Accueil  > Années 1952  > N°662 Avril 1952  > Page 208 Tous droits réservés

Griffons et chiens d'arrêt à poil dur

Tous les chiens d'arrêt porteurs de poil dur ne sont pas pour autant dignes du nom de Griffons au vrai sens de ce mot, faute de présenter une vêture composée de jarre et de bourre ; c'est-à-dire poil de couverture et sous-poil. D'ailleurs, les éleveurs de certaines races de création récente revendiquent pour leur favori le titre de Braque à poil dur, tel par exemple le Drahthaar. En quoi ils ont parfaitement raison. Ce chien, dont les mérites ne sont pas discutés, est habillé en tout et pour tout d'un poil très dur, sa formule somatique enfin, qui est celle du Hunter, n'est en rien celle des Griffons dignes du titre. On peut en dire autant d'un chien, maintenant assez rare, le Stichelhaar, dont on s'étonne qu'il ait pu prétendre un moment à figurer sur le même livre d'origine que l'indiscutable Griffon que Korthals a défini et obtenu. En effet, j'ai sous les yeux la monographie générale du comte de Bylanot, éditée il y a plus d'un demi-siècle, où figurent nombreuses photographies de toutes les races ; celles qui représentent le Stichelhaar font voir un personnage ressemblant dès alors au Braque allemand moderne parcimonieusement habillé de poil dur. Ne pas oublier que ce Braque, tel qu'il existe de nos jours, vivait dès cette époque, les illustrations à lui consacrées dans le même ouvrage en font foi. Il y a donc longtemps que le Stichelhaar doit être considéré comme Braque à poil dur. C'est sans doute ce que pensèrent justement les griffonniers orthodoxes au jour où ils rompirent les relations avec lui.

Une autre nouveauté, le Pudel-Pointer, bâti dans la formule d'un Pointer étoffé, ne présente ni la structure ni le pelage composite du Griffon digne de ce nom.

Que devons-nous donc désigner par ce terme ? Il s'applique au chien sélectionné par Korthals, à celui que réalisa M. Boulet, enfin au Spinone italien. La parenté entre ces formes et leur psychologie sont évidentes.

Le Griffon est une forme naturelle participant du chien d'eau ou Barbet et du Braque, sans doute plus proche du premier par plusieurs points. Lorsqu'il est de la conformation pour lui classique, c'est un animal sensiblement plus long que haut, à l'angulation relativement fermée à laquelle il doit l'allure féline qui faisait dire « les chats de Korthals », au pelage composite enfin et porté naturellement aux ébats aquatiques. Du Braque, il a l'arrêt affirmé, l'oreille classique qu'on dit même pointéroïde, les lignes plus longues que celles du chien d'eau, lui très refoulé. Parmi les Griffons, le Boulet, très chargé en sous-poil, était plus près du Barbet par l'angulation, l'oreille, le comportement sur le terrain, les allures lentes, circonspectes, silencieuses. C'était un vrai chien de marais pour le canard et cependant bien un Griffon, non un Barbet au poil défrisé comme il fut dit. Si ce spécialiste des cours d'eau, des étangs et marais inondés a été abandonné, c'est la faute de ceux qui le voulurent chien à toutes fins, ce qu'il n'était nullement, son tempérament et ses moyens le désignant comme spécialiste des chasses en eau profonde ou marécages très couverts. Ce n'était même pas un chien à bécassine, son nez étant trop moyen pour la chasse de cet oiseau ; mais chien pour le canard et sans doute plus efficace que les Spaniels turbulents et bruyants, faisant peu de bruit, s'écartant peu et allant volontiers en eau profonde, donc plus indiqué en l'occurrence. Cette race, de beaucoup de cachet, a disparu et c'est grand dommage. Se serait-elle perpétuée, si maintenue dans le rôle que comportait son tempérament ? Ce n'est pas certain. Une spécialisation aussi étroite n'est jamais garantie de durée.

