Le pianiste, sur un terrain de sports, et plus
particulièrement de football ou de rugby, c'est ce pauvre « arbitre ».
En mettant les choses au pire — et cela existe encore, hélas !
aujourd'hui — il risque d'être atteint à la sortie du terrain par un uppercut
ou une pierre à lui adressés par un spectateur ou un supporter. En mettant les
choses au mieux, il est condamné à l'avance aux sifflages, aux réflexions
désobligeantes, à l'accusation de partialité de la moitié du public et de la
Presse, la moitié qui correspond aux amis de l'équipe vaincue, naturellement.
Mais, par contre, il ne reçoit jamais de manifestations de gratitude du côté
victorieux. Il ne les recherche pas, d'ailleurs ; il lui suffit d'avoir
conscience d'avoir bien rempli sa mission.
Car l'arbitre est dans le sport une sorte de saint,
volontaire, par amour du sport, pour assurer la tâche la plus humble, la plus
délicate, la moins rétribuée.
Cette élogieuse définition que je donne de l'arbitre est
juste, si l'on considère les difficultés de sa mission, dont les principales
sont les suivantes :
Il doit d'abord savoir affronter le public, rester
impassible aux mouvements d'humeur de milliers de gens incompétents et
déchaînés. S'il se laisse influencer par le public local à favoriser, sans même
s'en rendre compte, l'équipe visitée, il aura tendance, par réaction, à plus
d'indulgence pour les visiteurs. Il en résulte le jeu dur, l'indiscipline, la
bagarre. Il lui faut, dès les premières minutes de jeu, estimer à leur juste
valeur la correction ou, au contraire, l'énervement de chaque équipe, presque
de chaque joueur, et siffler impitoyablement les premières fautes, seul moyen
d'éviter leur renouvellement et de pouvoir être ensuite plus tolérant quand la
discipline est obtenue, s'il y a lieu. Il est en général plus facile d'arbitrer
un grand match, dans un grand stade où le public est plus éloigné de la touche,
où les joueurs sont des footballeurs chevronnés, respectueux des traditions et
tenant à leur réputation, que de diriger un match de seconde zone, où des
joueurs maladroits et indisciplinés sont excités par le chauvinisme exaspéré
d'un public local entassé sur le bord du terrain et qui est pour ainsi dire
mélangé à l'action. Et cela d'autant plus que, pour ces petits matches où tout
est favorable au désordre, on désigne en général de jeunes arbitres novices et
n'ayant pas encore acquis la maîtrise de soi indispensable.
Une autre difficulté est d'apprendre à juger et à prendre
une décision rapide dans le feu de l'action, mal secondé souvent par des juges
de touche improvisés, par des capitaines ne connaissant pas parfaitement les
règles. Tout cela alors que l'arbitre est lui-même en pleine action, se
déplaçant et courant, obligatoirement, au même titre que les acteurs. De juger
en une demi-seconde si une faute bénigne a été volontaire ou non : cas de
la balle qui touche l'avant-bras écarté du corps ; le bras est-il allé au
ballon ou le ballon au bras ?
Autres cas : au moment où il se retourne, l'arbitre voit
un joueur qui frappe un adversaire. Répond-il à un coup ou frappe-t-il le
premier ?
Une faute est commise dans le rectangle de réparation, mais
la balle continue sa course et rentre dans la cage. Doit-on siffler le penalty ?
En principe absolu, oui ! Mais si celui-ci est « raté » !
Ne regrettera-t-on pas d'avoir sifflé trop vite ?
Comment apprécier, dans des cas difficiles, si une faute
légère, et d'apparence involontaire, favorise ou non l'adversaire ?
Autant d'exemples qui constituent des cas d'espèce et qu'il
faut avoir une grande expérience du jeu et une grande maîtrise de soi pour
trancher en quelques dixièmes de seconde. Le public doit comprendre que dans de
telles conditions l'application matériellement exacte des règles ne peut pas
être cent fois sur cent le reflet de la justice, mais que, l'arbitre ayant pris
sa décision en toute conscience, celle-ci doit être respectée et incontestée,
même si elle n'est pas incontestable. Une des beautés du sport est dans sa « glorieuse
incertitude ».
Enfin, il faut savoir repérer et neutraliser sans pitié les
« joueurs vicieux ».
Mais, de tous les obstacles, le plus grave est peut-être
d'apprendre à surmonter l'influence des dirigeants de clubs, parmi lesquels
figurent souvent des dirigeants de la Fédération dont dépend l'arbitre. S'il y
a des joueurs vicieux, il existe, en proportion beaucoup plus élevée, des « dirigeants
vicieux » et hypocrites, qui se spécialisent dans l'art d'influencer
l'arbitre, d'être aux petits soins pour lui, de gagner avant le match sa
confiance et sa sympathie, et, pendant la mi-temps, de l'accabler de critiques
ou de conseils. Ces hommes « de poids » n'ignorent pas que l'arbitre
le plus impartial et le plus consciencieux n'est après tout qu'un homme, et
l'action pernicieuse que peut avoir sur lui un personnage important et rompu à
toutes les ficelles de l'art. D'autres fois, l'arbitre aura l'impression
désespérante que les dirigeants présents ne font rien pour apaiser le public ni
pour ordonner à leurs joueurs la modération.
Oui, pour jouer le rôle d'arbitre, qui est un sacerdoce plus
qu'un métier, il faut vraiment être un saint !
Dr Robert JEUDON.
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