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Une histoire de chasse comme tant d'autres.

À la mémoire d'Albert Ganeval, mon ami.

Nous étions rentrés assez tard. La conversation languissait, le repas aussi.

C'est beau, hein ! la chasse, mais ça lasse aussi, souvent, avouons-le. Le gibier qui se fait plus rare, les bracos qui sont meilleurs tireurs que nous, nos chiens qui ont souvent plus de pedigree que de talent, tout ça se dresse contre ceux qui sont des « purs », et c'était le thème un peu vieillot — et vaseux — de la conversation du soir.

Et plus encore : un de nos chiens avait été piqué.

Un de nos bons amis, B ..., bien en forme physique, ex-maître d'équipage, nous a réveillés par une histoire à ce sujet. Je la livre aux scientifiques, aux empiriques et aux autres qui ne sont ni l'un ni l'autre, comme nous étions tous ce soir-là, peut-être parce qu'un peu fatigués. Je lui laisse la parole :

— J'ai eu beaucoup de chiens mordus par des vipères pendant nos chasses à courre. J'étais alors piqueux d'équipage chez M. le comte de P ..., et nous n'avions pas toujours du sérum prêt, ni la trousse Louis Legros. Un jour, un de nos beaux lanceurs est piqué. Rien, je n'avais rien ! Mais, sur les conseils du patron, j'ai employé le procédé que je vous donne :

» J'ai pris quinze à vingt grandes feuilles de choux dits fourragers, que j'ai pilées et pressées dans un linge pour obtenir un demi-verre de jus vert. Je l'ai fait absorber à mon chien.

— Comment ?

— Mais en lui ouvrant la gueule sur le côté, tout simplement.

— Et il en a guéri ?

— Oui ! dans une dizaine d'heures.

— Et combien en avez-vous soignés de cette manière ?

— Une dizaine.

— Avec succès ?

— Oui, toujours.

On « s'est tous regardés » ... comme on dit en Poitou. Avouons que la recette était simple, l'explication encore plus courte. Et, trouvant un sujet un peu nouveau, nous avons discuté longtemps, les uns sur l'action bienfaisante de la chlorophylle sur l'anémie hypochrome, qui est peut-être l'action première du venin, l'oedème n'étant que secondaire, les autres sur une autre action neutralisante encore inconnue de la chlorophylle. D'autres parlaient d'action neurotrope.

Oh ! ceux-là, personne ne pouvait les suivre, c'étaient des savants. D'autres encore, et c'étaient des toubibs, car nous étions arrivés aux heures tardives où l'esprit un peu las se révèle scientifique, se rappelaient de l'indécision de certaines autorités médicales qui préconisent encore le garrot bien serré en avant, quand d'autres disent modérément, pour éviter la diffusion rapide du venin qui, somme toute, n'est pas si venin que ça !

À ce point de la discussion, l'un de nous affirma :

— Au fond, si un peu de diffusion du venin n'est pas un obstacle à la guérison, dans un cas pareil je ferai le truc du chou, et je rentre chez moi.

Nous étions tous contents d'une conclusion qui mettait un terme à un débat un peu mou.

Seul notre brave B ..., sans même nous accorder la moindre concession, nous quittait et rentrait chez lui avec ses deux bons chiens sur un petit mot de défi :

— On reparlera de ça, messieurs !

J'aurais enchanté avec cette histoire — dont il eût fait un article plein d'esprit — un grand ami qui était aussi celui de la grande famille des lecteurs du Chasseur Français, Albert Ganeval, dont je fus le dernier médecin.

Je n'aurais pas écrit ce papier sans la certitude de lui rendre hommage dans une formule qu'il eût souhaitée.

C'était une belle et grande âme qui n'acceptait pas la moindre défaillance. Je le vois encore, montant la garde pendant la Résistance entre les « Vieilles Forges » et les « Six Routes », guettant le Boche comme son gibier, et repérant avec beaucoup de soin ses angles de tir et ses sentiers de repli.

« Tout seul ... » c'était une formule qu'il aimait.

Ce grand caractère était fier dans la douleur et stoïque devant le destin. Je connais des confidences qui rappellent l'antique et qui restent dignes d'un chrétien.

« Je n'aime pas les fleurs des fleuristes, avait-il dit dans son testament, mais j'aime les branches vertes qu'on cueille aux haies et dans les jardins. Je ne veux que celles-là à mes obsèques. »

On les lui a données avec les trois couleurs qu'il avait demandées, comme « un ancien de l'autre ».

Acceptez, mon ami, ce soir, par delà la tombe et avec mon souvenir fidèle, la gerbe que j'offre à votre mémoire. Une pauvre histoire de chasse qui vous eût rappelé vos bruyères et vos fourrés.

Dr L. R ...

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 200