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Deux jours en Brière

Il y avait deux ans que je ne l'avais pas revue ! La mare des Rets est toujours la même. Sur la Butte-aux-Pierres où nous retrouvions Adam et Ève, deux beaux arbres qui se voyaient de loin sur cette grande étendue si nue, il n'en reste plus qu'un, les Allemands ayant pris l'autre comme cible de tir et ayant une fois tiré plus adroitement. De loin, j'ai revu la butte à Thérèse, dont j’ai souvent parlé dans Le Chasseur Français et aux environs de laquelle j'ai tant chassé la bécassine. Je retrouve tout à sa place ; le bois de la Garenne, avec sa petite route de verdure qui bien souvent m'a conduit jusqu'au bon puits où, après la chasse, on exposait le gibier tué. Cette absence paraît bien longue au vieux chasseur qui retrouve avec émotion sa maison et ses multiples trophées de chasse. Seule a disparu la loggia de la vieille voiture qui venait nous chercher à Saint-Nazaire, détruite par une bombe d'avion.

Le vent est passé il y a un moment au nord. Il se pourrait que la glace recouvre demain les platières, et ce changement de temps me plaît infiniment.

Après avoir préparé mon départ du lendemain, je me couche rapidement afin de pouvoir me lever avant le jour.

Me voici en bateau dans le petit coulisseau de sortie qui va m'emmener à ma hutte au nord de la mare des Rets. Je retrouve le coin que j'aime tant avec le bruit des roseaux givrés. De temps en temps un petit bloc de glace nous oblige à un détour. Nous passons. Nous sommes près de la mare, il faut éviter le moindre bruit, se réhabituer aux premiers départs des canards. Nous arrivons à la mare des Rets et plaçons nos appelants. Les pilotes ont changé leur méthode, ils posent leurs canes d'appel, qui se mettent à rappeler comme d'habitude, mais le canard est en avant, un peu à l'abri de la vue des canes. C'est là une bonne méthode qui permet aux canes de chercher le malard.

Baissons-nous bien, il doit y avoir des sarcelles ; les voici, elles rasent l'eau et ne se posent pas. Je tire, il en tombe trois, ramassons vite les blessées. Mon pilote n'a pas tiré. Très vite après, vient se poser un souchet aux ailes éclatantes. Je ne le vois pas bien au début et puis enfin je tire ; il est bien raide. Le marais, avec un coup de feu, se réveille ; voici une bande de sarcelles ; j'en fais tomber trois au moment de leur passée et mon pilote en tue deux. Bon début. À la mare du Bruli. Albert vient de tirer quatre coups, il n'a pas redoublé, le coup est bon. Baissons-nous bien ; des morillons arrivent, mais leur pose n'est pas aussi naturelle que d'habitude. Nous tirons, je les vois trop tard, mon pilote en fait tomber trois.

À l'heure du déjeuner, mon bateau contient vingt-neuf canards et quatre bécassines. Cette première journée a été bonne, la seconde va être aussi fructueuse !

Mes deux bateaux ont réussi à grouper sur la margelle du puits de la Garenne soixante canards. J'ai été très content de cette réussite, car le chasseur qui n'a pas parcouru depuis longtemps le marais peut avoir des doutes sur l'abondance du gibier.

Une seule chose, au cours de cette visite en Brière, m'a chagriné ; nous avons battu la Butte-aux-Pierres, sur laquelle généralement les bécassines étaient plus nombreuses, et le tableau en a été médiocre ; il ne faut pas incriminer le tir, qui fut excellent, mais il est probable que la gelée avait décantonné les bécassines de l'endroit où elles se retrouvent généralement, et c'est là ce qui constitue les incertitudes de la chasse au marais.

Jean DE WITT.

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 200