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L'automobile

Pour ou contre la manivelle

La manivelle se meurt ... la manivelle est morte. Oui, peut-être ! C'est un fait ; sur les voitures modernes, les constructeurs semblent de plus en plus oublier cet accessoire qui n'a d'ailleurs pas laissé un très bon souvenir chez les usagers d'antan.

Tour à tour Opel, D. K. W., Dyna, et tout récemment Simca avec l'Aronde, ont estimé la manivelle de lancement superflue. Il est utile de préciser cependant que Panhard, sur la Dyna, a tout de même prévu son emplacement, alors que l'Aronde ne comporte ni la manivelle, ni son logement. Jusqu'à cet instant, on pouvait estimer que le constructeur se contentait de ne pas mettre la manivelle dans le coffre à outils, mais qu'en cas de besoin, au garage ou sur la route, on pouvait toujours se débrouiller à trouver une manivelle de secours. L'Aronde franchit un nouveau pas : il n'y a plus de manivelle, ni possibilités de la mettre en place si quelques usagers conservateurs la désirent ou sont obligés de s'en servir. Cette modification, bien anodine en apparence, a fait déjà couler beaucoup d'encre. II y a les « pour » et les « contre », comme hier il y avait les partisans de la conduite à droite et ceux de la conduite à gauche. Il est utile d'entendre, tout d'abord, ceux qui sont pour la suppression. La manivelle est jugée à leurs yeux tout simplement inutile. Le constructeur estime avoir monté sur sa machine un équipement électrique tel qu'aucune défaillance n'est à craindre à n'importe quelle température, et dans tous les cas. Cela ne manque pas de panache, pour ne pas dire plus. L'apparition et la sécurité de marche du régulateur assurent à la batterie une charge régulière et complète. En conséquence, le couple de démarrage est toujours maximum, donc suffisant pour mettre le moteur en route. Si l'on joint à cela le perfectionnement des carburateurs modernes et de son complément de départ, le starter, d'une part, et, d'autre part, le dessin des tuyauteries d'admission courtes, de grands diamètres, sans coudes brusques ou aspérités de toute nature, on est bien obligé de se rendre à cette évidence : les moteurs actuels partent beaucoup plus facilement que ceux d'hier. Les bougies étant en bon état, bien réglées, et les vis platinées de même, au premier coup de démarreur le moteur doit partir. Et les « supporters » ajoutent à leur argumentation que par temps froid, époque qui éprouve particulièrement la batterie, l'emploi des huiles d'hiver, à grande fluidité, facilite grandement les choses.

En effet, les lubrifiants minéraux épaississent dès que la température avoisine 0°, ce qui entraîne un accroissement considérable de l'effort du démarreur, et par conséquent de la batterie. Les huiles à degré de viscosité 20 et même 10 sont recommandables dans de telles conditions. Avec un coefficient de viscosité plus faible, les huiles gardent leur fluidité plus longtemps et même, à chaud, conservent un pouvoir lubrifiant sensiblement égal. Aussi l'huile fluide d'hiver a contribué sérieusement à l'élimination définitive de la manivelle. Tout cela est très juste, répliquent les défenseurs de cet accessoire, mais regardons de plus près. D'accord pour la marge très grande de sécurité de l'équipement électrique moderne ! Bravo avec vous sur le fait qu'ampoules, durillons, poignet foulé, tours de reins, avant-bras cassé ne soient qu'un lointain et mauvais souvenir ! Pourtant, une voiture n'est pas éternellement jeune. Durant ses premiers 50.000 kilomètres, tout étant neuf au départ, les risques de pannes sont assez limités. Avec l'âge, les premiers symptômes de faiblesse se précisent, surtout si son maître, d'un tempérament quelque peu négligent, ne lui apporte pas tous les soins et attentions voulus. La batterie peut se trouver à plat un beau matin : défaillance d'un élément, décharges accidentelles, surcroît de travail passager, etc. ... Pas de batterie, pas de démarrage, panne totale. On peut également avoir des départs difficiles, dont les origines sont très diverses : entrée intempestive d'air additionnel, soupapes « grillées », vis platinées déréglées ou usées, bobine ou condensateurs fatigués, bougies encrassées, etc. Le démarreur lui-même n'est pas à l'abri des ennuis de ce monde. Les dents de la couronne ou, plus rarement, celles du pignon s'usent ou se cassent. Le ressort du bendix court le même risque. Un « retour » peut casser l'arbre ou un support quelconque, mettant hors service le démarreur. Adieu le départ ! Il y a également des opérations courantes de mécanique où la manivelle est indispensable. Comment s'y prendre pour remplacer la courroie du ventilateur, régler les culbuteurs ou les taquets de soupapes, vérifier l'état des compressions, modifier l'avance à l'allumage, détecter les bruits anormaux ? Et l'acheteur de voiture d'occasion qui voudra « tâter » les compressions, comme il sera embarrassé ! On offrait, jusqu'à ce jour, à l'usager un morceau de fer doux tortillé, toujours difficile à enfiler à travers le bas du radiateur et, avec un porte à faux considérable, dans un bruit de ferraille de jugement dernier, il arrivait, tant bien que mal, à mettre son moteur en route. Il n'aura plus cette satisfaction. Il est vrai que les accessoiristes, toujours à l'affût des nouveautés, viendront offrir des montages astucieux pour rendre à la manivelle sa place d'hier et venir au secours de l'automobiliste prévoyant. Quant aux autres, en période de détresse, ils auront toujours la ressource de faire descendre les passagers, de se mettre en prise directe et de se faire pousser quelques dizaines de mètres ; à moins que, plus sages, ils ne choisissent une descente pour s'arrêter. En conclusion, il serait peut-être préférable de prévoir un logement de la manivelle, même rudimentaire ou d'une accessibilité discutable, et, puisque le constructeur y tient, de faire disparaître la manivelle du coffre à outils. Chacun aura alors la faculté de s'en procurer une au plus proche garage.

G. AVANDO,

Ingénieur E. T. P.

Le Chasseur Français N°661 Mars 1952 Page 172