Voilà un poisson, me direz-vous, que je n'aurai guère
l'occasion d'accrocher à ma ligne. Erreur ! La morue vient l'hiver sur nos
côtes françaises, non point, évidemment, sur nos côtes méditerranéennes, mais
sur celles de la Manche. Son passage est constant l'hiver, et des captures
régulières sont faites à la ligne sur les jetées de Dieppe et de Boulogne. Il
s'agit là de morues de petite taille, de 2 à 3 kilogrammes. Ces captures sont
déjà plus rares sur les côtes bretonnes, et les captures signalées au sud de
l'embouchure de la Loire sont exceptionnelles. Mais tout le monde sait que la
morue existe par bancs énormes vers Terre-Neuve et l'Islande et, d'une façon
générale, dans les eaux froides de l'Arctique.
C'est un poisson de belle forme, trapu vers la partie
antérieure et plus mince vers la queue, couvert de petites écailles, gris vert
sur le dos avec de larges taches jaune brun, et plus clair sur le ventre.
C'est le poisson qui, dans le monde, a la plus grande
valeur économique. La morue est consommée partout, et l'on connaît les droits
sur lesquels chaque nation maritime veille jalousement sur les bancs de pêche
nordiques. Très vorace, atteignant plus d'un mètre et 7 à 8 kilogrammes, la
morue vit par bancs immenses dans les couches froides. C'est un poisson
sténotherme, c'est-à-dire exigeant une température constante. C'est là une
particularité bien connue qui permet la pêche « au thermomètre ».
Autrefois, la pêche à la ligne eschée de gros coquillages donnait des résultats
très variables, parfois très fructueux, parfois nuls ; les pêcheurs
pouvaient rester de longs jours sans trouver de bancs de poissons. On sait
aujourd'hui pourquoi. Il suffit de plonger un thermomètre à renversement
jusqu'à ce qu'on trouve la nappe d'eau à une température de 4 à 6° : c'est
dans cette couche d'eau que circulent les bancs de morue. C'est là que la morue
trouve sa nourriture et qu'elle fraie.
En général, la morue se trouve dans des couches plus
profondes et plus froides, mais, au moment du frai, c'est-à-dire, sur les côtes
américaines, de septembre à mars, elle remonte et reste assez longtemps dans
les couches de 4 à 6° où on la pêche. C'est donc à la profondeur de cette
couche qu'on la cherchera à la ligne ou au chalut avec le maximum de chances.
Après la fraie, c'est-à-dire après mars et jusqu'en mai, elle reste encore
souvent dans ces eaux à 6°, tant qu'elle y trouve sa nourriture, puis redescend
l'été dans les profondeurs froides. Dans nos eaux, la ponte a lieu plus
tardivement et s'échelonne de fin décembre à mai. C'est le moment où les bancs
s'approchent de nos côtes de la Manche. Les poissons se serrent sur plusieurs
rangs, les femelles le plus souvent en dessous des mâles ; les femelles
lâchent leurs œufs, très petits, dans une eau où se dilue la laitance des
mâles. La fécondation se produit à une profondeur de 50 à 100 mètres, toujours
à la température fatidique de 4° à 6°. La morue est très prolifique, chaque
femelle étant capable de produire plusieurs millions d'œufs. Ces œufs sont
flottants et libres et se tiennent entre deux eaux. Ce sont de petites têtes
d'épingles de 1mm,5 de diamètre, qui s'enfoncent lentement dans
l'eau jusqu'à ce qu'ils aient trouvé la couche à la température voulue et à la
salinité, c'est-à-dire à la densité, égale à la sienne. Particularité
remarquable, l'œuf de morue n'a pas les petites gouttelettes d'huile qui
existent dans la plupart des œufs flottants de poissons et qui diminuent leur
densité par rapport à l'eau. La durée de l'éclosion est de quinze jours à 6°.
L'alevin éclos a 4 millimètres de long et grandit en
quelques jours jusqu'à un centimètre. À six mois, il ne mesure que 5 à 6
centimètres ; à dix-huit mois, 25 à 30 centimètres, et, à deux ans, il
pèse un kilogramme. À partir de ce moment, la morue gagne environ un kilogramme
par an, et c'est à partir de quatre ans qu'elle peut se reproduire.
La pêche à Terre-Neuve se fait à la ligne, suivant la
méthode ancienne. Des doris s'éloignent du bateau avec les lignes eschées de
gros coquillages, qu'on trouve avec abondance près du rivage. Les terre-neuvas
à voile sont de plus en plus rares : on en voit encore dans les ports
bretons et à Bordeaux. La pêche scientifique a pris le dessus et c'est avec
d'énormes chaluts draguant entre deux eaux que de grosses quantités de morues
sont ramenées à bord pour être immédiatement assommées, étêtées, fendues,
vidées, salées, et empilées dans des frigos.
Outre la chair de la morue, que tout le monde connaît,
signalons les deux sous-produits qui sont immédiatement récupérés et de grande
valeur : d'abord le foie, dont on extrait cette huile riche en vitamines
qui fut l'amertume de notre enfance, et ensuite la rogue, c'est-à-dire les
ovaires remplis d'œufs et qui sont le meilleur appât pour la pêche à la
sardine.
Quant à la pêche à la ligne en France, j'ai déjà dit que
c'est dans la Manche que l'on peut l'exercer avec le plus de chances de succès,
en bateau ou à terre. En bateau, on peut espérer en prendre avec une grosse
canne, un nylon de 100 mètres de long et de 60 à 70/100, avec, à l'extrémité,
un plomb de 100 grammes et trois ou quatre clipots portant un hameçon n°1 à 3.
L'appât sera la néréide, l'arénicole, le crabe mollet ou un morceau de seiche
ou de maquereau.
Du bord, la pêche se fera avec la même ligne et les mêmes
appâts, mais au surf-casting, en lançant à une quarantaine de mètres. La
défense de la morue n'est d'ailleurs pas très forte, malgré la taille du
poisson, mais c'est une belle pièce que le pêcheur parisien qui fréquente
l'hiver les jetées de Dieppe et de Boulogne a des chances de capturer.
LARTIGUE.
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