Accueil  > Années 1952  > N°662 Avril 1952  > Page 229 Tous droits réservés

La forêt française

Le châtaignier

Le châtaignier (Castanea sativa) est à la fois un arbre fruitier et forestier. Son aire en France s'étend de la région parisienne aux Pyrénées et à la Méditerranée. On le trouve communément en Bretagne, en Vendée et en Limousin, dans les Cévennes et en Corse, plus rarement en Alsace, en Dauphiné et en Provence.

C'est une essence des climats humides et tempérés qui craint les fortes gelées et les sécheresses trop prolongées. Le châtaignier supporte mal les expositions trop chaudes ou trop arides, bien que pour mûrir ses fruits aient besoin de longues périodes de chaleur. Il se plaît dans les terrains dépourvus de calcaire, et s'il est commun de dire qu'il se contente des sols les plus pauvres, à condition qu'ils ne soient ni trop humides, ni trop compacts, il ne prospère véritablement que dans des sols argilo-siliceux profonds et riches.

Le châtaignier n'est spontané en France que dans quelques stations de Provence, des Cévennes méridionales, du Périgord et du Roussillon. Partout ailleurs, il a été réintroduit par l'homme au cours des siècles.

À l'état isolé, c'est un bel arbre, prenant avec l'âge un port majestueux. Son fût est, généralement, peu élevé, mais sa cime est fortement charpentée et développée. Sa végétation est rapide, surtout dans la jeunesse, et sa longévité est remarquable. Il peut atteindre 30 mètres de haut et une circonférence énorme. On cite sur les pentes de l'Etna un châtaignier dont le tronc mesurait 53 mètres de circonférence. Il s'agissait, sans doute, d'une monstrueuse souche portant plusieurs tiges. Chez nous, dans le Cher, il existerait un châtaignier de 10 mètres de tour qui aurait plus de mille ans. Il est certain en tout cas que le châtaignier est doué d'une vitalité extraordinaire, et il est fréquent de trouver des arbres de fortes dimensions, mutilés et presque complètement creux, portant des branches et des rameaux d'une étonnante vigueur Son enracinement est pivotant. Son couvert, bien que la ramification ne soit pas serrée, est dense et épais, en raison de la dimension de ses feuilles longues d'environ 15 à 20 centimètres, dentelées sur les bords, et de leur direction généralement horizontale. Son écorce, d'un brun olivâtre dans le jeune âge, devient plus tard d'un gris brun légèrement argenté, s'épaissit et se gerce de fentes verticales.

Les fleurs, unisexuées, se trouvent sur le même arbre. Les fleurs mâles sont disposées en longs chatons cylindriques dont la base supporte deux ou trois fleurs femelles. Leur couleur blanc-ivoire, qui se détache sur le fond vert des feuilles, rend la floraison de cet arbre particulièrement spectaculaire. Le châtaignier est autostérile, c'est-à-dire que les fleurs femelles sont rarement fécondées par les fleurs mâles du même arbre. La fructification exige donc la fécondation croisée, ce qui donne au fruit les caractères d'un hybride. Pour multiplier un type déterminé de châtaignier il faut alors avoir recours à la greffe.

Les fruits, au nombre de un, deux ou trois, sont contenus dans une bogue hérissée de piquants qui s'ouvre à maturité par quatre valves. Ce sont des châtaignes, ou « marrons », trop connus pour qu'il soit utile d'en faire la description. Le « marron » n'est autre qu'une variété de châtaigne, il en diffère par sa forme moins aplatie, sa taille plus grosse, sa saveur plus sucrée, et surtout par sa pellicule intérieure mince ne pénétrant pas dans la chair et ne formant pas cloison.

Le bois de châtaignier est tout à fait semblable au bois de chêne par sa teinte ; il s'en distingue à l'œil par l'absence de maillures. Sa contexture est différente, et ses propriétés physiques et mécaniques en font un bois moins lourd, mi-dur, assez peu noueux et très fissible. Il est assez riche en tanin.

Les châtaigniers cultivés pour leurs fruits sont plantés en vergers, ou châtaigneraies. Les sauvageons, ou plants provenant de pépinières, sont mis en place à 10 ou 15 mètres les uns des autres, c'est-à-dire au nombre de 100 à 450 sujets par hectare. Après un ou deux ans de reprise, ils sont greffés avec la variété que l'on désire multiplier, et qui doit être choisie pour ses qualités d'adaptation à la station considérée. Autrefois, la châtaigneraie était l'objet de soins culturaux répétés. On y pratiquait très souvent, pendant les vingt-cinq premières années, des cultures intermédiaires de sarrasin et de seigle. Le sol était donc labouré, hersé et, quelquefois, fumé. Puis, l'ombrage devenant nuisible aux cultures, on livrait la châtaigneraie au parcours des brebis et des porcs. À l'automne, dans les régions pauvres, on ramassait et on ramasse encore les feuilles mortes et les fougères pour en faire de la litière. Cette pratique est condamnable, car elle retire à la châtaigneraie un amendement naturel qu'aucun apport d'engrais ne vient compenser. Une châtaigneraie est en plein rendement entre cinquante et cent ans. On y récolte, chaque année, par hectare, de 2.500 à 3.500 kilogrammes de châtaignes. Le ramassage et le triage des fruits exigent beaucoup de main-d'œuvre.