La concurrence du Griffon de Korthals, qui, lui, est bien un chien d'arrêt à toutes fins, devait inévitablement lui porter un coup mortel. J'ai toujours pensé que celui-ci, de même que le précité, sont variations autour d'une forme naturelle, l'une d'elles favorisée de qualités moins affirmées chez l'autre. Ces deux variétés n'eussent pas été si rapidement obtenues dans l'homogénéité qui les distingue, si composées d'éléments hétérogènes, des « races manufacturées » comme disent les Britanniques. Korthals s'est toujours défendu d'avoir fabriqué une race et a bien dit s'être attaché à dégager, dans sa meilleure formule, un type naturel répandu sur une aire de dispersion fort étendue. Parmi les éléments dont il a fait usage, on distingue bien un ancêtre voisin du Barbet, ce qui ne peut beaucoup surprendre étant donné le souci toujours manifesté de la conservation de la bourre, d'autant qu'un autre ancêtre à poil ras se voit également dans la genèse. Il y a eu là un jeu de compensation dont le grand éleveur était bon juge. Les faits sont là, qui lui donnent raison, puisque l'homogénéité de la race était acquise dès le temps de sa mort prématurée.

Le Spinone, qui est bien Griffon d'arrêt, a assez évolué depuis le demi-siècle. Le gros chien au crâne en dôme que l'on voyait alors et faisait penser à la silhouette du fort Braque de même robe blanche-orange, son compatriote, a pris peu à peu, même sans varier de pigmentation, ressemblance avec le chien de Korthals. On dit même qu'il y eut alliances. Je ne crois pas que cela ait été nié. On a vu des Spinones enfin ayant pris la livrée du précité, outre l'identité de physique, formule plus élégante enfin. Ceux que j'ai vus sur les bancs de cet extérieur m'ont semblé cependant moins longs et moins près de terre que le Korthals classique tel qu'il doit être pour être conforme à la doctrine.

L'est-il d'ailleurs toujours ? Je ne cherche pas querelle sur ce point de détail, qu'il faut bien évoquer cependant puisqu'il en a été toujours fait état. Avouons qu'on voit certains sujets de structure très régulière et par là séduisants dont le gabarit est plutôt celui du Hunter, ce médioligne dont la silhouette tend à s'inscrire dans le carré, étant à peine plus long que haut. Cette structure, qui est celle de nombreux chiens de chasse, est très justement appréciée, parce que plaisante et justement réputée pour fournir des quadrupèdes aux allures vives et soutenues. De là certaines indulgences pour des sujets harmonieusement construits, un peu trop courts pour le respect de la règle, l'angulation plus ouverte ne comportant pas les allures coulantes désirées, enfin portant par malheur têtes moins longues que désirables, avec une boîte crânienne aux formes arrondies qui n'est pas de saison. On doit, il me semble, veiller à ces détails qui, négligés, peuvent orienter la race vers un modèle de galopeur certes non méprisable, mais dont les allures seraient plus d'un Braque que du Griffon. Ne peut-on attribuer enfin ces variations à la reversion sur certains ancêtres admis au cours des années au sein de la grande famille ? On ne saurait en effet garantir les plus lointaines origines des reproducteurs introduits dans divers pays où elle est représentée.

On trouvera que c'est là beaucoup d'exigence. À cela je répondrai qu'une race pour laquelle on a toujours et justement désiré une représentation homogène ne peut prétendre la maintenir qu'au prix d'une certaine sévérité. Je le juge d'autant plus nécessaire que le modèle variant, et la tête en particulier, le moral varie aussi. Or l'on sait combien veillait Korthals au maintien de la psychologie propre de son chien. Quand il parle de tête intelligente et grande, à la face longue, c'est à dessein d'éviter la formule refoulée ou simplement trop brève de l'armature, formule exclusive des allures classiques. On a tout à gagner au respect de l'enseignement du maître. Dût-on être porté à l'indulgence pour un chien bien établi, mais sortant quelque peu du gabarit défini par le standard, il ne faut pas oublier que la loi est la loi. On fait donc erreur en primant hautement un joli chien, si joli et harmonieux soit-il, mais sortant plus ou moins du cadre tracé par le régénérateur de la race.

R. DE KERMADEC.

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 208