Nous avons déjà présenté dans ces colonnes les « rois »
de nos forêts : chênes, hêtres, sapins, pins, et quelques-unes des
essences dites « secondaires » qui leur sont associées. Nous allons
aujourd'hui parler de quelques « bois blancs », essences dont on prononce
souvent le nom avec quelque mépris comme un jardinier parlant des mauvaises
herbes. Cependant le rôle des « bois blancs » est loin d'être
négligeable, tant au point de vue cultural qu'au point de vue économique.
Le plus répandu de ces bois blancs est certainement le bouleau,
que les plus profanes reconnaissent à son écorce blanche et lisse. La cime,
formée de rameaux minces et souples, se remarque de très loin, au printemps, à
sa couleur violacée. Il existe, en France, deux espèces de bouleau : le bouleau
verruqueux, le plus répandu, dont les rameaux sont couverts de petites
verrucosités résineuses grisâtres qui les rendent rudes au toucher, et le bouleau
pubescent, plus rare, dont les rameaux velus sont, au contraire, doux au
toucher. De même, les petites feuilles triangulaires du premier sont glabres,
alors que celles du second sont quelque peu velues en dessous. Le bouleau
pubescent hante surtout les abords des tourbières et les forêts humides.
Les chatons femelles des bouleaux donnent naissance à de
petits cônes pendants, tendres, qui se fragmentent sur l'arbre, dispersant au
gré des vents leurs nombreuses petites samares, fruits secs extrêmement fins et
légers, scobiformes, munis de petites ailes membraneuses qui facilitent leur
dissémination. Grâce à cela, le bouleau se sème abondamment dans tous les
terrains dont le sol n'est pas trop compact. Essence de pleine lumière, il est
capable de coloniser tous les grands vides, les grandes clairières. Grâce au
bouleau renaîtront des forêts victimes d'abus d'exploitation, de dévastations
dues à la guerre ou aux ravages des insectes. Il maintiendra l'état boisé dans
les forêts où pullule « Jeannot Lapin ». Si on ajoute que le bouleau,
essence frugale, se contente même de sols très pauvres, on comprendra pourquoi
cette essence a droit à quelque sympathie.
Quelle est sa valeur économique ? Le bouleau possède un
bois demi-dur, assez léger, ayant de bonnes qualités technologiques :
travail facile, aptitudes pour la tournerie, la sculpture, le polissage, grain
fin, couleur agréable. Malheureusement le bouleau, quand il est abattu en sève,
s'échauffe très rapidement et perd toute qualité mécanique. En outre, une fois
sec, il est très sujet à la vermoulure. Dans les coupes de taillis, les perches
de bouleau de faible diamètre donnent un bon bois de chauffage qui brûle très
bien quoiqu'un peu vite. C'est, à cause de cela, un excellent bois de boulange,
d'autant plus qu'il est facile à enflammer. On peut l'utiliser comme bois de
papeterie ; les Scandinaves le mélangent pour cela au pin sylvestre. La
plupart des cartonneries et usines de panneaux de fibres françaises
l'emploient. Les bouleaux de plus grosse dimension servent pour la bobinerie
(en Finlande, cette industrie est très importante), la caisserie, la saboterie,
.la fabrication des jouets, etc. ... Les gros bouleaux, bien cylindriques,
peuvent être déroulés pour faire des placages. En Scandinavie, on fabrique des
contreplaqués de bouleau pour l'aviation, la carrosserie, l'ébénisterie. Pour
cette dernière industrie, on sélectionne les bois figurés chez lesquels
existent des moirures, des taches médullaires, etc. ... à rôle ornemental.
Le bouleau a donc un rôle économique assez important, en
particulier pour la papeterie et le déroulage. Culturalement, il est utilisé
pour coloniser des terrains nus et ensuite, sous son couvert léger, il est
possible d'introduire des essences d'ombre de plus grande valeur : hêtre,
sapin, etc.
Les aunes sont également des essences forestières
présentant à la fois un intérêt cultural et un intérêt économique. Il existe,
en France, quatre espèces d'aunes : l’aune glutineux, répandu un
peu partout en France, le long des cours d'eau ou dans les endroits humides, l'aune
blanc, bordant les torrents montagnards, l'aune vert, habitant en
très haute montagne les endroits frais même à pente raide, en particulier les
couloirs d'avalanches, l'aune à feuilles en cœur, espèce corse de plus
en plus employée pour les reboisements.
Tous les aunes ont des bourgeons écailleux, portés par de
courts pédoncules (sauf l'aune vert), des fleurs monoïques en chatons, se
transformant à maturité en petits cônes ligneux qui s'entr'ouvrent pour laisser
échapper les fruits, puis tombent en bloc sur le sol, sans se fragmenter.
