Le châtaignier (Castanea sativa) est à la fois un
arbre fruitier et forestier. Son aire en France s'étend de la région parisienne
aux Pyrénées et à la Méditerranée. On le trouve communément en Bretagne, en
Vendée et en Limousin, dans les Cévennes et en Corse, plus rarement en Alsace,
en Dauphiné et en Provence.
C'est une essence des climats humides et tempérés qui craint
les fortes gelées et les sécheresses trop prolongées. Le châtaignier supporte
mal les expositions trop chaudes ou trop arides, bien que pour mûrir ses fruits
aient besoin de longues périodes de chaleur. Il se plaît dans les terrains
dépourvus de calcaire, et s'il est commun de dire qu'il se contente des sols
les plus pauvres, à condition qu'ils ne soient ni trop humides, ni trop
compacts, il ne prospère véritablement que dans des sols argilo-siliceux
profonds et riches.
Le châtaignier n'est spontané en France que dans quelques
stations de Provence, des Cévennes méridionales, du Périgord et du Roussillon.
Partout ailleurs, il a été réintroduit par l'homme au cours des siècles.
À l'état isolé, c'est un bel arbre, prenant avec l'âge
un port majestueux. Son fût est, généralement, peu élevé, mais sa cime est
fortement charpentée et développée. Sa végétation est rapide, surtout dans la
jeunesse, et sa longévité est remarquable. Il peut atteindre 30 mètres de haut
et une circonférence énorme. On cite sur les pentes de l'Etna un châtaignier
dont le tronc mesurait 53 mètres de circonférence. Il s'agissait, sans doute,
d'une monstrueuse souche portant plusieurs tiges. Chez nous, dans le Cher, il
existerait un châtaignier de 10 mètres de tour qui aurait plus de mille ans. Il
est certain en tout cas que le châtaignier est doué d'une vitalité
extraordinaire, et il est fréquent de trouver des arbres de fortes dimensions,
mutilés et presque complètement creux, portant des branches et des rameaux
d'une étonnante vigueur Son enracinement est pivotant. Son couvert, bien que la
ramification ne soit pas serrée, est dense et épais, en raison de la dimension
de ses feuilles longues d'environ 15 à 20 centimètres, dentelées sur les bords,
et de leur direction généralement horizontale. Son écorce, d'un brun olivâtre
dans le jeune âge, devient plus tard d'un gris brun légèrement argenté,
s'épaissit et se gerce de fentes verticales.
Les fleurs, unisexuées, se trouvent sur le même arbre. Les
fleurs mâles sont disposées en longs chatons cylindriques dont la base supporte
deux ou trois fleurs femelles. Leur couleur blanc-ivoire, qui se détache sur le
fond vert des feuilles, rend la floraison de cet arbre particulièrement
spectaculaire. Le châtaignier est autostérile, c'est-à-dire que les fleurs femelles
sont rarement fécondées par les fleurs mâles du même arbre. La fructification
exige donc la fécondation croisée, ce qui donne au fruit les caractères d'un
hybride. Pour multiplier un type déterminé de châtaignier il faut alors avoir
recours à la greffe.
Les fruits, au nombre de un, deux ou trois, sont contenus
dans une bogue hérissée de piquants qui s'ouvre à maturité par quatre valves. Ce
sont des châtaignes, ou « marrons », trop connus pour qu'il soit
utile d'en faire la description. Le « marron » n'est autre qu'une
variété de châtaigne, il en diffère par sa forme moins aplatie, sa taille plus
grosse, sa saveur plus sucrée, et surtout par sa pellicule intérieure mince ne
pénétrant pas dans la chair et ne formant pas cloison.
Le bois de châtaignier est tout à fait semblable au bois de
chêne par sa teinte ; il s'en distingue à l'œil par l'absence de
maillures. Sa contexture est différente, et ses propriétés physiques et
mécaniques en font un bois moins lourd, mi-dur, assez peu noueux et très
fissible. Il est assez riche en tanin.
Les châtaigniers cultivés pour leurs fruits sont plantés en
vergers, ou châtaigneraies. Les sauvageons, ou plants provenant de pépinières,
sont mis en place à 10 ou 15 mètres les uns des autres, c'est-à-dire au nombre
de 100 à 450 sujets par hectare. Après un ou deux ans de reprise, ils sont
greffés avec la variété que l'on désire multiplier, et qui doit être choisie
pour ses qualités d'adaptation à la station considérée. Autrefois, la
châtaigneraie était l'objet de soins culturaux répétés. On y pratiquait très
souvent, pendant les vingt-cinq premières années, des cultures intermédiaires
de sarrasin et de seigle. Le sol était donc labouré, hersé et, quelquefois,
fumé. Puis, l'ombrage devenant nuisible aux cultures, on livrait la
châtaigneraie au parcours des brebis et des porcs. À l'automne, dans les
régions pauvres, on ramassait et on ramasse encore les feuilles mortes et les
fougères pour en faire de la litière. Cette pratique est condamnable, car elle
retire à la châtaigneraie un amendement naturel qu'aucun apport d'engrais ne
vient compenser. Une châtaigneraie est en plein rendement entre cinquante et cent
ans. On y récolte, chaque année, par hectare, de 2.500 à 3.500 kilogrammes de
châtaignes. Le ramassage et le triage des fruits exigent beaucoup de
main-d'œuvre.