La dernière statistique, faite en 1948, montre qu'il existe en France 170.000 hectares de châtaigneraies, donnant 92.000 tonnes de châtaignes. En cinquante ans, la surface des châtaigneraies et la production de châtaignes ont diminué de plus de 50 p. 100. Cette situation s'explique par la dépopulation des campagnes, l'évolution de l'économie rurale, le dépérissement des châtaigneraies dû à l'abandon des soins culturaux et accéléré par les maladies cryptogamiques dont il sera question plus loin. Les plus belles châtaigneraies se trouvent sur le pourtour oriental et occidental du Massif Central, dans les Maures et en Corse.

Les peuplements forestiers de châtaignier à l'état pur sont le plus souvent traités en taillis simple, rarement en futaie. Les taillis sont exploités suivant la destination des produits, à des âges variant de cinq à vingt-cinq ans. Les taillis sont surtout répandus dans l'Ouest de la France, des Pyrénées à la Bretagne ; on en trouve également dans le Dauphiné et en Alsace, où ils complètent la culture de la vigne par la fourniture d'échalas et de piquets.

En mélange avec d'autres essences, il participe à la formation du sous-étage des peuplements feuillus et résineux ; la puissance de ses rejets le rend envahissant. On le laisse quelquefois atteindre les dimensions d'arbres de futaie, mais il a le défaut de fendre facilement sous l'effet des gelées.

On peut évaluer à environ 50.000 hectares l'importance des peuplements forestiers de châtaignier.

Le châtaignier est peut-être l'arbre dont on tire les produits les plus variés :

    — ses feuilles, nous l'avons vu, peuvent servir de litière ;

    — son fruit constitue une excellente nourriture pour l'homme et pour les animaux. Sa valeur nutritive est presque équivalente à celle de la farine de blé. Il alimente l'industrie des marrons glacés et des confitures.

La grosse difficulté réside dans sa conservation. Les châtaignes, en effet, sont très facilement putrescibles, soit en raison des circonstances qui accompagnent leur récolte, soit parce qu'elles renferment souvent les germes de parasites végétaux ou animaux. Il existe de nombreux procédés de conservation plus ou moins anciens ou empiriques ; aucun ne donne pleinement satisfaction. La question est actuellement à l'étude, car le maintien de la châtaigneraie est subordonné au profit que l'on peut tirer de la vente de ses produits, donc en grande partie de l'écoulement des châtaignes qui sera favorisé le jour où l'on mettra sur les marchés des fruits de qualité pendant la plus longue période possible. Chacun peut constater que de gros progrès sont à faire sur ce point.

Son bois a de nombreuses utilisations.

Les brins de 1 à 2 centimètres de diamètre, refendus ou non, sont employés à faire des corbeilles, des paniers d'emballage, des casiers pour la pêche. Plus gros, ils donnent des lances de 6 mètres de long et 4 à 5 centimètres de diamètre qui, refendues, servent à faire des cercles de tonneaux, des échalas, des piquets à fleurs.

Vers l'âge de dix ou douze ans, les rejets de taillis sont assez forts pour donner des piquets de clôture, des étais de mine, des manches d'outils, des lattes pour la confection des clôtures et treillages.

Vers l'âge de vingt-cinq à trente ans, les perches de taillis atteignent 15 à 25 centimètres de diamètre et sont utilisées à la fabrication des merrains, très appréciés en tonnellerie, et des frises à parquets.

À l'état d'arbre de futaie le châtaignier peut donner du bois de menuiserie et de charpente ; on l'utilise dans l'ameublement, mais il est moins agréable à l'œil que le chêne. En Italie, en raison de la pénurie des bois d'autres essences, il est très coté comme bois d'œuvre et comme bois de tranchage.