L'aune glutineux se reconnaît à son écorce d'abord
lisse, gris brun, avec lenticelles grises, puis crevassée, écailleuse, gris
brun en surface, brun foncé au fond des crevasses. Sa feuille, échancrée au
sommet, est verte et lisse sur les deux faces. L'aune glutineux, quand il est
dans un sol frais, croît très rapidement et donne de puissantes cépées. Il
n'est pas très longévif et souvent, quand on le laisse vieillir, il se met à
sécher en cime. Son bois est tendre, léger, très corruptible à l'air (abattu en
sève, il s'échauffe ; sec, il est la proie des vrillettes). Par contre, il
est capable de se conserver sous l'eau (pilotis, drainages). Le bois d'aune,
quand il est sec, brûle trop vite, et à cause de cela n'est pas considéré comme
un bon chauffage. On peut l'utiliser en cartonnerie, ce qui paraît être pour
l'avenir son principal intérêt. Les grumes d'aunes servent pour le modelage, la
saboterie, la boissellerie, etc. ...
Cette essence présente un gros intérêt cultural, car ses
racines portent des nodosités qui sont capables, comme celles des racines des
légumineuses, de fixer l'azote atmosphérique. L'aune constituera donc un
excellent sous-étage, capable d'améliorer le sol à la fois par ses racines et
par ses feuilles, qui donnent un humus doux. Cette essence est malheureusement
trop peu employée pour ces créations de sous-étages. On pourrait s'en servir
aussi pour faire des pare-feux feuillus dans les forêts résineuses. Le débouché
de l'aune en cartonnerie peut donner des garanties économiques au reboiseur.
L'aune blanc possède une écorce lisse de couleur gris-bronze.
Ses feuilles ovales, non échancrées au sommet, sont légèrement blanchâtres en
dessous. C'est une espèce montagnarde du bord des eaux, mais, grâce à sa grande
plasticité, on l'a planté en France dans de nombreuses stations : berges
dénudées des torrents, pentes d'éboulis. Tous les Nancéiens connaissent le
spectaculaire et remarquable reboisement en aunes blancs du « Crassier
Solvay » des carrières de Maxéville. Il semble s'adapter aux sols les plus
stériles, mais craint toutefois les gelées printanières, dans les stations où
il débourre trop tôt et les étés secs. Ses usages sont analogues à ceux de
l'aune glutineux.
L'aune à feuilles en cœur est une essence
particulièrement intéressante pour les reboisements. On le reconnaît à la forme
de ses feuilles. Il se montre extrêmement plastique et prospère dans des
terrains même calcaires et secs. C'est une espèce qui paraît très précieuse
pour constituer un sous-étage sur des sols de craie ou sur des calcaires comme
ceux de Champagne, de Picardie, de Lorraine, etc. ... Son bois paraît être
d'une qualité supérieure à celle du bois des autres aunes. Des recherches sont
à faire à ce sujet.
On rencontre aussi dans nos forêts le tilleul,
caractérisé par son écorce épaisse, d'abord lisse et de couleur gris brun
foncé, qu'on peut déchirer en grandes lanières solides (tille), puis se gerçurant
chez les vieux arbres et devenant d'un gris plus ou moins foncé. Les feuilles,
alternes, sont généralement cordiformes. Les fleurs, hermaphrodites, à cinq
pétales libres, forment une cyme corymbiforme dont le pédicelle est soudé à une
longue bractée membraneuse. Chacun connaît la puissante odeur émise par les
fleurs de tilleul quand elles s'épanouissent. Les fruits, secs, indéhiscents,
restent fixés sur la bractée à maturité. Le bois de tilleul est très léger et
tendre, il comporte une grande quantité de fins rayons ligneux qui, sur maille,
dessinent de petites mouchetures analogues à celles des érables. Bien que
tendre, le bois de tilleul paraît très peu sensible aux attaques des vrillettes.
Au milieu de collections de bois très vermoulues, nous avons constaté que tous
les échantillons de tilleul étaient restés intacts.
On distingue, en France, deux espèces de tilleul : le tilleul
à petites feuilles et le tilleul à grandes feuilles. Le premier
possède des feuilles plus petites que la paume de la main et des bourgeons à
deux écailles. Le second a des feuilles plus larges que la main, avec des
touffes de petits poils blanchâtres aux ramifications des nervures. Ses bourgeons
sont à trois écailles apparentes. Il préfère les sols frais et il est un peu
plus montagnard que le tilleul à petites feuilles, qui est surtout une espèce
de plaines et collines, principalement de sols calcaires.
Le tilleul présente un certain intérêt cultural. Ses
feuilles donnent un humus doux, ce qui fait de cette essence un excellent sous-étage.
Malheureusement ses débouchés sont faibles : modelage, panneaux, jouets
avec les grumes, paille de bois avec les billons de 20 ou 25 centimètres de
diamètre, etc. ...
Il serait utile que les fabricants de pâtes à papier et de
panneaux de fibres fassent connaître, de façon précise et définitive, aux
propriétaires de forêts leur avis sur cette essence assez répandue et à
croissance rapide.
LE FORESTIER.
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