Tous les chiens d'arrêt porteurs de poil dur ne sont pas
pour autant dignes du nom de Griffons au vrai sens de ce mot, faute de
présenter une vêture composée de jarre et de bourre ; c'est-à-dire poil de
couverture et sous-poil. D'ailleurs, les éleveurs de certaines races de
création récente revendiquent pour leur favori le titre de Braque à poil dur,
tel par exemple le Drahthaar. En quoi ils ont parfaitement raison. Ce
chien, dont les mérites ne sont pas discutés, est habillé en tout et pour tout
d'un poil très dur, sa formule somatique enfin, qui est celle du Hunter, n'est
en rien celle des Griffons dignes du titre. On peut en dire autant d'un chien,
maintenant assez rare, le Stichelhaar, dont on s'étonne qu'il ait pu
prétendre un moment à figurer sur le même livre d'origine que l'indiscutable
Griffon que Korthals a défini et obtenu. En effet, j'ai sous les yeux la
monographie générale du comte de Bylanot, éditée il y a plus d'un demi-siècle,
où figurent nombreuses photographies de toutes les races ; celles qui
représentent le Stichelhaar font voir un personnage ressemblant dès alors au
Braque allemand moderne parcimonieusement habillé de poil dur. Ne pas oublier
que ce Braque, tel qu'il existe de nos jours, vivait dès cette époque, les
illustrations à lui consacrées dans le même ouvrage en font foi. Il y a donc
longtemps que le Stichelhaar doit être considéré comme Braque à poil dur. C'est
sans doute ce que pensèrent justement les griffonniers orthodoxes au jour où
ils rompirent les relations avec lui.
Une autre nouveauté, le Pudel-Pointer, bâti dans la
formule d'un Pointer étoffé, ne présente ni la structure ni le pelage composite
du Griffon digne de ce nom.
Que devons-nous donc désigner par ce terme ? Il
s'applique au chien sélectionné par Korthals, à celui que réalisa M. Boulet,
enfin au Spinone italien. La parenté entre ces formes et leur psychologie sont
évidentes.
Le Griffon est une forme naturelle participant du chien
d'eau ou Barbet et du Braque, sans doute plus proche du premier par plusieurs
points. Lorsqu'il est de la conformation pour lui classique, c'est un animal
sensiblement plus long que haut, à l'angulation relativement fermée à laquelle
il doit l'allure féline qui faisait dire « les chats de Korthals »,
au pelage composite enfin et porté naturellement aux ébats aquatiques. Du
Braque, il a l'arrêt affirmé, l'oreille classique qu'on dit même pointéroïde,
les lignes plus longues que celles du chien d'eau, lui très refoulé. Parmi les
Griffons, le Boulet, très chargé en sous-poil, était plus près du Barbet par
l'angulation, l'oreille, le comportement sur le terrain, les allures lentes,
circonspectes, silencieuses. C'était un vrai chien de marais pour le canard et
cependant bien un Griffon, non un Barbet au poil défrisé comme il fut dit. Si
ce spécialiste des cours d'eau, des étangs et marais inondés a été abandonné,
c'est la faute de ceux qui le voulurent chien à toutes fins, ce qu'il n'était
nullement, son tempérament et ses moyens le désignant comme spécialiste des
chasses en eau profonde ou marécages très couverts. Ce n'était même pas un
chien à bécassine, son nez étant trop moyen pour la chasse de cet oiseau ;
mais chien pour le canard et sans doute plus efficace que les Spaniels
turbulents et bruyants, faisant peu de bruit, s'écartant peu et allant
volontiers en eau profonde, donc plus indiqué en l'occurrence. Cette race, de
beaucoup de cachet, a disparu et c'est grand dommage. Se serait-elle perpétuée,
si maintenue dans le rôle que comportait son tempérament ? Ce n'est pas
certain. Une spécialisation aussi étroite n'est jamais garantie de durée.
La concurrence du Griffon de Korthals, qui, lui, est bien un
chien d'arrêt à toutes fins, devait inévitablement lui porter un coup mortel.