La dernière statistique, faite en 1948, montre qu'il existe
en France 170.000 hectares de châtaigneraies, donnant 92.000 tonnes de
châtaignes. En cinquante ans, la surface des châtaigneraies et la production de
châtaignes ont diminué de plus de 50 p. 100. Cette situation s'explique
par la dépopulation des campagnes, l'évolution de l'économie rurale, le
dépérissement des châtaigneraies dû à l'abandon des soins culturaux et accéléré
par les maladies cryptogamiques dont il sera question plus loin. Les plus
belles châtaigneraies se trouvent sur le pourtour oriental et occidental du
Massif Central, dans les Maures et en Corse.
Les peuplements forestiers de châtaignier à l'état pur sont
le plus souvent traités en taillis simple, rarement en futaie. Les taillis sont
exploités suivant la destination des produits, à des âges variant de cinq à
vingt-cinq ans. Les taillis sont surtout répandus dans l'Ouest de la France,
des Pyrénées à la Bretagne ; on en trouve également dans le Dauphiné et en
Alsace, où ils complètent la culture de la vigne par la fourniture d'échalas et
de piquets.
En mélange avec d'autres essences, il participe à la
formation du sous-étage des peuplements feuillus et résineux ; la
puissance de ses rejets le rend envahissant. On le laisse quelquefois atteindre
les dimensions d'arbres de futaie, mais il a le défaut de fendre facilement
sous l'effet des gelées.
On peut évaluer à environ 50.000 hectares l'importance des
peuplements forestiers de châtaignier.
Le châtaignier est peut-être l'arbre dont on tire les
produits les plus variés :
— ses feuilles, nous l'avons vu, peuvent servir de
litière ;
— son fruit constitue une excellente nourriture pour
l'homme et pour les animaux. Sa valeur nutritive est presque équivalente à
celle de la farine de blé. Il alimente l'industrie des marrons glacés et des
confitures.
La grosse difficulté réside dans sa conservation. Les
châtaignes, en effet, sont très facilement putrescibles, soit en raison des
circonstances qui accompagnent leur récolte, soit parce qu'elles renferment
souvent les germes de parasites végétaux ou animaux. Il existe de nombreux
procédés de conservation plus ou moins anciens ou empiriques ; aucun ne
donne pleinement satisfaction. La question est actuellement à l'étude, car le
maintien de la châtaigneraie est subordonné au profit que l'on peut tirer de la
vente de ses produits, donc en grande partie de l'écoulement des châtaignes qui
sera favorisé le jour où l'on mettra sur les marchés des fruits de qualité
pendant la plus longue période possible. Chacun peut constater que de gros
progrès sont à faire sur ce point.
Son bois a de nombreuses utilisations.
Les brins de 1 à 2 centimètres de diamètre, refendus ou non,
sont employés à faire des corbeilles, des paniers d'emballage, des casiers pour
la pêche. Plus gros, ils donnent des lances de 6 mètres de long et 4 à 5
centimètres de diamètre qui, refendues, servent à faire des cercles de
tonneaux, des échalas, des piquets à fleurs.
Vers l'âge de dix ou douze ans, les rejets de taillis sont
assez forts pour donner des piquets de clôture, des étais de mine, des manches
d'outils, des lattes pour la confection des clôtures et treillages.
Vers l'âge de vingt-cinq à trente ans, les perches de
taillis atteignent 15 à 25 centimètres de diamètre et sont utilisées à la
fabrication des merrains, très appréciés en tonnellerie, et des frises à
parquets.
À l'état d'arbre de futaie le châtaignier peut donner du
bois de menuiserie et de charpente ; on l'utilise dans l'ameublement, mais
il est moins agréable à l'œil que le chêne. En Italie, en raison de la pénurie
des bois d'autres essences, il est très coté comme bois d'œuvre et comme bois
de tranchage.
