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Tous centenaires ...

Voulez-vous de l'eau de Jouvence, de l'élixir de longue vie ? ... Oui ? ... Eh bien ! voici, servez-vous ...

Pour rester jeunes très longtemps, suivez le régime que je vais vous indiquer. Il n'est pas nouveau ; c'est un régime « historique », si j'ose dire, basé sur des faits, sur des dates indéniables, que tout le monde peut vérifier. Ces exemples, ces épreuves, je les ai choisis à l'époque mérovingienne, « tout aussi connue que l'époque actuelle », a dit Augustin Thierry.

Il y avait, aux VIe et VIIe siècles, deux puissances dirigeantes : les « rois », la puissance séculière, la « force » ; les « saints », l'autorité intellectuelle et morale.

C'est la façon de « vivre » et de « mourir » de ces deux élites, de ces deux puissances, que je vais rapidement vous exposer ... Vous jugerez et choisirez.

Commençons par les rois.

Enfants, ils étaient élevés avec les fils des dignitaires du royaume, grands seigneurs, ducs, comtes, leudes, etc., dans ces immenses fermes royales ou châteaux dont Braine, à côté de Soissons, était un modèle.

Et que faisaient ces enfants, ces jeunes gens ? ...

Ils faisaient surtout, et sans le savoir, de la culture physique intensive ... Rien de nouveau sous le soleil, la chose existait avant la lettre ...

Courses à pied, sauts en hauteur, en longueur, à la perche, lancement du disque ou du javelot — je veux dire de la francisque ou tramée — puis exercice de cheval, natation, lutte corps à corps, chasse, pêche, etc., etc., rien ne manquait à leur formation physique.

Quant à la formation intellectuelle et morale, comme aujourd'hui beaucoup de vacances, mais j'ajoute, pour être juste, que Sigebert, Clotaire II, Chilpéric, Dagobert étaient très instruits. Quant au régime alimentaire, beaucoup de viande, venaison surtout, puis vin et bière, bière de préférence, le tout en abondance, sans restrictions.

Puis, quand ces jeunes gens étaient devenus des hommes, c'était la grande vie ... Pas de contrainte morale, le bon plaisir était la règle.

Parfois, il y avait la guerre, jeu un peu dangereux, mais jeu tout de même, qui leur donnait l'occasion de montrer dans toute sa plénitude leur force, leur agilité, leur adresse, qualités décuplées dans l'occasion par leurs brutalité et sauvagerie natives. Mais les guerres ne duraient pas longtemps. Alors c'était la chasse, la grande passion des rois francs et de leur suite. Et, au retour de quelque aventure guerrière ou de partie de chasse, c'était l'oisiveté, avec son cortège de jeux, de festins, de beuveries ... Bref, comme disait poliment La Fontaine : « Bonne table, bon gîte, et le reste ... »

Avec un tel régime, ces gens-là devaient venir très vieux, allez-vous dire ... Eh bien ! attendez, vous allez voir ...

Je prends comme exemple les rois à partir des fils de Clovis jusqu'aux fils de Dagobert, c'est-à-dire du milieu du VIe siècle au milieu du VIIe siècle environ.

Clotaire I, le féroce Clotaire, qui assassina ses deux petits neveux, fils de Clodomir, qui fit brûler son fils Chramm avec sa femme et ses enfants, Clotaire, le triste mari de la douce et poétique Radegonde, mourut à cinquante ans.

Il avait trois frères : Thierry mourut à vingt-trois ans, Childebert à quarante-sept ans et Clodomir fut tué dans une expédition en Bourgogne.

Clotaire laissa quatre fils. Je ne parle pas de Sigebert ni de Chilpéric, assassinés à l'instigation de Frédégonde.

Caribert vécut quarante-deux ans et Gontran soixante-huit. C'est, de tous les rois que nous verrons défiler, celui qui vécut le plus longtemps, mais aussi qui suivit un régime plus régulier et plus sévère que les autres. Peut-être aussi le dut-il aux bons soins de ses médecins, qui pouvaient craindre à sa mort quelque funeste aventure ... Un jour, la reine tomba malade. Malgré tous les soins des médecins, la guérison ne venait pas. Elle demanda à son royal époux d'exécuter ses médecins, si elle mourait. Or elle mourut ... et le bon Gontran, fidèle à sa promesse, fit couper le cou aux deux médecins.

