Accueil  > Années 1952  > N°661 Mars 1952  > Page 166 Tous droits réservés

La forêt française

Les bois blancs

Nous avons déjà présenté dans ces colonnes les « rois » de nos forêts : chênes, hêtres, sapins, pins, et quelques-unes des essences dites « secondaires » qui leur sont associées. Nous allons aujourd'hui parler de quelques « bois blancs », essences dont on prononce souvent le nom avec quelque mépris comme un jardinier parlant des mauvaises herbes. Cependant le rôle des « bois blancs » est loin d'être négligeable, tant au point de vue cultural qu'au point de vue économique.

Le plus répandu de ces bois blancs est certainement le bouleau, que les plus profanes reconnaissent à son écorce blanche et lisse. La cime, formée de rameaux minces et souples, se remarque de très loin, au printemps, à sa couleur violacée. Il existe, en France, deux espèces de bouleau : le bouleau verruqueux, le plus répandu, dont les rameaux sont couverts de petites verrucosités résineuses grisâtres qui les rendent rudes au toucher, et le bouleau pubescent, plus rare, dont les rameaux velus sont, au contraire, doux au toucher. De même, les petites feuilles triangulaires du premier sont glabres, alors que celles du second sont quelque peu velues en dessous. Le bouleau pubescent hante surtout les abords des tourbières et les forêts humides.

Les chatons femelles des bouleaux donnent naissance à de petits cônes pendants, tendres, qui se fragmentent sur l'arbre, dispersant au gré des vents leurs nombreuses petites samares, fruits secs extrêmement fins et légers, scobiformes, munis de petites ailes membraneuses qui facilitent leur dissémination. Grâce à cela, le bouleau se sème abondamment dans tous les terrains dont le sol n'est pas trop compact. Essence de pleine lumière, il est capable de coloniser tous les grands vides, les grandes clairières. Grâce au bouleau renaîtront des forêts victimes d'abus d'exploitation, de dévastations dues à la guerre ou aux ravages des insectes. Il maintiendra l'état boisé dans les forêts où pullule « Jeannot Lapin ». Si on ajoute que le bouleau, essence frugale, se contente même de sols très pauvres, on comprendra pourquoi cette essence a droit à quelque sympathie.

Quelle est sa valeur économique ? Le bouleau possède un bois demi-dur, assez léger, ayant de bonnes qualités technologiques : travail facile, aptitudes pour la tournerie, la sculpture, le polissage, grain fin, couleur agréable. Malheureusement le bouleau, quand il est abattu en sève, s'échauffe très rapidement et perd toute qualité mécanique. En outre, une fois sec, il est très sujet à la vermoulure. Dans les coupes de taillis, les perches de bouleau de faible diamètre donnent un bon bois de chauffage qui brûle très bien quoiqu'un peu vite. C'est, à cause de cela, un excellent bois de boulange, d'autant plus qu'il est facile à enflammer. On peut l'utiliser comme bois de papeterie ; les Scandinaves le mélangent pour cela au pin sylvestre. La plupart des cartonneries et usines de panneaux de fibres françaises l'emploient. Les bouleaux de plus grosse dimension servent pour la bobinerie (en Finlande, cette industrie est très importante), la caisserie, la saboterie, .la fabrication des jouets, etc. ... Les gros bouleaux, bien cylindriques, peuvent être déroulés pour faire des placages. En Scandinavie, on fabrique des contreplaqués de bouleau pour l'aviation, la carrosserie, l'ébénisterie. Pour cette dernière industrie, on sélectionne les bois figurés chez lesquels existent des moirures, des taches médullaires, etc. ... à rôle ornemental.

Le bouleau a donc un rôle économique assez important, en particulier pour la papeterie et le déroulage. Culturalement, il est utilisé pour coloniser des terrains nus et ensuite, sous son couvert léger, il est possible d'introduire des essences d'ombre de plus grande valeur : hêtre, sapin, etc.

Les aunes sont également des essences forestières présentant à la fois un intérêt cultural et un intérêt économique. Il existe, en France, quatre espèces d'aunes : l’aune glutineux, répandu un peu partout en France, le long des cours d'eau ou dans les endroits humides, l'aune blanc, bordant les torrents montagnards, l'aune vert, habitant en très haute montagne les endroits frais même à pente raide, en particulier les couloirs d'avalanches, l'aune à feuilles en cœur, espèce corse de plus en plus employée pour les reboisements.

Tous les aunes ont des bourgeons écailleux, portés par de courts pédoncules (sauf l'aune vert), des fleurs monoïques en chatons, se transformant à maturité en petits cônes ligneux qui s'entr'ouvrent pour laisser échapper les fruits, puis tombent en bloc sur le sol, sans se fragmenter.

