La brasse fut pendant très longtemps, et jusqu'en 1914
environ, le style classique, que pratiquaient 95 p. 100 des nageurs
européens, soit exclusivement, soit plus ou moins alternée ou mitigée avec l'over-arm
(nage sur le côté).
L'expansion des Jeux olympiques a été l'occasion d'importer
chez nous d'une part une nouvelle brasse dite « papillon », qui nous
vient du Japon, d'autre part le crawl, que nous firent connaître et apprécier
les Australiens.
L'esprit de compétition aidant, le crawl, incontestablement
plus rapide, a largement dépassé en vitesse et en popularité notre vieille
brasse, qui cependant conserve ses adeptes, surtout parmi les femmes, et pour
les longues distances. La brasse, en effet, n'exige pas les qualités
athlétiques indispensables pour nager longtemps et correctement le crawl ;
elle est davantage « à la portée de tout le monde ».
Si bien qu'entre les trois styles un nageur ayant déjà une
certaine expérience n'a que l'embarras du choix pour se spécialiser selon ses
goûts et ses aptitudes.
Mais un problème important se pose pour les débutants, sur
lequel les opinions sont partagées. Il est certain que, en natation comme
ailleurs, il y a intérêt à apprendre tout de suite au débutant le meilleur
style, la meilleure tactique, en vertu d'un principe physiologique que j'ai
souvent défendu dans ces colonnes, et qui veut que les bonnes habitudes prises
dès l'enfance se conservent toute la vie alors qu'il est très difficile de
corriger un geste défectueux contracté lors de l'apprentissage, ou de changer
de style plus ou moins tardivement.
Si bien que depuis vingt ans on a pris l'habitude
d'apprendre le crawl aux enfants, d'emblée, parfois dès l'âge de six ou sept
ans.
Or il semble que, si cette conception est théoriquement
inattaquable, une exception puisse et doive être faite dans le cas particulier
de la natation.
En effet, certains entraîneurs particulièrement compétents,
comme M. Émile Schœbel, chez nous, et en Angleterre Mr. Madders, ont
constaté que le crawl constitue pour l'enfant, dont l'enthousiasme est
contradictoire avec le dosage conscient de l'effort, une nage trop athlétique,
trop rapidement épuisante, et qu'ils ont eu l'occasion de constater, non pas
certes des accidents graves, mais des pertes de contrôle et des « prises
de tasses » qui les ont souvent obligés à se jeter à l'eau pour aller « dépanner »
leurs élèves.
Il est en effet difficile, pour un « jeune » qui
s'affole facilement, de retrouver son équilibre et son sang-froid, en cas
d'incident, s'il ne possède à sa disposition que ce seul style dont la cadence
est rapide et la technique assez compliquée.
D'autre part, la nécessité, dans le crawl, d'avoir les
quatre cinquièmes du temps la tête, le nez et la bouche dans l'eau exige une
capacité respiratoire et un débit cardiaque qui n'atteignent leur
épanouissement qu'après la puberté. Tandis que la brasse donne un bien meilleur
contrôle au nageur débutant, et que, la tête restant presque entièrement
émergée, les voies respiratoires sont en dehors de l'eau. Les yeux libres
permettent de voir ce qui se passe. La brasse est facile à apprendre, elle
donne dès les premières leçons la certitude que l'eau vous porte, donc la
confiance et le sang-froid. Enfin, les mouvements de la brasse, qui sont d'une
simplicité et d'une sobriété de gestes élémentaires, ne sont pas
contradictoires avec ceux du crawl, qu'il sera relativement facile, le moment
venu, de leur substituer.
Il en sera de même de la « brasse papillon », qui
n'est qu'une modification de la brassé classique. Si, devenu sûr de lui, l'adolescent
veut adopter ce style, il lui suffira d'apprendre la pratique du mouvement
simultané des bras, qui rend la traction plus rapide, donc la vitesse plus
grande, et de déplacer verticalement son centre de gravité. Mais il n'y a pas
de contradictions profondes entre les deux styles.
On peut donc dire que la brasse classique est en quelque
sorte l'ABC, ou, si l'on veut, la « grammaire » de la natation,
qu'elle prépare à tous les autres styles sans contradictions profondes avec
ceux-ci.
C'est pour ces raisons que l'on revient aujourd'hui à la
vieille brasse de notre enfance comme étant le style le plus simple et le plus « éducatif »
pour les débutants.
Dr Robert JEUDON.
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