Le bois de châtaignier est peu apprécié comme bois de
chauffage, il a l'inconvénient d'éclater en brûlant, et son pouvoir calorifique
est inférieur à celui du chêne. Par contre, sa richesse en tanin, dès qu'il
atteint 20 centimètres de diamètre, en fait la matière première par excellence
des usines d'extraits tannants. Cette industrie en consomme de 400.000 à
500.000 tonnes, soit de 1 million à 1.250.000 stères par an. Cette importante
quantité de bois provient en grande partie des châtaigneraies, ce qui explique
leur disparition progressive, les exploitations étant rarement compensées par
des plantations nouvelles. La plupart des usines d'extraits utilisent comme
combustibles les copeaux de bois débarrassés du tanin. On a reconnu qu'il était
plus rationnel d'employer cette masse de cellulose à la fabrication de la pâte
à papier, de la rayonne et des textiles artificiels. On a réalisé ainsi, à
Condat (Gironde), un véritable combinat : usine d'extraits, atelier de
fabrication de pâte, papeterie. Pour obtenir un excellent papier, on mélange la
pâte de châtaignier à 25 p. 100 de pâte de résineux à fibres longues.
Cent tonnes de bois donnent 5 à 6 tonnes d'extrait sec, 24
tonnes de pâte ou 20 tonnes de papier.
L'aperçu qui précède montre que, dans le châtaignier, tout
est utilisable. Malheureusement, c'est un arbre qui a beaucoup d'ennemis
auxquels il résiste difficilement malgré sa vigueur naturelle.
En France, la maladie la plus sérieuse est la maladie de l’encre,
due à un champignon (Phytophtora cambivora) qui s'attaque aux racines et
y provoque une coloration noirâtre de l'écorce, avec parfois un écoulement de
même couleur au niveau du collet. La croissance de l'arbre se ralentit, les
feuilles deviennent plus petites, les fruits plus rares. Puis les feuilles de
la cime jaunissent, les rameaux se dessèchent, le dépérissement gagne
progressivement du sommet vers la base. Des gourmands naissent le long du
tronc, l'arbre meurt à petit feu. Le sol est rapidement infesté, la contamination
se fait par les racines et gagne de proche en proche. On a constaté que l'état
de faiblesse physiologique des châtaigneraies, dû au manque de soin et à
l'épuisement du sol, favorisait l'extension de la maladie. Il en est de même
pour des arbres apparemment vigoureux, dans certaines conditions de
température, d'humidité, d'état du sol favorables au développement du
champignon. Pour prévenir le mal et le limiter, il faut exploiter aussitôt les
arbres malades, ouvrir une tranchée autour de la zone atteinte et éviter
l'épuisement du sol par l'apport de fumure ou d'engrais. Un traitement curatif
expérimenté en Espagne et au Portugal consiste à badigeonner les racines
atteintes avec une solution à base de sels de cuivre. Les résultats obtenus
sont encourageants.
Le javart est une maladie causée par un champignon
qui s'attaque surtout aux perches de taillis. L'écorce se dessèche, brunit, et
il se forme un chancre qui peut entraîner la mort de l'arbre.
Le Coryneum, également provoqué par un champignon,
attaque les perches de taillis et les branches des arbres dépérissants.
L'écorce se dessèche par bandes verticales terminées en pointes vers le haut.
Enfin, une maladie très grave : le chancre du
châtaignier, causée par un champignon (Endothia parasitica), inconnue
en France jusqu'à ce jour, a ravagé les châtaigneraies des États-Unis et a été
découverte en Europe (Italie, Espagne, Suisse, Yougoslavie) depuis une
quinzaine d'années.
Les châtaignes sont souvent parasitées par les larves de
deux insectes : la pyrale du châtaignier, ou carpocapse, et le charançon
des châtaignes, ou balanin. Ces deux insectes pondent leurs œufs sur les
châtaignes en formation ; les larves entrent dans le fruit et s'y
développent. La pourriture noire des châtaignes, ou nérume, est due à un
champignon qui se développe à l'automne, pénètre dans le fruit et y forme une
tache d'un brun noirâtre qui l'envahit progressivement. Ce parasitisme rend
nécessaire le triage sévère des fruits et leur désinfection par des procédés
variés : trempage, enfumage, traitement aux gaz toxiques, stockage en
frigorifique, dont aucun n'est totalement efficace.
Pour terminer, je citerai une dernière maladie, le jaunissement
des feuilles, due à un champignon qui peut, localement et dans des
circonstances favorables à son développement, compromettre la récolte de
châtaignes.
Le châtaignier est un arbre très intéressant par sa rapidité
de croissance, sa rusticité relative et ses nombreuses utilisations. Dans
certaines circonstances, il peut être la seule essence forestière ou fruitière
susceptible d'occuper économiquement un territoire abandonné par l'agriculture.
Le maintien des châtaigneraies ou leur reconstitution présentent
de sérieuses difficultés en raison des caractères biologiques et de la
sensibilité de l'arbre aux maladies cryptogamiques.
Sa disparition progressive est inquiétante et pourrait avoir
de graves conséquences économiques et sociales en compromettant
l'approvisionnement des industries qui vivent de son bois et de ses fruits. Il
y a une question du châtaignier, et elle mérite qu'on s'y intéresse.
LE FORESTIER.
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