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Grande culture

Travaux d'avril

Si les prévisions météorologiques permettent un jour de deviner l'histoire des saisons à venir, les agriculteurs en seront enchantés, mais dans l'état actuel de nos connaissances, en ce jour gris de février, j'en suis réduit à des hypothèses.

Avril, les plantations de pommes de terre battront leur plein et déjà la récolte sera compromise à l'insu des producteurs, si l'on n'a pas observé des précautions qui devraient maintenant être entrées dans les habitudes courantes. La valeur des plants de qualité n'est plus en discussion : l'expérience a été maintes fois tentée de mettre en comparaison des plants quelconques sortis d'un tas à la cave ou d'un silo, et des plants sélectionnés offrant des garanties en ce qui concerne l'état sanitaire.

La vulgarisation des résultats obtenus est facile, mais, au moment d'exécuter, les chiffres reprennent leurs droits : il faut 1.500 kilogrammes de plant par hectare, et le plant sélectionné bien soigné, en clayettes, vérifié, revient à 30 francs le kilogramme au moment de la mise en terre ; du plant tout venant ne mérite pas d'être majoré par rapport au prix de la marchandise tout venant. Si la pomme de terre vaut 8 francs le kilogramme à la récolte, c'est donc 33.000 francs qu'il faut gagner par hectare pour que l'opération soit blanche, soit environ 4.000 kilogrammes. On peut assurer que cet excédent est réalisé avec le plant sélectionné. Seul obstacle, il faut décaisser 33.000 francs par hectare plusieurs mois à l'avance. Opération de crédit.

En avril, semis des betteraves ; la fumure de fond a été apportée depuis longtemps et cependant on voit encore enfouir des fumiers ; la terre ne sera jamais en état satisfaisant pour recevoir les semences convenablement, on passera de longues heures à façonner le terrain à la herse, au canadien, au scarificateur, au rouleau ; à la fin, c'est dans un lit de mottes grossières et anguleuses, s'il fait sec, que l'on déposera les semences. Levée lente, désastreuse, quelques tonnes de moins par hectare avec moins de frais. Que faire ?

Ne pas jouer avec le temps, à toute fin vouloir prendre de l'avance, être un peu mieux outillé, surtout disposer de moyens de traction suffisants. D'un côté, quelques milliers de frais supplémentaires pour obtenir de médiocres résultats ; d'autre part, une avance importante de frais d'investissement ; là encore, connaissance et crédit.

En avril, les champs se salissent, les mauvaises herbes bénéficient comme les bonnes plantes des façons préparatoires, des engrais, et même de la place laissée entre les rayons si l'on a voulu économiser de la semence et vivre dans la pensée de plantes individuellement plus vigoureuses portant de beaux épis. Confiant dans les méthodes nouvelles, on n'a pas hersé; encore moins biné, espérant dans les procédés nouveaux de désherbage. Mais le temps n'est pas sûr et l'on hésite, il faut acheter des produits, utiliser un appareil perfectionné qui répandra un brouillard de fines poussières ou de gouttelettes atomiques ! Alors, faute d'appareils, de fonds pour acheter et employer, malgré les magnifiques résultats obtenus ailleurs, malgré la foi que l'on voudrait avoir dans les belles images en noir et en couleurs qui montrent ce qui pourrait être obtenu, on ne fait rien et l'on prépare de nouvelles générations de mauvaises herbes. Manque de connaissances, manque de moyens financiers, opération de crédit.

Avril voit la fin des travaux d'ensemencement et de plantation, on attend les récoltes, on prend pour une période de repos celle qui correspond aux modestes entretiens et l'on ne suit pas le développement des fourrages ; on est si content de contempler les belles fleurs de luzerne, de trèfle, de suivre les plantes variées de la prairie permanente où se dresseront bientôt les tiges des graminées, les épis laissant échapper le pollen ... et provoquant le rhume des foins. On attend ; pendant ce temps, on devrait être attentif aux résultats qu'enregistre le laboratoire : les plantes perdent de leur qualité à mesure qu'elles prennent de la taille, l'animal fera moins de profit de l'herbe âgée que de l'herbe tendre. Il faudrait savoir tout cela, se préparer à couper en mai, soit pour faire de l'ensilage, soit un peu plus tard, à peine, pour transformer les herbes en foin. On ne sait pas, on manque de moyens de travail pour opérer rapidement et, pendant trop longtemps, on gaspillera tous les jours, au cours de la fenaison, ce qui fait la véritable valeur des produits emmagasinés. Manque de connaissances, insuffisance de moyens financiers.

Ainsi pourrions-nous passer en revue les douze mois et la conclusion serait invariablement la même : manque de connaissances, manque de moyens financiers. Un vaste effort est consacré à la vulgarisation, des crédits sont affectés à cette belle opération, mais il y a tant de retard, il faut tant d'années pour mettre les choses au point que l'on ne saurait suffisamment insister afin que la connaissance soit répandue ; ne pas oublier que les progrès de base sont rapides maintenant ; on est vite dépassé ; d'autre part, sur le plan des réalisations, le cultivateur ne fait qu'une chose par an ; le semis est manqué, la saison n'a pas été favorable, il faut attendre douze mois pour recommencer.

Moyens financiers, ce point de vue est aussi grave. C'est la fameuse question des investissements agricoles qui est à l'ordre du jour. Mais pensons un peu. Au prix de vente des produits agricoles, il ne faut pas se figurer qu'il reste une grande marge en moyenne ; on cite trop facilement les gens hors classe, on s'aigrit des bénéfices particuliers réalisés en période de pénurie, mais, en raison de la dépréciation des monnaies, le simple renouvellement des opérations ordinaires coûte plus cher que les produits de la récolte précédente. On vend non pas sur la base d'un prix de remplacement, mais on doit avancer et avec quoi ? C'est pourquoi, à côté des investissements à échéance plus ou moins lointaine, une large place doit être réservée au « crédit de campagne ».

Ces aperçus sur les faits d'avril, période d'espoir, montrent le bonheur qu'éprouveraient les agriculteurs, comme les autres, s'ils n'étaient pas obligés de monter à l'échelle mobile, échelle qui risque de s'effondrer à force de s'allonger vers ...

la lune.

L. BRÉTIGNIÈRE,

Ingénieur agricole.

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 227