls continentaux.

Plus haut il a été fait mention du Foxhound. Lui aussi est bien un spécialiste, caractérisé par sa solide structure, sa vigueur, sa sagesse confinant parfois à la froideur. Ce n'est pas un rapprocheur de voies anciennes, et son nez est moyen. Mais il a apporté la santé aux races débilitées par la consanguinité et assagi, dans la mesure convenable, lorsque le sang en a été bien dosé, certaines douées de trop d'ardeur, contribuant ainsi à produire le chien de change. Qui en a abusé en a subi les conséquences, mais on ne saurait condamner un remède efficace parce que certains en mésusent.

Des alliances avec les races de haute spécialisation, l'observation des faits enseigne qu'il faut parler avec sympathie. Les améliorations escomptées sont indiscutables tant parmi les chiens d'arrêt que les courants. S'il était de coutume de parler du bétail dans ces colonnes, j'évoquerais l'influence qu'a eue telle ou telle race anglaise sur le cheptel de tant et tant de pays. Ma région, par exemple, s'est peuplée par croisement continu d'une population bovine ayant tous les caractères du Durham, dont on sait que la variété la plus ancienne a été réalisée dans la formule idéale de la bête de boucherie, très spécialisée par conséquent.

On pourrait citer les nombreuses races spécialisées obtenues dans le monde de la volaille dont les mâles, améliorateurs des volailles communes, sont si appréciés. Elles permettent en particulier d'améliorer celles dont on entend tirer profit immédiat. Ceci qui ne manque pas d'intérêt est cependant peu de chose à côté des améliorations durables dont certaines autres ont profité. Certes les produits du croisement industriel ne sont pas méprisables pour la bourse de l'éleveur, mais sont autrement intéressantes les transformations obtenues par d'habiles dosages de sang, bien fixées et représentant durablement le gain ou seulement le développement d'une qualité.

On dira que les spécialistes peuvent être obtenus par sélection, qu'en conséquence toute race peut donc s'améliorer par ce procédé. Ce n'est pas très exact, parce que là où un caractère fait défaut il faut bien recourir à une alliance qui l'apporte. Les Britanniques n'ont pas conféré au Pointer les allures qui sont les siennes autrement que par les croisements convenables et d'ailleurs un peu mystérieux qu'il a subis, croisements suivis comme il se doit de « breedings » nécessaires pour la conservation du type et de la psychologie de la race. À la base des races d'animaux améliorés les plus illustres, sans en excepter le cheval de pur sang, le Pointer ou le Foxhound, il y a eu des croisements. Ceci fait dire aux gens difficiles que ces races sont donc métisses — sans doute du point de vue de la philosophie. Mais leur homogénéité, et je parle surtout ici du Pointer et du Foxhound, est certaine. Nulle parmi nos races réputées chimiquement pures ne pourrait se payer le luxe d'un lot de robes aussi diverses que celles du Pointer, si aisé à reconnaître cependant sous n'importe laquelle grâce à la fixité de sa formule. Je parle bien entendu d'un Pointer authentique, non de celui dont le grand-père est un Foxhound. Et celui-ci ! Combien de courants réputés pour leur origine purissime pourraient être reconnus sous la diversité de robes et de tailles que peut présenter le Foxhound, toujours facile à retrouver avec ses caractères essentiels ! Ceci confirme la parole en honneur près des éleveurs anglo-saxons, disant que les traces d'un croisement peuvent se perdre dans une race comme les fleuves dans la mer. Seulement tout tient dans l'usage qu'on en sait faire. Il y a là un certain nombre de principes assez simples que l'on a peu à peu mis en évidence. Mais il ne faut pas croire pour autant à la facilité de leur application. Leur usage est le privilège d'un petit nombre, dont les noms n'encombrent pas les pages des ouvrages consacrés aux races canines.

Ce que chacun doit cependant savoir et étudier, c'est l'histoire des grandes races de renommée mondiale. Cette étude est faite pour ouvrir les idées et mettre en garde contre une observation trop rigide de principes, d'ailleurs excellents, qu'il faut savoir respecter à leur heure sans prétendre tout faire tenir dans leur cadre strict. Si les Anglais s'étaient contentés de conserver tel quel l'Old Spanish Pointer, sous prétexte qu'il avait le nez et l'arrêt parfaits, nous n'aurions jamais eu son dérivé, dont la structure et l'influx nerveux améliorés en ont fait le pur sang dont les conquêtes ne se comptent pas. Concluons donc au bienfait qu'a été l'obtention des races caractérisées par le développement, mettons, d'une qualité dominante même à l'excès. Ce sont les amélioratrices auxquelles il faut recourir, savoir recourir, car c'est un art tout d'exécution, pas à la portée d'un grand nombre et ce pourquoi à tort discuté.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°661 Mars 1952 Page 143