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Comment voyagent les oiseaux.

L'influence du vent sur les passages des oiseaux (1) intéresse beaucoup les chasseurs. Les bécassiers fervents et les chasseurs de sauvagines, à l'époque des migrations, manifestent souvent autant d'excitation que les oiseaux dont ils attendent la venue ; ils tapotent le baromètre, guettent la moindre oscillation de son aiguille et supputent la dépression, le cyclone ou l'anticyclone, essayant de prévoir le passage ; ils se lèvent la nuit pour repérer la direction du vent. Mais, bien que des observations acceptées comme règles permettent de prévoir des probabilités, les déceptions restent fréquentes.

Il est admis que les canards, les échassiers et généralement tous les oiseaux venant du nord ou nord-est de l'Europe, nous arrivent par vents de ces mêmes secteurs ; mais il n'est nullement acquis que chaque fois que ces vents soufflent en période de migrations ils soient accompagnés d'un passage. Ce dernier se produit quelquefois par vent nul (bien qu'un vent rigoureusement nul soit peu probable en altitude), on en constate même par vents contraires. Néanmoins, on peut tenir pour vrai que les oiseaux préfèrent voyager avec vent dans le dos, ce qui est conforme aux observations générales autant qu'à la logique, ainsi que nous allons le voir ; mais on ne peut, pour les mêmes raisons, en tirer une règle absolue, à tel point que c'est l'opinion contraire qu'ont exprimée plusieurs savants. Ceux-ci, à une époque où l'aérologie et les lois aérodynamiques étaient encore mal connues, raisonnaient dans leur cabinet d'après des données erronées ou des observations incomplètes. Mais, si l'expérience a démenti certaines conclusions, d'autres conservent leur valeur.

On présumait communément que les oiseaux se laissaient emporter par le vent comme des feuilles mortes. Des savants prétendaient, au contraire, que dans ce cas le courant redressait leurs plumes et les empêchait de voler, que leur queue ne pouvait, dans ces conditions, remplir son rôle d'aviron, de gouvernail et de stabilisateur. Ces deux opinions étaient fausses. L'opinion du savant de Serres (1845) n'aurait une valeur que si l'oiseau n'avait pas de vitesse propre ; or celle-ci reste constante au sein du fluide en mouvement ; elle vaudrait également si la vitesse propre de l'oiseau devait ou pouvait rester absolue par rapport au sol ; son inertie s'opposerait alors à la vitesse du courant si celle-ci était plus grande. Mais l'oiseau se meut dans la masse de fluide sans résister au mouvement de ce dernier, suivant la même direction, et les deux vitesses s'ajoutent ; il n'est pas emporté comme une feuille, mais vole très normalement avec les mêmes mouvements que si l'air était immobile.

L'observation que les oiseaux s'envolent toujours face au vent avait aussi accrédité la théorie que, pour voler, ils devaient s'appuyer sur lui. Mais, d'autre part, constatant que certains oiseaux, comme les hirondelles, arrivaient quelquefois malgré des vents de différentes directions et de différentes violences, on admettait qu'il n'y avait pas corrélation très absolue entre les vents et les migrations des oiseaux.

Connaissant aujourd'hui tout le mécanisme du vol, nous pouvons appliquer aux oiseaux les lois subies par l'avion ou le planeur, et ce rapprochement explique bien des choses.

La sustentation d'un planeur aux ailes rigides résulte de l'aspiration produite par le vide relatif que crée l'écoulement des filets d'air sur une aile ; l'air heurté provoque une dépression vers le haut, d'où succion, et une pression en dessous. Ce phénomène suppose donc un déplacement de l'aile vers l'avant ou un déplacement de l'air vers l'aile ; si ce dernier est à lui seul suffisant, le vol est établi dans l'immobilité : cas des oiseaux de proie suspendus immobiles dans l'air. Le planeur se déplace par sa position de descente, ou angle de planement ; si l'air ambiant a un mouvement ascendant plus rapide que la descente de l'appareil, ce dernier monte par rapport au sol, tout en descendant dans la bulle d'air qui le porte : cas des oiseaux planeurs qui montent sans bouger les ailes. Le mouvement de l'avion est produit par traction d'une hélice ou par réaction ; de même, quand il ne plane pas, l'oiseau avance en brassant l'air avec ses ailes, mais sa sustentation est augmentée par l'appui qu'elles prennent sur l'air, comme un nageur s'appuie sur l'eau avec ses bras.

Si les oiseaux, comme les avions, s'envolent face au vent, c'est que, partant à vitesse zéro, tant qu'ils n'ont pas acquis une vitesse v nécessaire à leur sustentation, leurs gouvernes sont inopérantes. Cette vitesse est relative et ne s'entend que par rapport à l'air : si celui-ci, en mouvement, a une direction contraire à celle de l'appareil volant, l'air s'écoule sur ce dernier à une vitesse plus grande, exactement égale à celle de l'appareil qui s'élance plus celle du vent : quand deux trains se croisent, leur vitesse relative est égale à la somme de leurs vitesses propres respectives. La vitesse relative nécessaire à la sustentation est acquise d'autant plus rapidement que les deux vitesses composantes sont plus grandes : le vent debout aide au départ. Inversement, par vent arrière, l'oiseau ou l'avion doivent d'abord le dépasser pour prendre leur vitesse de sustentation ; mais, pendant cette course, les gouvernes sont sans effet ; il est exact alors que le vent redresse les plumes de l'oiseau et l'air s'écoule sur le corps dans le sens opposé à celui qui compose le vol ; l'oiseau ou l'avion sont le jouet du vent qui les bascule ; le vent arrière est nuisible au départ.