Le bois de châtaignier est peu apprécié comme bois de chauffage, il a l'inconvénient d'éclater en brûlant, et son pouvoir calorifique est inférieur à celui du chêne. Par contre, sa richesse en tanin, dès qu'il atteint 20 centimètres de diamètre, en fait la matière première par excellence des usines d'extraits tannants. Cette industrie en consomme de 400.000 à 500.000 tonnes, soit de 1 million à 1.250.000 stères par an. Cette importante quantité de bois provient en grande partie des châtaigneraies, ce qui explique leur disparition progressive, les exploitations étant rarement compensées par des plantations nouvelles. La plupart des usines d'extraits utilisent comme combustibles les copeaux de bois débarrassés du tanin. On a reconnu qu'il était plus rationnel d'employer cette masse de cellulose à la fabrication de la pâte à papier, de la rayonne et des textiles artificiels. On a réalisé ainsi, à Condat (Gironde), un véritable combinat : usine d'extraits, atelier de fabrication de pâte, papeterie. Pour obtenir un excellent papier, on mélange la pâte de châtaignier à 25 p. 100 de pâte de résineux à fibres longues.

Cent tonnes de bois donnent 5 à 6 tonnes d'extrait sec, 24 tonnes de pâte ou 20 tonnes de papier.

L'aperçu qui précède montre que, dans le châtaignier, tout est utilisable. Malheureusement, c'est un arbre qui a beaucoup d'ennemis auxquels il résiste difficilement malgré sa vigueur naturelle.

En France, la maladie la plus sérieuse est la maladie de l’encre, due à un champignon (Phytophtora cambivora) qui s'attaque aux racines et y provoque une coloration noirâtre de l'écorce, avec parfois un écoulement de même couleur au niveau du collet. La croissance de l'arbre se ralentit, les feuilles deviennent plus petites, les fruits plus rares. Puis les feuilles de la cime jaunissent, les rameaux se dessèchent, le dépérissement gagne progressivement du sommet vers la base. Des gourmands naissent le long du tronc, l'arbre meurt à petit feu. Le sol est rapidement infesté, la contamination se fait par les racines et gagne de proche en proche. On a constaté que l'état de faiblesse physiologique des châtaigneraies, dû au manque de soin et à l'épuisement du sol, favorisait l'extension de la maladie. Il en est de même pour des arbres apparemment vigoureux, dans certaines conditions de température, d'humidité, d'état du sol favorables au développement du champignon. Pour prévenir le mal et le limiter, il faut exploiter aussitôt les arbres malades, ouvrir une tranchée autour de la zone atteinte et éviter l'épuisement du sol par l'apport de fumure ou d'engrais. Un traitement curatif expérimenté en Espagne et au Portugal consiste à badigeonner les racines atteintes avec une solution à base de sels de cuivre. Les résultats obtenus sont encourageants.

Le javart est une maladie causée par un champignon qui s'attaque surtout aux perches de taillis. L'écorce se dessèche, brunit, et il se forme un chancre qui peut entraîner la mort de l'arbre.

Le Coryneum, également provoqué par un champignon, attaque les perches de taillis et les branches des arbres dépérissants. L'écorce se dessèche par bandes verticales terminées en pointes vers le haut.

Enfin, une maladie très grave : le chancre du châtaignier, causée par un champignon (Endothia parasitica), inconnue en France jusqu'à ce jour, a ravagé les châtaigneraies des États-Unis et a été découverte en Europe (Italie, Espagne, Suisse, Yougoslavie) depuis une quinzaine d'années.

Les châtaignes sont souvent parasitées par les larves de deux insectes : la pyrale du châtaignier, ou carpocapse, et le charançon des châtaignes, ou balanin. Ces deux insectes pondent leurs œufs sur les châtaignes en formation ; les larves entrent dans le fruit et s'y développent. La pourriture noire des châtaignes, ou nérume, est due à un champignon qui se développe à l'automne, pénètre dans le fruit et y forme une tache d'un brun noirâtre qui l'envahit progressivement. Ce parasitisme rend nécessaire le triage sévère des fruits et leur désinfection par des procédés variés : trempage, enfumage, traitement aux gaz toxiques, stockage en frigorifique, dont aucun n'est totalement efficace.

Pour terminer, je citerai une dernière maladie, le jaunissement des feuilles, due à un champignon qui peut, localement et dans des circonstances favorables à son développement, compromettre la récolte de châtaignes.

Le châtaignier est un arbre très intéressant par sa rapidité de croissance, sa rusticité relative et ses nombreuses utilisations. Dans certaines circonstances, il peut être la seule essence forestière ou fruitière susceptible d'occuper économiquement un territoire abandonné par l'agriculture.

Le maintien des châtaigneraies ou leur reconstitution présentent de sérieuses difficultés en raison des caractères biologiques et de la sensibilité de l'arbre aux maladies cryptogamiques.

Sa disparition progressive est inquiétante et pourrait avoir de graves conséquences économiques et sociales en compromettant l'approvisionnement des industries qui vivent de son bois et de ses fruits. Il y a une question du châtaignier, et elle mérite qu'on s'y intéresse.

LE FORESTIER.

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 229