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Les lions du Sénégal

Fervent chasseur en France, ma passion s'exacerba lorsque je fus désigné pour le Sénégal ; je me voyais déjà abordant les grands fauves, et le lion notamment ; mais qu'il y a loin de la coupe aux lèvres !

À mon arrivée en Afrique noire, l'automobile n'avait pas encore créé la route, comme cela eut lieu plus tard ; aussi le cheval était-il à l'honneur, mais à la peine également.

La plus grande majorité des déplacements, tournées, missions étaient effectués ou accomplis à cheval.

Toute résidence qui se respectait avait sa cavalerie. Une nuit, la terreur régna dans l'écurie de mon poste. Des fauves rôdaient.

Lanternes tempête allumées, carabines décrochées, une ronde effectuée ramena le calme chez les chevaux.

Le matin, de bonne heure, un de mes plus fidèles Noirs — Diop — vint me trouver pour me montrer non loin des écuries des traces qu'il certifiait être laissées par deux lions, un couple, ajoutait-il.

C'était la première fois que je voyais pareilles empreintes ; je n'avais qu'à m'incliner.

Nous étant armés, nous suivîmes cette piste qui nous conduisit au diable pour aboutir sur un terrain argileux desséché, véritable terre à briques. Nous rentrâmes, faute de traces.

Une autre fois, au sud du lac de Guier, je regagnais mon campement ; j'étais armé de mon calibre 12 et Diop, déjà nommé, avait un fusil gras transformé en calibre 12 ; cette arme donnait toute satisfaction à son porteur, mais elle avait une tare, c'était le bruit de tonnerre lorsqu'on manœuvrait la culasse ; tonnerre de tonnerre, quoi !

Un vent violent nous frappait au visage avec accompagnement de sable de grosseur respectable.

Diop, qui était à mes côtés, s'arrêta tout à coup et, se penchant sur moi, me souffla à l'oreille : lion.

J'avais bien vu, moi aussi, à environ quatre-vingts mètres devant nous, une croupe jaune sale terminée par un appendice que j'aurais facilement pris pour la queue d'un petit bœuf, mais les touffes de poils bruns partis d'une crinière foncée qui se montraient à l'avant-train ne permettaient aucun doute : c'était bien un lion. Lui aussi marchait contre le vent.

Avec les plus grandes précautions, je remplaçai mes cartouches à plomb par deux balles à empennage. Je fis signe à Diop de ne pas manœuvrer sa pétoire, ce qui aurait donné l'éveil à la bête.

À la suite d'essais nombreux soit en cible, soit sur des planches, soit sur des phacochères (sus verruquosus), j'avais acquis la certitude qu'au delà de vingt-cinq mètres les balles à empennage tirées dans des canons lisses n'avaient ni la précision, ni la puissance de choc suffisantes pour arrêter sûrement un grand fauve.

De plus, une balle tirée au cul d'un pareil animal aurait joué le rôle de banderilles sur un taureau.

Il fallait s'approcher du gibier ; je le répète, le vent, bien que très gênant par sa violence, était pour nous. Le lion, qui ne nous avait pas vus, continuait sa route ; nous gagnions peu sur lui ; parfois il disparaissait derrière quelques arbustes et nous avions souvent du mal à le repérer. Il se faisait tard et, bientôt, il disparut derrière une dune ; nous l'avions perdu de vue définitivement ; la bourrasque effaçant les traces qu'il pouvait laisser, nous n'allâmes pas plus loin ; la nuit tombait, d'ailleurs.

Plus tard, encore, j'étais seul, à cheval ; je longeais un petit bois de gommiers (acacia albida, très épineux) quand ma monture donna des signes d'inquiétude, et j'entendis des froissements de branchages : je pus voir un lion qui marchait parallèlement à nous, mon cheval et moi. Parfois le fauve s'aplatissait presque au niveau du sol ; il rampait, sans doute pour éviter les épines des grosses branches, puis, se relevant, il continuait sa route sans nous perdre de vue.