Mais, le vol établi, cette vitesse relative, ou de sustentation, si elle tient l'oiseau dans l'air en parfait équilibre, ne lui confère pas la vitesse absolue qui le fait avancer par rapport au sol : tout le monde a vu des oiseaux, leur départ pris bec dans le vent, être refoulés en arrière. Ils volent cependant au sens propre du mot ; mais, la vitesse du vent étant supérieure à leur vitesse propre, leur vitesse absolue en est annihilée ; si elle est inférieure, elle diminue celle-ci ; si elle est égale, l'oiseau reste immobile, suspendu. Le vent debout est donc contraire à la vitesse de route des oiseaux. Inversement, le vent arrière lui est favorable ; car, le vol établi, elle s'ajoute à la vitesse relative. La théorie exposée ci-dessus, qui ferait voyager les oiseaux toujours le bec au vent pour la seule raison que cette position est celle de tous les départs, est donc sans fondement. D'ailleurs, il est aisé de constater qu'après avoir pris leur départ face au vent les perdreaux et les bécassines virent pour s'éloigner avec vent dans le dos. La mécanique et la géométrie démontrent par une simple figure que, lorsque la vitesse propre d'un planeur s'ajoute à celle du vent, l'angle de planement augmente : il peut alors voler plus lentement tout en allant plus vite par rapport au sol, et, dans ce cas, l'oiseau a moins d'effort à faire pour arriver au but, ou, pour un même effort, il parcourt une plus grande distance ; il peut donc faire une économie d'énergie. Quand les deux vitesses s'opposent, l'angle de planement diminue ; l'oiseau dépense donc un surcroît d'énergie pour franchir la même distance, car il doit voler plus longtemps ; mais, pour la raison exposée au sujet du départ, il en dépense moins pour sa sustentation et peut ainsi, sacrifiant sa vitesse de route, faire encore une économie d'énergie.

Tous les oiseaux n'ont pas les mêmes habitudes ou les mêmes raisons de voyager rapidement, et leur conformation les prédispose à adopter des principes de vol différents. Pour mieux comprendre ces derniers, on peut comparer les oiseaux aux divers appareils volants. Constatons en passant que le vol de l'hélicoptère rappelle étrangement celui de certains insectes. On peut assimiler les oiseaux aux planeurs ou motoplaneurs (rapaces, grands échassiers), aux avions à grande surface portante (canards, bécasses, hirondelles, dont le corps relativement léger est pourvu de très bonnes ailes, à grand angle de planement) et aux avions de chasse. On sait que ces derniers, mauvais planeurs, ont besoin d'une grande force pour voler : tels sont les perdicinés, qui, pour se sustenter, agitent si rapidement leurs ailes qu'ils produisent un ronflement, cause, chez les chasseurs, d'émotions funestes au tir ; ils sont denses, trapus et remarquablement musclés (perdreaux, cailles, faisans) ; leur angle de planement est aigu.

Il est aisé de constater que les milans et autres rapaces diurnes pratiquent plus le vol à voile que le vol à moteur. On sait que des planeurs parcourent de très grandes distances en utilisant les courants ascendants. Leur mécanisme est aujourd'hui parfaitement connu. Le sol, échauffé par le soleil, réfléchit plus ou moins, selon sa nature, une partie de sa chaleur ; l'air chaud s'élève, remplacé par l'air froid latéral des surfaces moins échauffées ; cet air s'échauffant à son tour, le phénomène continue. La colonne d'air qui monte est chargée de vapeur d'eau ; c'est sa condensation qui forme les nuages ; les cumulus en formation sont l'aboutissement de ces colonnes d'ascendances, souvent d'une très grande force. Rarement verticales, elles sont poussées par le vent. Si celui-ci n'épouse pas la même route que l'oiseau ou le planeur utilisant l'ascendance, après avoir gagné de la hauteur passivement, celui-ci peut rejoindre une autre colonne ascendante en vol plané (planeur) ou en vol dynamique (motoplaneur et oiseau) et suivre ainsi, en louvoyant, un chemin de courants ascendants. Le rayonnement du sol est très variable : les terrains sablonneux, pierreux, bien insolés, les champs de céréales mûres, en raison de leur couleur claire, les agglomérations s'échauffent surtout en surface et restituent beaucoup de chaleur aussi longtemps qu'ils en reçoivent.

