Le violon est incontestablement le roi des instruments
de musique portatifs, encore que certains lui préfèrent l'alto, mais c'est là
une opinion de grand spécialiste, et le principe reste identique. Il est le
soprano instrumental par excellence, car son étendue musicale est le double de
celle du soprano vocal, avec quatre octaves et demie.
Sa technique est très difficile, car elle ne consiste pas
uniquement à pousser et tirer l'archet sur ses cordes. Il y a aussi le rôle de
la main gauche, tenant à la fois l'instrument et « jouant » des
doigts sur les cordes. La main gauche donne l'intonation et anime le son par
des vibrati. Le tout donne une agilité qui n'a d'égale que celle obtenue
avec la flûte.
L'archet donne un son qui subsiste plus longtemps que chez
le chanteur. Il autorise de « filer » un son du pianissimo le
plus gentil au fortissimo le plus éclatant, avec mille positions
intermédiaires.
Depuis le XVIIIe
siècle, on tient le violon entre la clavicule et le menton, à gauche du
cordier, et il doit être presque horizontal. Au XVIIe, on le
jouait contre la poitrine, et antérieurement sous le bras comme la guitare.
Depuis le XVIIIe
siècle également, l'archet a eu maintes faveurs dans sa tenue : à pleine
main, en bout, etc. Actuellement on le tient entre le pouce et l'index, selon
des données très précises.
La musique du violon était à l'origine en clé de sol,
première ligne, et quelquefois en clé d'ut. Actuellement on la situe en clé de
sol deuxième ligne.
Le violoniste doit avoir une oreille très juste et percevoir
trois quintes consécutives.
Ce qui est extrêmement curieux, c'est qu'alors que la
facture instrumentale du violon avait acquis très rapidement sa plénitude on ne
sut pas, inversement, l'exploiter à plein.
Seules les trois cordes supérieures étaient utilisées. Ce ne
fut qu'en 1750 que l'on commença à tirer de la quatrième, ou bourdon, un
rendement musical logique. Il faudra même attendre Paganini pour arriver à la
plénitude de technique musicale.
La difficulté du violon réside dans les tonalités diésées ou
bémolisées. Mozart fait hausser d'un demi-ton. On doit souvent modifier
l'accord pour faciliter l'exécution de certaines partitions.
Le travail de l'archet est extrêmement délicat. L'importance
de l'angle de l'archet avec les cordes est immense, mais aussi celui où il
vient les croiser, comme lieu d'impact. Longtemps on a tenu comme un canon
immuable que les cordes devaient être raclées en leur milieu. C'est faux, et
durant des décades on s'est seulement privé de nuances.
De l'archet, on tire trois catégories de coups :
d'abord les lents et continus, d'intensité constante ; ils figurent la
pire difficulté du violoniste débutant ; ensuite, les sons rapides
adhérant à la corde : les détachés grand et bref, martelé, spiccato,
staccato ; ce dernier, à lui seul, fait rendre soixante notes en
poussant et quarante en tirant ; enfin il y a les rebondissement,
ricochet, jeté, et les diverses fantaisies autorisées seulement aux
spécialistes : bariolages, brisures, saccades.
Les violonistes de la Renaissance étaient peu prisés, et on
les considérait comme les parents pauvres des joueurs de violes et luths ;
aussi ne furent-ils d'abord que des ménétriers.
La parution des violons, relativement bruyants, contraste
avec la sonorité discrète des violes et des luths ; cependant François 1er
les adopte à la Cour, et Louis XIV entretient vingt-quatre violons de la
Chambre du Roi, avec Lulli pour chef. L'apogée du violon ne surviendra qu'à
l'aube du XVIIIe
siècle. Fait digne de remarque, nombre d'actuels mélomanes et compositeurs
tendent à faire régresser sa faveur palmaire.
Au début, le violon servit à donner des danses, non dansées
et seulement jouées : l'allemande au XVIIe siècle, puis la suite, la
gaillarde, dérythmée de la pavane antérieure.
