La betterave fourragère couvre plus de 800.000 hectares avec
un rendement moyen de l'ordre de 30 à 35 tonnes. Ses possibilités sont
nettement supérieures : elle donne fréquemment 60 tonnes à l'hectare et
peut, en circonstances favorables, dépasser largement 100 tonnes.
De conservation facile, elle assure pendant l'hiver une
masse fourragère considérable, et elle permet l'alimentation régulière et
assurée des bovins et plus particulièrement des vaches laitières. C'est un
aliment aqueux : 85 à 87 p. 100 d'eau, mais cet inconvénient n'est
peut-être pas aussi grand qu'il le paraît d'abord, car, pendant la période
hivernale qui est celle de sa distribution, on ne saurait nourrir uniquement
avec du sec ; l'eau apportée par la boisson ne joue pas physiologiquement le
même rôle que celle qui fait partie intégrante de l'aliment.
Relativement riche en sucre, ce qui lui assure une valeur
énergétique certaine et lui permet un début de fermentation lors de son mélange
avec les menues pailles, la betterave n'est pas un aliment froid. L'animal n'a
pas de calories à dépenser pour le réchauffer. Elle est, par contre, pauvre en
protides, encore qu'une incertitude reste quant à sa teneur exacte en cet
élément. Une part importante de ses éléments azotés serait sous forme non protidique.
Quoi qu'il en soit, une ration à base de betteraves fourragères a besoin d'être
complétée et équilibrée par un apport d'aliments riches en protides :
tourteaux ou féveroles par exemple. Les tourteaux d'arachide en tiennent de 40
à 50 p. 100, ceux de lin ou de colza 35 p. 100, la féverole arrive à
25 p. 100. Elle a cet avantage appréciable d'être produite à la ferme où
elle est, comme la betterave, cultivée en plante sarclée. Elle ne convient pas
à toutes les terres, mais dans les sols argilo-calcaires un peu lourds, elle
donne des résultats fort intéressants.
On distingue généralement les betteraves fourragères et les
betteraves dites demi-sucrières. Dans le premier groupe, on trouve les
Disettes, la Mammouth, l'Eckendorf, la Jaune ovoïde des Barres ; dans le
second, les Géantes demi-sucrières, roses, rouges ou blanches, plus riches en
sucre. En fait, la différence est subtile et la valeur alimentaire des unes et
des autres n'est pas très différente. Un gros progrès reste à accomplir, qui
est certainement possible. Il ne serait pas sans inconvénients de substituer la
betterave sucrière ou même la betterave dite de « distillerie » à la
fourragère, car bien des animaux n'acceptent que difficilement les racines trop
fermes, mais un juste milieu reste possible. Une difficulté réside toutefois
dans le mode de reproduction de la betterave, qui est à fécondation croisée, ce
qui gêne considérablement les travaux de sélection. Ceux-ci sont coûteux, ce
qui relève le prix de la semence, élément fâcheux pour une plante dont la
production n'est pas destinée à la vente. Un autre facteur défavorable
intervient encore, c'est la réduction de format des racines au fur et à mesure
qu'augmente la teneur en sucre ; le temps n'est pas si loin où on donnait
à admirer au public les betteraves les plus volumineuses !
Plante sarclée, la betterave fourragère vient en tête
d'assolement et reçoit le fumier de ferme. Il convient de compléter par 500 ou
600 kilos de superphosphates, 400 kilos de chlorure de potassium et 300 kilos
d'ammonitrates. Elle bénéficie de façons culturales nombreuses, et si elle se
montre moins exigeante à ce point de vue que la betterave à sucre, en raison de
sa valeur marchande moindre et d'une végétation plus superficielle, sa
productivité reste cependant conditionnée par la perfection des travaux de
préparation du sol.
Un point important est celui du démariage, qui doit se faire
de bonne heure, sans quoi la végétation risque, en année sèche, de reprendre
difficilement et de languir jusqu'aux pluies d'arrière-saison, ce qui
compromettrait sérieusement la récolte. Le démariage est une opération coûteuse
et on cherche à le supprimer ou tout au moins à le simplifier par l'emploi de
graines « monogermes ». Cette technique est surtout utilisée pour la
betterave sucrière.
Sarclages et binages jouent leur rôle pour l'obtention d'une
forte récolte ; celle-ci reste toutefois liée à la pluviosité de l'été et
du début de l'automne.
La betterave est généralement suivie d'une céréale et, plus
particulièrement, d'un blé, qui trouve une terre propre, meuble dans sa partie
superficielle et bien assise en profondeur. Un labour à profondeur moyenne
suivi d'un hersage suffira pour la mettre en état. Abondamment fumée, la
betterave laisse derrière elle un important reliquat d'éléments fertilisants ;
il ne faut cependant pas oublier qu'elle a dû satisfaire ses propres exigences
et même que la betterave fourragère épuise davantage le sol que sa cousine
sucrière. Elle n'en constitue pas moins une excellente tête d'assolement.
Elle est quelque peu discutée à l'heure actuelle et d'aucuns
préconisent son remplacement par les fourrages verts, l'ensilage permettant de
disposer de ces derniers pendant toute la mauvaise saison. Il est certain que
la betterave fourragère coûte cher à produire et qu'elle ne constitue pas un
aliment parfait ; elle est mal équilibrée, pauvre en protides,
insuffisamment pourvue en sodium et trop en potassium, mais bien d'autres
aliments ont des défauts du même ordre. On peut d'ailleurs y remédier. En
compensation, elle a des qualités qui sont loin d'être négligeables : elle
constitue un bon précédent pour les céréales qui lui succéderont, elle produit
régulièrement et abondamment, elle se conserve facilement, les animaux la
consomment avec satisfaction et son action sur la production laitière est
favorable.
Des progrès sont d'ailleurs possibles tant en ce qui
concerne sa productivité que sa composition et le prix de revient peut en être
diminué par une amélioration de la technique culturale, celle du démariage en
particulier. La betterave fourragère semble appelée à jouer pendant longtemps
encore un rôle important dans l'économie de la ferme, mais le temps semble
révolu des variétés trop pauvres en sucre, de valeur alimentaire vraiment
insuffisante eu égard aux frais de production.
R. GRANDMOTTET,
Ingénieur agricole.
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