Vous venez de prendre possession de votre voiture neuve.
Vous avez été parmi les heureux élus qui, à force de patience, d'efforts ou de
finesse, sont arrivés enfin au but. Il s'agit maintenant de procéder au rodage.
Vous consultez avec attention les notices remises par le
constructeur à la livraison, car vous êtes un conducteur consciencieux, vous
aimez déjà votre voiture et vous notez soigneusement tout ce que vous aurez à
faire lorsque votre véhicule atteindra les : 500 kilomètres, 1.000
kilomètres, 2.000 kilomètres, vidange, graissage, etc. C'est évidemment très
bien, mais vous comprenez qu'on ne peut découper ainsi en tranches aussi nettes
la vie et le comportement d'un moteur. Et il importe de savoir comment les
choses se passent si l'on ne veut pas, en agissant à la façon d'un automate,
courir certains risques.
La perfection des moyens d'usinage, jointe à la précision de
plus en plus poussée du contrôle, a permis de réduire le temps du pré-rodage,
c'est-à-dire du rodage à l'usine, au banc d'essai, à sa plus simple expression :
quelques heures tout au plus. La mise en place définitive de tout ce qui
tourne, frotte ou glisse se fera entre les mains de l'usager, durant la période
du rodage. Ainsi la vie future de la voiture est suspendue aux soins apportés durant
les quelques tours de roues qui suivent sa naissance.
Les organes les plus fragiles sont les ensembles cylindres-pistons
et coussinets-vilebrequins. Puis viennent les commandes de culbuteurs et
soupapes, engrenages de toutes natures (boîte, pont, distributions), les bagues
d'arbres à cames, boîte, etc. Chacune de toutes ces pièces a été faite pour
l'autre, qui vient en contact avec elle, mais elles ne se sont pas encore
faites l'une à l'autre. C'est le contact par frottement, roulement ou glissement
qui arrivera à donner un contact parfait en ne laissant subsister entre elles
qu'une mince pellicule d'huile protectrice.
En effet, quand une pièce sort de l'usinage, elle est loin
d'être parfaite. Passée sous le microscope ordinaire, grossissement 4.000, les
surfaces qui à l'œil paraissaient parfaites sont loin de donner la même
satisfaction. Avec un microscope électronique, grossissement 60.000, on se
trouve en présence d'un véritable paysage lunaire.
Que va-t-il se passer si ces surfaces viennent en contact
sans ménagement, tout en supportant des efforts considérables ?
Les différentes aspérités se heurtent, s'arrachent et
agissent entre elles à la façon d'une lime. Les frottements deviennent
considérables et l'effort moteur est absorbé en grande partie pour les vaincre,
entraînant une élévation sensible de la température de fonctionnement. Si nous
insistons, les entraînements de métal deviennent plus profonds et cessent dès
lors d'être superficiels, donc réparables. Puis, les jeux d'ajustage diminuant
par suite de la hausse de température, on arrive au « serrage » des
pistons dans les cylindres, le moteur se bloque. Plus l'ajustage sera
défectueux et plus les risques de « serrage » seront grands.
Le rodage aura donc pour effet d'obtenir des surfaces géométriquement
parfaites. Au début, les points de contact sont localisés au lieu d'être
continus et, de ce fait, les efforts supportés sur ces points sont
considérables. La pellicule d'huile risque d'être chassée. Il faudra donc
lubrifier abondamment et utiliser une huile très fluide. On refroidira ainsi
les parties qui ont tendance à chauffer et l'on entraînera toutes les
particules infinitésimales de métal, ou limaille, résultant des frottements de
la première heure.
Ceci explique le sage conseil donné par la majorité des
constructeurs de vidanger dès les premiers 500 kilomètres. Il faut alors non
seulement vidanger l'huile polluée, mais également rincer avec une huile
spéciale de rinçage. Après avoir fait un plein minimum avec ce dernier
lubrifiant, on laissera tourner le moteur au ralenti quelques minutes, afin
d'atteindre les parties les plus difficiles à nettoyer : pompe à huile,
rampe des culbuteurs, circuits intérieurs, fonds de carter, etc. On vidangera
ensuite. En l'absence de telles précautions, les particules d'acier seront
véhiculées à travers le moteur et bientôt coincées entre une partie dure,
manetons de vilebrequin par exemple, et une partie tendre, coussinets ou bagues
bronze. Incrustées dans le régule, elles joueront bientôt le rôle d'un grain d'abrasif.
Les dégâts, multipliés par les quantités d'impuretés, iront en s'accroissant,
et plus rien ne pourra limiter leur ampleur.
On comprend dès lors l'importance du rodage sur la longévité
du moteur. À côté de la fréquence des vidanges, on remarque, sur les notices
remises à l'usager par les constructeurs, des limitations de vitesse sur
chacune des trois ou quatre vitesses que possède le véhicule. On devine
facilement que c'est le nombre de tours-moteur qui est ici visé. Ce n'est là
qu'une approximation. En effet, c'est surtout l'élévation de la température des
pièces en mouvement qui est à surveiller. Et cette élévation de température est
fonction de l'effort que transmettent les pièces en question.
C'est sur ce point que l'attention de l'usager averti se
portera. Un moteur en côte, à sa limite du « cognement », se rode
très mal, même tournant à un nombre de tours réduit. C'est à ce moment que le
serrage est à craindre, car la pression des gaz sur le piston est considérable
et, vue l'obliquité des bielles modernes courtes, entraîne une réaction
latérale élevée de la jupe du piston contre le cylindre. Les arrachements de
métal, joints à une élévation anormale de la température, sont à redouter.
Le remède sera de passer sur une vitesse inférieure. Si la
température persiste à rester élevée et que le moteur présente une paresse
manifeste à l'action de l'accélérateur, il sera sage de l'arrêter et d'attendre
quelques instants que tout soit rentré dans l'ordre. Sur le plat, dans une
descente, il n'y aura aucun danger à dépasser les limites fatidiques. L'usager
devra, par contre, apporter toute son attention au démarrage à froid, même si
la température ambiante est normale. C'est là un moment critique :
l'huile, manquant déjà de fluidité, est tombée au fond du carter et les
canalisations sont vides ; de plus le starter aura, par excès d'essence,
copieusement lavé les parois des cylindres ; le graissage sera déficient.
On comprend tous les dangers qui menacent l'usager inconscient qui, à cet
instant, emballera son moteur. Il faudra, au contraire, laisser celui-ci
tourner au ralenti jusqu'à ce que la température normale soit atteinte en
mettant hors circuit, le plus vite possible, le starter.
Il ne faut pas croire que seul le moteur soit à surveiller,
quoiqu'il soit l'ensemble mécanique le plus vulnérable, mais la boîte à
vitesses et le pont arrière demandent aussi quelques égards. Ce sont les
engrenages et les bagues qui ici travaillent. Une vidange des carters de ces
organes, après quelque 1.500 kilomètres, sera suffisant mais indispensable pour
se mettre à l'abri de coûteuses surprises. Après 1.000 kilomètres, une
vérification des écrous de serrage et des réglages classiques est à
entreprendre, chaque pièce ayant pris sa place définitive du fait du rodage,
des vibrations ou des efforts transmis.
G. AVANDO,
Ingénieur E. T. P.
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