Childebert II et Thierry II, rois d'Austrasie, furent enterrés à vingt-six et dix-sept ans. Clotaire II, fils de Frédégonde, qui laissa la réputation d'un prince doux, fut celui qui fit martyriser Brunehaut et assassiner ses petits-fils.

Proclamé roi à quatre mois, il régna et vécut quarante-quatre ans. Dagobert le Grand, fondateur de l'abbaye de Saint-Denis, y fut inhumé à trente-six ans. Son frère Caribert mourut à vingt-cinq ans.

Les deux fils de Dagobert moururent, Sigebert à vingt-six ans et Clovis à vingt-trois ans.

Je ne vais pas plus loin. Nous n'avons plus maintenant que de pauvres petits rois passant du berceau au trône, qui n'eurent la peine que de naître et de mourir (on les dispensa de régner), que l'Histoire traite dédaigneusement de rois fainéants (l'histoire est parfois injuste pour les faibles et les vaincus), que les maires du Palais laissaient vivre ou aidaient à mourir selon leurs intérêts. Les deux qui, adultes, réagirent et voulurent régner furent assassinés.

Les douze rois que je viens de citer, qui moururent de leur bonne mort, rois qui ne se refusèrent rien, totalisèrent quatre cent vingt-sept ans, soit une moyenne de trente-cinq ans.

Admettons, si ça vous fait plaisir, que les trois qui finirent tragiquement auraient dépassé la moyenne, je le veux bien ; soyons généreux ... accordons-leur la cinquantaine. Ça ne nous donne qu'une moyenne de trente-huit ans, pour les quinze rois.

Et maintenant, passons à l'autre puissance, les saints.

De leur jeunesse, rien à dire ; ils furent élevés à la mode de l'époque ; certains à la Cour, comme je l'ai dit plus haut, d'autres par leurs parents, d'une façon plus familiale et plus morale.

Mais c'est à partir de l'âge adulte qu'ils nous intéressent, quand ils choisissent leur idéal, « leur vie ».

Et cette vie est en opposition complète avec celle des Grands de leur époque. Adieu l'oisiveté, les jeux, les festins, mais une vie de travail, de dévouement, de mortification. Et quel était leur régime alimentaire ? Ils s'en tenaient au précepte de la Genèse : ils vivaient de plantes sauvages, de légumes, de graines de fruits, et buvaient de l'eau.

Ils s'abstenaient de viande et de vin ou n'en usaient que très peu et dans des cas exceptionnels. Bref ... régime de carême. Et encore, malgré ce régime qui nous paraît peu fortifiant, beaucoup jeûnaient-ils d'une façon héroïque.

J'en prendrai comme exemple autant que de rois de la même époque, mais les plus célébrés, les plus connus et ceux dont la vie fut la plus dure et la plus mortifiée, pour que l'exemple soit plus probant.

Saint Pardoux, dans son monastère de Guéret en Auvergne, ne mangeait qu'une fois par semaine. Saint Wandrille, l'illustre fondateur de la célèbre abbaye qui porte aujourd'hui son nom, ne mangeait que le jeudi et le dimanche. Saint Pardoux mourut à soixante-dix, et saint Wandrille à quatre-vingt-six ans.

Saint Colomban, fondateur de l'abbaye de Luxeuil, dont la règle était encore plus dure que celle de saint Benoît, mourut à soixante-dix ans et son disciple saint Gall à quatre-vingt-cinq ans. Saint Fiacre, fils d'un roi d'Écosse, vint en France et vécut en ermite aux environs de Meaux. Après la mort de ses frères, ses compatriotes lui envoyèrent une délégation pour lui offrir le trône, mais Fiacre, montrant aux ambassadeurs son vieux froc usé et rapiécé et une poignée d'herbes sauvages : « Cet habit me suffit, leur dit-il, et je préfère ces herbes préparées par mes mains aux festins des rois ... » Et, avec ses herbes sauvages et les légumes de son jardin, saint Fiacre, patron des jardiniers, vécut soixante-douze ans.

