Avec d'impérissables trésors d'art et de pensée, la
Grèce nous a légué les Jeux olympiques. À vrai dire, ce dernier héritage a été
négligé pendant des siècles. Due au baron de Coubertin, sa résurrection a
d'abord été timide. Mais l'idée était si belle, si féconde que le succès et
l'ampleur des Jeux olympiques rénovés n'ont cessé de croître au cours d'un
demi-siècle troublé. Aujourd'hui même, alors que les menaces qui pèsent sur le
monde ne sont pas dissipées, on se préoccupe d'organiser les Jeux de 1956,
fixés à Melbourne. Pour ceux de 1960, des candidatures sont déjà posées. Rome
et d'autres villes sont sur les rangs. Quel meilleur témoignage de confiance en
l'avenir pourrait-on trouver ? Les nations qui s'opposent en d'autres
domaines sont prêtes à se rencontrer, sans exception, dans les luttes loyales
et pacifiques du stade. Tous les rideaux de fer s'abaissent. Le sport, relégué
trop souvent à des activités mesquines et mercantiles, retrouve tous les quatre
ans son véritable visage et ses vertus.
De ce sport en quelque sorte sublime, Helsinki sera, en
juillet prochain, la capitale. Quand paraîtront ces lignes, les sports de la
neige auront déjà déroulé leurs figures harmonieuses en Norvège. Ils
constituent un prologue indépendant de l'œuvre grandiose. Si grandiose même
qu'il a fallu à la Finlande beaucoup de courage pour en revendiquer
l'organisation.
Vers un petit pays vont affluer, par dizaines de milliers,
athlètes, « accompagnateurs », journalistes, spectateurs. Il n'est
pas un habitant d'Helsinki et de ses environs qui ne soit appelé à héberger des
visiteurs. Et comme ceux-ci seront trop nombreux quels que soient les miracles
de l'hospitalité finnoise, des villages de toile seront construits dans la
campagne, sur des îles. Bref, l'été du Nord est clément et prodigue des nuits
merveilleuses.
Évidemment, dans tous les pays, la préparation des
concurrents a commencé. Quand les crédits officiels font défaut, des
souscriptions nationales sont ouvertes. Il en est ainsi au Japon, qui n'a pu se
résigner à déclarer forfait.
Chez nous, des subventions ont été votées en temps utile.
L'état de nos finances interdit toute prodigalité. Les sommes allouées doivent
cependant être suffisantes, si elles sont judicieusement réparties et
employées.
Le seront-elles ? Des problèmes se posent, qu'il n'est
pas aisé de résoudre. Témoignant d'un libéralisme sans doute excessif, les
rénovateurs des Jeux ont admis presque tous les sports, sports individuels et
sports d'équipe. Il résulte de cette dispersion qu'une nation qui tient à être
représentée partout est contrainte d'envoyer à Helsinki une véritable armée.
Elle doit ou bien se résoudre à engager des frais énormes ou bien accepter de
répartir ses ressources sur un trop grand nombre d'unités, en sacrifiant
l'entraînement, les soins, la nourriture de chacun. Pratiquement, seuls les
États-Unis et l'U. R. S. S. sont en mesure de déplacer des
masses, sans que la qualité soit compromise au profit de la quantité, la Russie
étant, en outre, aidée par sa situation géographique pour les Jeux d'Helsinki.
Éliminer des sports secondaires, des disciplines où nos
représentants auraient des chances médiocres de se classer honorablement,
concentrer ses efforts sur une élite, tels sont les principes dictés par la
sagesse, mais qu'il est malaisé sinon impossible d'imposer. Il existe en France
des sports pauvres, ignorés des foules, dont la pratique réclame du dévouement,
un travail obscur que nul succès public ne compense. Les animateurs de ces
sports déshérités offrent leurs loisirs, leur argent. Pour eux, une figuration,
même modeste, aux Jeux, serait une récompense magnifique. Doit-on leur dire :
« Nous n'avons pas besoin de vous. Vous seriez tout
juste bons à être des figurants. Nous n'avons besoin que de champions
authentiques. Restez chez vous. Vous lirez les résultats dans la presse. »
Ce langage serait cruel. D'autant plus que, parmi les sports écartés, on
compterait des activités importantes et de valeur certaine : la lutte, les
poids et haltères et même l'aviron, sport complet et pur qui, en France, subit
une déchéance imméritée.
Autre question, plus délicate encore, celle que posent les
braves gens englobés sous le nom volontairement vague d' « accompagnateurs ».
Combien de présidents, de secrétaires, de directeurs
sportifs, de personnages plus ou moins officiels rêvent d'un beau voyage en
Finlande, aux frais de la caisse olympique bien entendu ! Tous sont prêts
à démontrer qu'ils sont indispensables pour guider, conseiller, soutenir le
moral de leurs « poulains ». Leur sincérité est désarmante. Mais, si
on les écoutait, ils submergeraient de leur multitude les athlètes
sélectionnés. La délégation française ressemblerait à telle armée d'opérette où
dix généraux commandent un soldat unique. Nous exagérons à peine. Nous avons eu
en main une liste dressée par une fédération. Les « accompagnateurs »
surpassaient largement en nombre les exécutants.
Tout bien pesé, en ne considérant que l'intérêt national, on
est contraint de conclure que des coupes brutales s'imposent. D'ores et déjà,
nous connaissons les noms — assez rares — des hommes et des équipes
qui possèdent des chances sérieuses de se classer honorablement dans des
compétitions d'une extrême sévérité. Nous ne pensons même pas à des vainqueurs,
mais à des finalistes, voire à des demi-finalistes possibles. C'est cette élite
qu'il faut soigner jalousement sans regarder de trop près à la dépense. Si,
cette tâche accomplie, il reste de l'argent, tant mieux. Avec ce reliquat, il
nous sera permis d'envoyer en Finlande des jeunes qui prendront là-bas des
leçons utiles, des espoirs qui s'épanouiront avant les jeux d'Australie, des
chevronnés avides de couronner leur carrière par le titre de sélectionné
olympique, voire quelques « accompagnateurs » choisis parmi les plus
méritants.
D'abord, il est nécessaire de garantir l'essentiel. Nos
ambitions sont limitées. Elles se bornent à démontrer que nous tenons une place
honorable dans le sport mondial. Et il ne sera pas facile de fournir cette
preuve, même en utilisant au mieux nos ressources.
Nous jugeons abusif et maladroit de mettre en cause à tout
propos le prestige national, de crier à la catastrophe quand nos joueurs de balle
ou nos cyclistes subissent des défaites. Les Jeux olympiques ont une importance
et un retentissement exceptionnels. Même ceux que le sport laisse indifférents
ne sauraient s'en désintéresser. Les athlètes qui soutiendront nos couleurs
seront, devant le public le plus vaste et le plus international qu'on puisse
réunir, des ambassadeurs de France. Veillons qu'ils se comportent dignement et
que, au moins, nul parmi eux ne se révèle ridicule.
JEAN BUZANÇAIS.
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