L'aune glutineux se reconnaît à son écorce d'abord lisse, gris brun, avec lenticelles grises, puis crevassée, écailleuse, gris brun en surface, brun foncé au fond des crevasses. Sa feuille, échancrée au sommet, est verte et lisse sur les deux faces. L'aune glutineux, quand il est dans un sol frais, croît très rapidement et donne de puissantes cépées. Il n'est pas très longévif et souvent, quand on le laisse vieillir, il se met à sécher en cime. Son bois est tendre, léger, très corruptible à l'air (abattu en sève, il s'échauffe ; sec, il est la proie des vrillettes). Par contre, il est capable de se conserver sous l'eau (pilotis, drainages). Le bois d'aune, quand il est sec, brûle trop vite, et à cause de cela n'est pas considéré comme un bon chauffage. On peut l'utiliser en cartonnerie, ce qui paraît être pour l'avenir son principal intérêt. Les grumes d'aunes servent pour le modelage, la saboterie, la boissellerie, etc. ...

Cette essence présente un gros intérêt cultural, car ses racines portent des nodosités qui sont capables, comme celles des racines des légumineuses, de fixer l'azote atmosphérique. L'aune constituera donc un excellent sous-étage, capable d'améliorer le sol à la fois par ses racines et par ses feuilles, qui donnent un humus doux. Cette essence est malheureusement trop peu employée pour ces créations de sous-étages. On pourrait s'en servir aussi pour faire des pare-feux feuillus dans les forêts résineuses. Le débouché de l'aune en cartonnerie peut donner des garanties économiques au reboiseur.

L'aune blanc possède une écorce lisse de couleur gris-bronze. Ses feuilles ovales, non échancrées au sommet, sont légèrement blanchâtres en dessous. C'est une espèce montagnarde du bord des eaux, mais, grâce à sa grande plasticité, on l'a planté en France dans de nombreuses stations : berges dénudées des torrents, pentes d'éboulis. Tous les Nancéiens connaissent le spectaculaire et remarquable reboisement en aunes blancs du « Crassier Solvay » des carrières de Maxéville. Il semble s'adapter aux sols les plus stériles, mais craint toutefois les gelées printanières, dans les stations où il débourre trop tôt et les étés secs. Ses usages sont analogues à ceux de l'aune glutineux.

L'aune à feuilles en cœur est une essence particulièrement intéressante pour les reboisements. On le reconnaît à la forme de ses feuilles. Il se montre extrêmement plastique et prospère dans des terrains même calcaires et secs. C'est une espèce qui paraît très précieuse pour constituer un sous-étage sur des sols de craie ou sur des calcaires comme ceux de Champagne, de Picardie, de Lorraine, etc. ... Son bois paraît être d'une qualité supérieure à celle du bois des autres aunes. Des recherches sont à faire à ce sujet.

On rencontre aussi dans nos forêts le tilleul, caractérisé par son écorce épaisse, d'abord lisse et de couleur gris brun foncé, qu'on peut déchirer en grandes lanières solides (tille), puis se gerçurant chez les vieux arbres et devenant d'un gris plus ou moins foncé. Les feuilles, alternes, sont généralement cordiformes. Les fleurs, hermaphrodites, à cinq pétales libres, forment une cyme corymbiforme dont le pédicelle est soudé à une longue bractée membraneuse. Chacun connaît la puissante odeur émise par les fleurs de tilleul quand elles s'épanouissent. Les fruits, secs, indéhiscents, restent fixés sur la bractée à maturité. Le bois de tilleul est très léger et tendre, il comporte une grande quantité de fins rayons ligneux qui, sur maille, dessinent de petites mouchetures analogues à celles des érables. Bien que tendre, le bois de tilleul paraît très peu sensible aux attaques des vrillettes. Au milieu de collections de bois très vermoulues, nous avons constaté que tous les échantillons de tilleul étaient restés intacts.

On distingue, en France, deux espèces de tilleul : le tilleul à petites feuilles et le tilleul à grandes feuilles. Le premier possède des feuilles plus petites que la paume de la main et des bourgeons à deux écailles. Le second a des feuilles plus larges que la main, avec des touffes de petits poils blanchâtres aux ramifications des nervures. Ses bourgeons sont à trois écailles apparentes. Il préfère les sols frais et il est un peu plus montagnard que le tilleul à petites feuilles, qui est surtout une espèce de plaines et collines, principalement de sols calcaires.

Le tilleul présente un certain intérêt cultural. Ses feuilles donnent un humus doux, ce qui fait de cette essence un excellent sous-étage. Malheureusement ses débouchés sont faibles : modelage, panneaux, jouets avec les grumes, paille de bois avec les billons de 20 ou 25 centimètres de diamètre, etc. ...

Il serait utile que les fabricants de pâtes à papier et de panneaux de fibres fassent connaître, de façon précise et définitive, aux propriétaires de forêts leur avis sur cette essence assez répandue et à croissance rapide.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°661 Mars 1952 Page 166