Saint Éloi, le grand saint Éloi, orfèvre, ministre de Dagobert, évêque de Noyon, grand ami des chevaux, patron des « maréchaux ferrants », malgré une vie extrêmement occupée et fatigante, mourut à soixante et onze ans. Saint Ouen, son grand ami, son biographe, ministre lui aussi de Dagobert, archevêque de Rouen, mourut à quatre-vingts ans.

Saint Germain, le grand évêque de Paris, qui tenta vainement de réconcilier les frères ennemis, Sigebert et Chilpéric, saint Germain, qui ne dormait que quelques heures par nuit et mangeait très peu, après une vie de travail et de dévouement héroïque aux pauvres et au peuple de Paris, mourut à quatre-vingts ans.

Saint Vaury, ermite sur son rocher du mont Bernage dans la Creuse, mourut à quatre-vingt-dix ans.

Et voici maintenant deux grands amis des bêtes : saint Fosse et saint Calais ... Tous les saints aimèrent les animaux et s'apitoyèrent sur leur souffrances, mais tous n'eurent pas l'occasion de le manifester.

Saint Josse, fils d'un roi de Bretagne, avait fui un trône, comme Fiacre, pour mener la vie d'ermite. Il se fixa dans le Ponthieu et dans les bois sur les bords de l'Authie et de la Canche ; il vivait familièrement avec les animaux qui se conduisaient avec lui comme avec Adam au paradis terrestre. Il mourut à soixante-seize ans.

Saint Calais, né en Auvergne, après quelques séjours aux environs d'Orléans, puis dans le Perche, finit par se fixer dans les ruines d'un vieux château, perdu dans les bois, dans la région du Mans. Là, il était l'ami de tous ses « voisins », depuis le roitelet, qui fit son nid dans son capuchon, jusqu'au buffle. Car la meilleure, la plus distinguée de ses « relations », si j'ose dire, était un buffle, oui, un buffle, animal inconnu dans la région.

La bête venait lui rendre visite. Calais lui caressait l'échine, les fanons du cou, lui passait la main entre les cornes, sur son front noueux, et après, selon son caprice, le buffle retournait s'ébattre dans la forêt ou restait avec le saint. Mais Childebert, roi de Paris, eut vent de l'existence du mystérieux bubal. En grand apparat, avec piqueurs, armes terribles, molosses féroces ... et la reine Ultrogothe, il s'en vint chasser la sympathique bête.

La poursuite fut furieuse, selon l'habitude de ces rois et barons francs. Mais tout à coup la chasse s'immobilisa, les chiens hurlaient et aboyaient sur place, le roi et sa suite arrivèrent bientôt, mais arrêtés eux aussi, comme les chiens, par une force mystérieuse, ils virent le buffle, haletant mais confiant, derrière le saint, debout à la porte de son ermitage. Et saint Calais mourut à soixante-dix ans.

Et maintenant, chasseurs et veneurs, saluez et sonnez du cor, voici saint Hubert. Il était fils de Bertrand, duc d'Aquitaine, et petit-fils de Bogis, fils de Chramm, ce Chramm, fils révolté de Clotaire II, brûlé avec sa femme et ses enfants, par ordre de son père, dans une maison où il s'était réfugié quelque part en Bretagne.

Bogis était encore en nourrice, ses parents ne l'avaient pas emmené avec eux. Il évita ainsi une mort affreuse. Par la suite, Clotaire se repentit de son crime. Il fit élever avec soins ce petit-fils sauvé des flammes et lui donna l'Aquitaine. Hubert était un grand seigneur doué des plus brillantes qualités du corps et de l'esprit. À vingt-cinq ans, il était ministre du roi d'Austrasie, avec son cousin Pépin d'Héristal comme maire du Palais.