Les rivières et bois, au contraire, s'échauffant plus profondément, emmagasinent la chaleur et produisent des descendances ; mais, après le coucher du soleil, ils restituent cet excès emmagasiné. La nuit, les ascendances peuvent donc se trouver inversées. D'autre part, l'air, quand il heurte un obstacle, se trouve dévié ; suivant la loi du moindre effort, que ne néglige pas la nature, il prend le chemin le plus court en contournant l'obstacle s'il est étroit ou en l'escaladant s'il est large (chaînes de mamelons). Il se produit ainsi un courant ascendant de relief, utilisé par les planeurs et, on le voit souvent, par les oiseaux de proie, pour prendre une altitude.

Il n'est pas douteux que d'autres oiseaux que les rapaces utilisent les courants ascendants ; mais, n'étant pas aussi bons voiliers et n'ayant pas les mêmes raisons de musarder en route, à l'exception des grues, qui font parfois du vol à voile pur, ils ne se servent des courants que pour économiser leurs forces. Étant donné que l'homme arrive à franchir en planeur des centaines de kilomètres, il est certain que les oiseaux, dont l'air est l'élément et qui en connaissent mieux que lui le mécanisme et les secrets, sont capables de bien plus remarquables performances. Mieux que l'homme, ils connaissent aussi les lois de la circulation des vents, qui s'écoulent des hautes pressions atmosphériques vers les plus basses, les lois de Buys-Ballot, réglant leur direction autour des anticyclones dans un sens opposé dans l'hémisphère Nord et l'hémisphère Sud, la force de Coriolis due au mouvement de rotation de la terre, de même qu'ils prévoient, mieux que nos faibles instruments et bien plus à l'avance, la formation des dépressions et des anticyclones, générateurs des vents, et la rotation journalière de ceux-ci suivant la marche du soleil, en dehors des influences locales. Or celles-ci doivent s'entendre horizontalement et verticalement ; la direction du vent varie souvent en altitude, ce qui nous induit parfois en erreur sur celle qui accompagne les passages.

La direction du vent auprès du sol n'est donc pas un critère certain pour faire présager un passage. L'observation des courants ascendants ne pouvant être que locale ne fournit pas non plus d'indications, surtout pour les oiseaux gibiers qui ne s'en rendent pas esclaves. Et, cependant, tous les oiseaux utilisent le vent comme les ascendances ; mais, avant tout, c'est leur instinct de migration qui provoque et règle leur voyage. Ce ne sont pas les vents qui nous amènent les oiseaux migrateurs, mais les époques, qui déterminent un besoin auquel rien ne peut les soustraire ; les circonstances extérieures peuvent bien les favoriser, alors ils en profitent ; elles peuvent aussi inciter les oiseaux à dévier de quelques degrés leur angle de route et cela peut expliquer parfois la rareté de certaines espèces chez nous, parce que le vent les a poussées vers des pays voisins ; mais, à l'échelle d'un continent, la migration s'est pourtant accomplie, car rien ne peut y faire obstacle. Lorsque les migrateurs se heurtent à des forces contraires, elles ne sauraient les arrêter, leur besoin de se déplacer étant plus impérieux que le souci de leur confort et de leur nourriture. Constatons toutefois que la Nature prévoyante a réglé les vents dominants aux diverses saisons dans le sens général favorisant les migrations.

Ce qu'au sujet des vents on peut tenir pour vrai doit l'être aussi au sujet de la lune. L'influence lunaire est avérée sur les marées et sur bien d'autres choses ; elle peut bien aussi s'exercer sur les êtres vivants. C'est sans doute pourquoi la nouvelle et la pleine lune, correspondant aux plus fortes marées, coïncident aussi avec les principaux passages. Cette influence physiologique est plus probable que l'effet attractif du clair de lune lui-même ; car on observe maints passages par temps couvert et brume épaisse, ainsi qu'un ou deux jours avant le premier quartier. Mais, pas plus que le vent et pour les mêmes raisons, la lune ne détermine les migrations ; quand celles-ci sont déclenchées, elle peut seulement avoir quelque influence pour retarder ou avancer les mouvements locaux.

Comment, arrivant quelquefois par des nuits très obscures, les oiseaux se dirigent-ils ? Comment, venant du Sénégal, cette hirondelle a-t-elle retrouvé l'emplacement du nid qu'elle vient occuper chaque année ? Car on a fait la preuve de la fidélité de ces oiseaux au toit choisi pour leur séjour d'été. Comment, née à des centaines de lieues, cette bécasse de l'année vient-elle élire domicile, au milieu de cette forêt, sous le même arbre que ses devancières ? Cet instinct, qui paraît mystérieux à nos sens humains si précaires, n'est très probablement que l'effet d'un système d'ondes qu'un jour, peut-être, on connaîtra. N'est-ce pas la chauve-souris qui, par le sens grâce auquel, aveuglée, elle peut éviter les obstacles, a donné l'idée du radar ?

L'observation des animaux, des insectes et des oiseaux, particulièrement, est aussi profitable aux hommes que les formules et calculs, qui risquent quelquefois de contrarier les lois de la nature.

GARRIGOU.

(1) Voir Le Chasseur Français de mars 1952.

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 204