Je viens de recevoir une lettre d'un abonné du Chasseur
Français me disant : « Vous devriez bien nous parler du greyhound
et du setter anglais. »
Pour le setter, je me récuse. Il y a bien longtemps déjà que
je ne m'occupe pas spécialement des chiens d'arrêt.
Pour le greyhound, ça me va. J'élève, en effet, des
greyhounds de course et, au surplus, le greyhound est le meilleur des chiens de
lièvre, si l'on n'envisage que la sûreté et la rapidité de la prise, sans faire
usage d'engins ou d'armes quelconques.
Le lévrier (ainsi que l'indique son nom) est le chien de
lièvre par excellence, puisqu'il est le seul chien ayant assez de rapidité pour
prendre un lièvre à la course.
Or le greyhound a droit au titre de roi des chiens de
lièvre, puisqu'il est le plus vite de tous les lévriers.
En France, on a organisé en 1879 et en 1880 des épreuves de
coursing. Le coursing est la course derrière le lièvre vivant. Le racing est la
course derrière le lièvre mécanique. Dans ces épreuves, toutes les variétés de
lévriers étaient admises à courir. Des sloughis, des galgos y prirent part. Les
sept poules furent gagnées par des greyhounds. Aucun lévrier d'une autre race
ne remporta même une éliminatoire. On eut l'impression très nette que le
meilleur de ces lévriers autres que les greyhounds ne valait pas le plus
modeste des lévriers anglais.
Je ne puis cependant pas recommander le greyhound comme
chien de lièvre actuel, puisque l'emploi du lévrier est interdit chez nous par
notre loi sur la chasse. Cette interdiction est précisément motivée par le fait
que le lévrier est trop meurtrier. En rase campagne, lorsque aucun obstacle ou
aucun couvert ne lui permet d'échapper à la vue des chiens, le lièvre qui part ...
à portée de fusil, pourrait-on dire, est pris en quelques centaines de mètres.
Ce n'est pas de la vénerie, bien sûr, mais c'est tout de même un magnifique
spectacle que de voir deux ou trois greyhounds lutter de vitesse avec le
lièvre, et entre eux, et ensuite ces changements de direction brusques, lorsque
le lièvre fait des crochets.
Le lévrier a certainement été employé il y a très, très
longtemps, car, dès le IIe siècle, l'historien grec Arrien en parle
dans son Traité de la Chasse. Il appelait ce chien un vertragi et en
donnait la description suivante :
« Ils doivent avoir les oreilles longues et souples, en
sorte qu'elles retombent comme brisées ; mais les oreilles dressées ne
sont pas mauvaises, pourvu qu'elles ne soient pas courtes et dures. Le cou doit
être rond, flexible et long, la poitrine plutôt large qu'étroite ; les
omoplates bien distinctes, de même que les cuisses, aussi indépendantes que
possible l'une de l'autre ; les jambes rondes, droites, fermes ; les
côtes solides, le dos large, fort, non pas viandeux, mais faisceau de muscles ;
les flancs creux ; la queue velue, molle et recourbée, son extrémité
recouverte d'un poil épais ; le jarret long et solide ; que le chien
soit long de la tête à la queue, c'est là un signe de vélocité et de race ;
sa tête sera légère et bien ajustée ; quant aux yeux, ils doivent être
grands, à fleur de tête, lumineux, éblouissants. »
Par bien des détails, et plus spécialement ceux qui
concernent l'oreille longue et souple et tombante, et la queue velue et
recourbée, le vertragi se distinguait très nettement du greyhound. Mais on peut
remarquer qu'il existe encore des lévriers ayant des oreilles longues et
tombantes et des queues fournies de poils : le Persan et le Circassien,
qui ont des oreilles d'épagneuls, et l'Afghan, qui a une véritable oreille de
chien courant, avec un fouet en débourre-pipe.
Mais les Gaulois avaient des lévriers qui se rapprochaient
beaucoup plus du greyhound, et au XIVe siècle on trouve cette
description du lévrier de l'époque :
Museau de brochet.