Un jour — c'était un vendredi saint, jour de trêve sacrée pour les chasseurs — Hubert partit à la chasse avec sa meute et sa suite. C'était aux environs de Liège. Il chevauchait dans la forêt quand, tout à coup, surgit devant lui un cerf majestueux, et dans sa ramure il avait une croix, et sur la croix, le Christ cloué ... Épouvanté, Hubert se jeta à bas de son cheval, à genoux, le front contre terre. Et il entendit une voix qui lui disait : « Hubert, Hubert, laisse là ce jeu cruel qui n'est pas digne de toi ... Le sang des bêtes innocentes criera vengeance contre toi ... Va trouver l'évêque de Maestrich, mon serviteur Lambert, il te dira ce qu'il faut faire ... » Et Hubert quitta tout et, sous la direction de saint Lambert, il commença une vie de pénitence, puis se fit ermite, devint évêque de Liège et mourut à soixante-douze ans.

Et pour finir voici les grands saints Médard, saint Gildard, son frère, et saint Jean de Réomé, qui vécurent à eux trois trois cent soixante ans.

Jean naquit d'un riche et noble seigneur de Langres. Il aurait pu comme ses parents mener la vie de château. Mais il préféra la vie cénobitique. Il fut le fondateur de l'abbaye de Réomé, aujourd'hui le Moustiers-Saint-Jean, en Bourgogne. Et, malgré le maigre régime indiqué plus haut, et une vie de jeûne et de privations, il vécut jusqu'à près de cent vingt ans. Et s'il mourut, c'est parce qu'il fallait mourir, comme tout le monde, mais jusqu'à la fin il continua toute son activité, conserva intactes ses facultés physiques et intellectuelles, bon pied, bon œil, et toutes ses dents ...

Médard et Gildart étaient de noble extraction. Ne l'est pas qui veut ! ... Leur père, seigneur de Salency, près de Noyon, s'appelait Nectard ... Nom de vraiment bon augure. Il ne pouvait naître de lui que des êtres de choix ... Et, en effet, ses fils furent deux être exceptionnels Qui ne connaît M. Saint-Médard qui fait pleuvoir quand il le faut,

Pour que ses amis les chevaux
Qu'il a gardé dans sa jeunesse
aient toujours à point
Bons prés, bon fourrage et bon foin ...

et tout le monde sait que :

Quand il pleut pour la Saint-Médard,
Il pleut quarante jours plus tard.

Médard et Gildard étaient frères bessons. Nés le même jour, de la même mère, ils se ressemblaient comme deux frères, furent tous les deux évêques, sacrés le même jour, et moururent le même jour ... peut-être à la même heure ... Et on les fête à la même date, bien entendu, le 8 juin.

Et grâce sans doute au régime des herbes sauvages, des légumes, des graines et des fruits arrosés d'eau claire, grâce à une vie active, à un travail intensif, ils atteignirent allègrement, sans infirmité aucune, sains de corps et d'esprit, leurs cent vingt ans ...

Et sans rides, mesdames, sans rides, nous dit le biographe de saint Médard, le poète Fortunat. Et actifs et bienfaisants jusqu'au bout, ils prêchaient en mourant et moururent en prêchant ...

Mais je m'arrête, résumons. Les quinze rois, y compris les trucidés, totalisèrent cinq cent soixante-dix-neuf ans, soit une moyenne de trente-huit ans.

Les quinze saints totalisèrent mille trois cent quatorze ans, soit une moyenne de quatre-vingt-sept ans. Ce qui prouve que la vie large, la vie de plaisirs et de jouissance use beaucoup plus l'organisme qu'un régime sévère, même « agrémenté », si j'ose dire, de jeûnes, de mortifications et d'un travail intensif.

Vous connaissez maintenant les deux régimes et ses effets.

Comparez et choisissez.

Peut-être allez-vous me dire qu'il n'est pas dans vos moyens de pratiquer le premier, eh bien ! essayez du second, ça coûtera moins cher et ça durera plus longtemps.

Benoît CIMETIÈRE.

Le Chasseur Français N°661 Mars 1952 Page 188