Voulait-il goûter du cheval ou bien du cavalier ? J'étais armé d'un revolver Colt de très gros calibre, arme puissante, juste autant que sûre ; décidé à me défendre, je l'avais sortie de sa gaine. Par ailleurs, j'avais toutes les peines du monde à maintenir mon cheval, véritablement affolé.

Connaissant la région, je savais que bientôt la partie boisée allait se terminer sur une plaine au sol dur, sans obstacle, et que tout près était le village de culture où je devais faire halte pour attendre mon convoi avant de palabrer. J'étais perplexe sur le parti que j'aurais à prendre sitôt l'orée atteinte, mais à peine eûmes-nous la plaine devant nous que le lion s'arrêta, demeurant sous le couvert.

Je parcourus encore quelque distance à petite allure et, lorsque je me jugeai assez éloigné, je rendis la main à ma monture : le village où je devais palabrer fut atteint en un sprint remarquable.

Lorsque je mis pied à terre, mon cheval semblait sortir d'un bain, tant il était ruisselant de sueur. Il avait eu peur, et, je l'avoue, moi aussi.

En écrivant ces lignes, je me souviens qu'une aventure à peu près semblable est arrivée à un fonctionnaire du cercle de Dagana ou de Podor.

En Algérie, quand j'avais entendu l'histoire de Kabyles repoussant un lion à coups de pierres, j'avais cru à une galéjade ; or, dans un campement de pasteurs peulhs, dont le troupeau était protégé par une véritable barrière de branchages épineux, il m'a été donné de voir les bergers lancer des cailloux sur un lion en quête d'un repas ; le fauve grognait, mais s'éclipsait ; il faut dire que des feux brillaient à l'intérieur du campement.

J'ai vu d'autres lions dans la savane, mais, cette fois, je passais en automobile sur des routes naissantes, et puis la si belle indépendance d'autrefois n'existait plus, des règlements nouveaux avaient été édictés en matière de chasse, il était interdit de se servir de certaines armes auxquelles j'étais si bien habitué, et puis encore l'âge venait et tout s'unissait pour calmer mes chaleurs de tête.

Bref, je puis dire que le lion du Sénégal est loin d'avoir la majesté du lion type Atlas; il est moins grand, plus ramassé, sa crinière plus courte et moins fournie : ce n'est certainement pas lui que nos grands animaliers ont pris pour modèle.

La plupart des établissements zoologiques et certains cirques possèdent des lions autrement superbes que ceux que j'ai pu voir au Sénégal et dans le Nord de l'A. O. F.

Quoi qu'il en soit, c'est un puissant carnassier, il est à craindre, mais, vis-à-vis de l'homme, il montre une grande prudence et n'entame guère d'hostilité que s'il est provoqué ; il peut attaquer d'emblée après un jeûne trop prolongé et poussé par la faim, ou bien par réflexe défensif lorsqu'il a été blessé jadis par un quelconque chasseur.

Interrogés sur le comportement des lions, les indigènes ne m'ont jamais parlé d'agression non provoquée ; en revanche, ils ne tarissaient pas sur les méfaits de la panthère et de la grande hyène tachetée, cette dernière excessivement vigoureuse, féroce et agressive.

Ceux qui ont qualifié le lion roi du désert n'ont pas pensé que ce fauve ne pouvait vivre que là où était la vie, là où était l'eau, là où vivait la proie possible, mais au désert, non.

On peut en rencontrer aux confins du désert, non loin des oasis ou des points d'eau, mais au désert, non. D'ailleurs, le lion se risque peu en plaine ; il préfère la brousse avec un certain couvert, la bordure des steppes où il a toutes chances de trouver des antilopes, son gibier de choix.

À moins de le chasser au sens cynégétique du mot, ce n'est qu'accidentellement qu'on le rencontre le jour, peu avant le lever ou très peu après le coucher du soleil, car c'est un nocturne.

MENGARDE.

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 243