J'ai toujours pensé que celui-ci, de même que le précité, sont variations
autour d'une forme naturelle, l'une d'elles favorisée de qualités moins
affirmées chez l'autre. Ces deux variétés n'eussent pas été si rapidement
obtenues dans l'homogénéité qui les distingue, si composées d'éléments
hétérogènes, des « races manufacturées » comme disent les
Britanniques. Korthals s'est toujours défendu d'avoir fabriqué une race et a
bien dit s'être attaché à dégager, dans sa meilleure formule, un type naturel
répandu sur une aire de dispersion fort étendue. Parmi les éléments dont il a
fait usage, on distingue bien un ancêtre voisin du Barbet, ce qui ne peut
beaucoup surprendre étant donné le souci toujours manifesté de la conservation
de la bourre, d'autant qu'un autre ancêtre à poil ras se voit également dans la
genèse. Il y a eu là un jeu de compensation dont le grand éleveur était bon
juge. Les faits sont là, qui lui donnent raison, puisque l'homogénéité de la
race était acquise dès le temps de sa mort prématurée.
Le Spinone, qui est bien Griffon d'arrêt, a assez
évolué depuis le demi-siècle. Le gros chien au crâne en dôme que l'on voyait
alors et faisait penser à la silhouette du fort Braque de même robe blanche-orange,
son compatriote, a pris peu à peu, même sans varier de pigmentation,
ressemblance avec le chien de Korthals. On dit même qu'il y eut alliances. Je
ne crois pas que cela ait été nié. On a vu des Spinones enfin ayant pris la
livrée du précité, outre l'identité de physique, formule plus élégante enfin.
Ceux que j'ai vus sur les bancs de cet extérieur m'ont semblé cependant moins
longs et moins près de terre que le Korthals classique tel qu'il doit être pour
être conforme à la doctrine.
L'est-il d'ailleurs toujours ? Je ne cherche pas
querelle sur ce point de détail, qu'il faut bien évoquer cependant puisqu'il en
a été toujours fait état. Avouons qu'on voit certains sujets de structure très
régulière et par là séduisants dont le gabarit est plutôt celui du Hunter, ce médioligne
dont la silhouette tend à s'inscrire dans le carré, étant à peine plus long que
haut. Cette structure, qui est celle de nombreux chiens de chasse, est très
justement appréciée, parce que plaisante et justement réputée pour fournir des
quadrupèdes aux allures vives et soutenues. De là certaines indulgences pour
des sujets harmonieusement construits, un peu trop courts pour le respect de la
règle, l'angulation plus ouverte ne comportant pas les allures coulantes
désirées, enfin portant par malheur têtes moins longues que désirables, avec
une boîte crânienne aux formes arrondies qui n'est pas de saison. On doit, il
me semble, veiller à ces détails qui, négligés, peuvent orienter la race vers
un modèle de galopeur certes non méprisable, mais dont les allures seraient
plus d'un Braque que du Griffon. Ne peut-on attribuer enfin ces variations à la
reversion sur certains ancêtres admis au cours des années au sein de la grande
famille ? On ne saurait en effet garantir les plus lointaines origines des
reproducteurs introduits dans divers pays où elle est représentée.
On trouvera que c'est là beaucoup d'exigence. À cela je
répondrai qu'une race pour laquelle on a toujours et justement désiré une
représentation homogène ne peut prétendre la maintenir qu'au prix d'une
certaine sévérité. Je le juge d'autant plus nécessaire que le modèle variant,
et la tête en particulier, le moral varie aussi. Or l'on sait combien veillait Korthals
au maintien de la psychologie propre de son chien. Quand il parle de tête
intelligente et grande, à la face longue, c'est à dessein d'éviter la formule
refoulée ou simplement trop brève de l'armature, formule exclusive des allures
classiques. On a tout à gagner au respect de l'enseignement du maître. Dût-on
être porté à l'indulgence pour un chien bien établi, mais sortant quelque peu
du gabarit défini par le standard, il ne faut pas oublier que la loi est la
loi. On fait donc erreur en primant hautement un joli chien, si joli et
harmonieux soit-il, mais sortant plus ou moins du cadre tracé par le
régénérateur de la race.
R. DE KERMADEC.
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