Dans le courant du mois de décembre 1951, Lord Rosbery,
propriétaire d'une des plus importantes écuries de courses d'Angleterre, et
membre influent du Jockey-Club de Londres, dans une lettre rendue publique par
la presse, a révélé qu'un de ses chevaux, engagé dans une grande épreuve, avait
été dopé pour lui enlever toute chance d'y figurer honorablement.
Les analyses chimiques et travaux de laboratoire, qui sont
la règle pour la reconnaissance d'une semblable manœuvre, ayant été tous
concluants, donnent à penser que celle-ci a été accomplie dans le but de
supprimer la valeur des paris faits sur le cheval.
Le jeu aux courses est tellement répandu, et dans toutes les
classes de la Société du peuple anglais, que cette nouvelle inattendue, du fait
de son auteur, sinon pour sa cause, a soulevé une émotion considérable,
ramenant au premier plan de l'actualité une préoccupation déjà ancienne,
concernant le fair-play traditionnel de toute compétition sportive, non
moins que l'avenir de la race chevaline et des institutions qui ont pour
mission de la protéger et perfectionner.
On désigne sous le nom de doping toute substance
administrée à un cheval de course, peu de temps avant l'épreuve, afin de
modifier sa puissance locomotrice et, par suite, sa vitesse ; l'expression
s'applique également à la mise en pratique de ce moyen.
Le doping qui est administré pour augmenter l'excitabilité
nerveuse et la puissance musculaire, afin d'obtenir un meilleur rendement
locomoteur, est le doping à effet positif. Mais le doping peut aussi
être employé dans l'intention d'enlever à un bon cheval ses moyens naturels
pour l'empêcher de gagner une course dans laquelle, à cause de ses performances
précédentes, il a réuni, sur son nom, le plus grand nombre d'enjeux des
parieurs. Dans ce cas, le doping est à effet négatif. Le premier de ces
procédés a été jusqu'à ces derniers temps le plus utilisé, surtout en France,
encore qu'il ne soit pas toujours assuré de réussir, tandis que le second,
d'une réalisation moins aléatoire, semble prendre de l'extension sur le turf
anglais, où les bookmakers (donneurs de paris au livre) exercent librement leur
profession, qu'ils ne pratiquent pas tous avec l'honnêteté ... du Pari
mutuel français, pour ne pas dire plus.
C'est pourquoi, en même temps que sa lettre était publiée,
Lord Rosbery a annoncé l'offre d'une prime d'un million de francs à qui
permettra de découvrir les auteurs d'actes aussi répréhensibles, et le Daily
Express s'est associé à son geste, par une contribution d'égale valeur, en
se réservant de faire pour son compte une enquête approfondie sur ce que l'on
désigne déjà comme « le plus grand scandale hippique du siècle » !
Dans tous les cas, le doping est une manœuvre frauduleuse visant à tromper sur
les qualités d'un cheval en faussant le résultat des épreuves auxquelles il
prend part et en constituant un danger pour l'animal qui le subit, parce qu'il
porte atteinte à l'intégrité de ses facultés génésiques et empêche de
l'utiliser comme reproducteur.
En France, la Société d'encouragement, dès les premières
constatations de ces pratiques, apportées par des entraîneurs américains,
s'évertua à les combattre par l'adjonction à l'article 9 du Code des courses
d'un paragraphe ainsi libellé : « Il est interdit d'administrer ou de
faire administrer à un cheval, le jour de la course et en vue de la course, un
stimulant quelconque, par quelque procédé que ce soit. » Pendant
longtemps, environ 1903 jusqu'à 1912, cette interdiction fut toute platonique,
car il était impossible d'établir scientifiquement l'existence du délit.
Depuis, grâce aux travaux du Dr Frænkel, attaché au Jockey-Club
autrichien, et ceux du professeur Kaufmann, de l'École d'Alfort, il est
relativement facile d'obtenir cette confirmation, et la méthode employée se
généralise de plus en plus sur tous les hippodromes de la métropole, où se
pratiquent couramment des prélèvements de salive.
Nous ne jugeons pas à propos d'énumérer les différents
alcaloïdes qui sont les plus employés, aux fins de doping, de ce côté ou de
l'autre du Channel, et encore moins de dire comment il faut s'en servir avec le
plus de chances de succès. Par contre, nous pouvons assurer que leurs bons
effets, loin d'être constants, sont au contraire fort irréguliers, et que leur
présence ne saurait plus passer inaperçue chez un cheval dopé. Voici du reste,
pour l'édification des intéressés, une histoire vécue, qui nous servira de
conclusion et dont chacun pourra faire son profit.
Le 12 février 1950, la jument trotteuse Antinéa II,
venue da la région lyonnaise, à peu près inconnue, gagnait à Vincennes le Prix
de Paris, attelé, 3.350 mètres, la dernière grande épreuve internationale, en
trottant sur le pied de 1'28"3/10 le kilomètre. Surprise générale (ou
presque ?) et prélèvement de salive consécutif ayant permis d'établir que
la jument avait été dopée à la caféine ... En conséquence, la jument fut
distancée, son entraîneur, tenu pour responsable, mis à l'amende de 15.000
francs, et l'autorisation d'entraîner lui fut retirée jusqu'au 12 juin
1950 ; le cheval classé second, son Petit-Fils, devenant le gagnant
officiel du Prix de Paris.
Fort heureusement, les commissaires veillaient et on
voudrait pouvoir y applaudir en disant : Tout est bien qui finit bien !
Mais, avant que soient connus les résultats des analyses, huit jours après son premier
exploit, la jument remportait une nouvelle victoire en trottant en
1'27"6/10, sans qu'il ait été question d'un autre doping.
À la constatation de ces faits, le responsable, coupable ou
non, d'un doping positif, resté négatif, a dû se livrer à d'amères réflexions,
auxquelles la cote de la jument à 80 contre 1 et son rapport de 865 francs pour
10 francs au Pari mutuel n'auront pas manqué d'apporter quelques
adoucissements !
J.-H. BERNARD.
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