Harpe de lion ; col de cyne
Oreille de serpent avoit,
Qui sur la tête li gisait ;
Épaule de chevreuil sauvage,
Couste de biche au boscaige ;
Cuisse de lièvre et pied de chat,
Langue de cerf, queue de rat ... |
Le lévrier était très en honneur au moyen âge, mais, naturellement,
pas populaire. Il était le chien de l'aristocratie, puisque seuls pouvaient
chasser les seigneurs et les rois. Seuls, donc, ils possédaient des lévriers.
Mais la meilleure preuve de la haute estime dont jouissaient
les lévriers, c'est qu'ils étaient même admis sur le lit des rois. Les écrits
de l'époque relataient, en effet, qu'il y avait des treillis de bois posés sur
les lits, pour que les lévriers n'endommagent pas la literie.
D'autre part, on trouve dans un autre ouvrage du XIVe
siècle : Le Livre du Roy Modus et de la Reine Racio, une description
du lévrier :
« Le lévrier doit être moyen, ni trop grand ni trop
petit ; il doit avoir longue tête, bon œil et bonnes dents ; les yeux
doivent être comme d'un épervier ; les oreilles petites et hautes ;
l'harpe bien ouverte comme en guise de lion ; hautes épaules comme
chevreuil ... »
Ce même ouvrage disait : « On voit coucher des
lévriers dessus le lit du roi de France pour ce qu'il les aime et les tient
chers. »
Louis XI en faisait rechercher jusqu'en Espagne.
Louis XIII s'en servait aux Tuileries.
Ronsard dit : « Avec un tiercelet d'autour, une
douzaine d'hespanols (épagneuls) et deux lévriers, vous voilà roi des perdrix
et des lièvres pour tout cet hiver. »
Dès le XVIIIe siècle, le coursing est très
abandonné et il l'est complètement à dater de la loi du 3 mai 1844.
C'est qu'on commençait à pratiquer une chasse évidemment
beaucoup plus passionnante parce que plus scientifique et plus difficile, la
chasse à courre.
Mais, tout à ses débuts, la chasse à courre comportait
l'emploi de chiens lévriers. On faisait en effet lancer l'animal par des chiens
courants, on portait les lévriers au-devant de la chasse et on les lâchait à
vue sur l'animal poursuivi par la meute.
C'était évidemment mettre trop tôt et trop brutalement fin à
toutes les péripéties de ce sport captivant au possible qu'est la chasse à
courre.
Mais, en Angleterre, on ne s'en tint pas à la chasse
proprement dite et, dès le règne d'Henri VIII, on organisait des matches et des
paris.
Sous le règne de la reine Elisabeth, le duc de Norfolk avait
composé un code du coursing, et en 1836 on fit disputer pour la première fois
cette épreuve, qui est toujours restée la grande épreuve d'Angleterre : la
Waterloo Cup.
Mais en dehors de cette grande épreuve, dans toutes les
parties de l'Angleterre, de septembre à avril, se disputaient des courses
publiques ou des matches, et des courses privées.
En France, ainsi que je l'ai dit, on tenta d'introduire et
de vulgariser le coursing.
Les premières réunions furent organisées par M. de
Savonnière, en 1875 et 1880, à Levallois, à Bagatelle et à Enghien.
Un Coursing-Club toulousain a lui-même fait disputer
quelques épreuves.
Le Coursing-Club de France avait acheté à Levallois, au bout
de la rue de Courcelles, un terrain clos (malheureusement de dimensions trop
restreintes). Il y eut des irrégularités, le terrain fut vendu et les réunions
furent vite interrompues.
À partir de ce moment-là, le greyhound est en sommeil. Il
n'est plus le chien que de quelques amateurs qui lui sont restés fidèles et de
quelques propriétaires qui le destinent aux Expositions.
Pour constater un véritable réveil du greyhound, il a fallu
attendre les premières épreuves, en privé, de Sainte-Gemme, vers 1930, et,
presque aussitôt, l'ouverture du cynodrome de Courbevoie et les heureuses
initiatives de la Société des courses de lévriers de France pour la province,
en 1937.
Le cynodrome de Courbevoie vient de fermer ses portes. Il ne
subsiste plus que la Société des courses de lévriers de France pour s'occuper
de courses et pour en organiser.
Paul DAUBIGNÉ.
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