Il faut tenir compte qu'en 1600 les mots musicaux n'avaient
pas les mêmes sens qu'aujourd'hui. Une sonate qualifie la musique pour archet ;
la toccata, celle pour clavier; la cantate, pour les musiques vocales ;
le concerto s'applique aux partitions pour tous instruments. Ce n'est que
postérieurement que ces mots devinrent des qualificatifs de genres pour les
divers instruments.
Les grands compositeurs ont tenu à être aussi des
instrumentistes, et, en 1703, Jean-Sébastien Bach était violon solo, en même
temps que Haendel était second violon. Teleman, Mozart, Haydn, Beethoven, Lalo
ont été également de parfaits instrumentistes.
Mais ce qui caractérise le violon, ce sont ses virtuoses.
En 1530, à la cour de François 1er et à
l'ambassade de Venise auprès du roi, on trouve Gayardel, Nadin, et surtout
Balthazar de Beaujoyeux, qui en 1575 sera le premier des grands virtuoses
mondiaux.
En 1600, il est de règle que le virtuose joue surtout et
avant tout ses propres œuvres. Ils se groupent selon des écoles : Venise,
Bologne, Rome, Naples, Milan. Il n'y en a pas en Angleterre, où le clavecin et
l'orgue maintiennent leurs prédominances. C'est alors que, devant les excès de
la virtuosité, on voit apparaître des « modérateurs » qui s'élèvent
contre trop de souplesse, avec Corelli, Tartini, et surtout Viotti.
En 1607, le violon acquiert ses lettres de noblesse avec
Monteverdi, dans Orfeo. Puis on assiste à un renouveau de la virtuosité
avec Biago Marini, qui donne vingt-deux œuvres instrumentales et vocales, dont
trois quarts en sonates. D'autres noms suivent : Fontana Neri, Merula,
Bassani, Uccellini, et surtout Torelli. En France, le spécialiste sera Lulli.
Le XVIIIe
siècle sera l'âge classique du violon, et ses grandes écoles. En Italie, on
aura Corelli (1653-1713), qui a très peu produit, avec quatre livres de sonates
à trois, non publiés. Il a une formation multiple avec Bementi de Bologne, Brugnati
de Venise, et Simonelli pour la composition.
Vivaldi (1678-1741), le « Prêtre Roux de Venise »,
fera son antithèse et donnera soixante-dix opéras et cinq cent cinquante œuvres
pour instruments divers en utilisant la monodie accompagnée d'harmonie.
Albinoni (1674-1746) sort de la pléiade des multiples grands
noms, car Bach lui fera de multiples emprunts.
Mais il y a un nom qui domine tous ceux des virtuoses comme
celui de Stradivarius pour les facteurs, et c'est Nicoló Paganini (1782-1840).
Sa technique est tellement neuve et révolutionnaire qu'en son époque on la
prétendit fomentée du diable. Il a une immense hardiesse, d'éblouissants pizzicati
de la main gauche, des traits en staccato, des jetés, et surtout il
découvre l'art de faire chanter la quatrième corde avec des trémolos.
Ses effets dénotent un exceptionnel génie, au point qu'il
eut l'hommage de Liszt, de Chopin et de Schumann. Mais il ne faut pas oublier
son magnétisme personnel sur l'auditoire.
Paganini, outre son génie créateur, avait aussi une
gigantesque maîtrise de la technique et un formidable ascendant sur la foule,
par son goût de l'art de la scène qu'il maniait admirablement. Auprès de
Paganini, les autres noms baissent d'éclat. Seul l'Autrichien Kreisler,
Français de goût, après avoir étudié à Paris sous la direction de Massart,
parviendra à l'approcher par le mélange de force, de rythme et de charme.
En France, toutefois, on ne connaît pas assez Viotti, dont
la fécondité est égale à la virtuosité, avec vingt et un quatuors et autant de
trios, cinquante-deux duos, dix-huit sonates et trente concertos.
Actuellement il y a deux écoles de virtuoses, peu
différentes sauf pour les techniciens, mais toutes deux se réfèrent à Lucien
Capet (1873-1928). Il est l'austère des classiques, le technicien de l'archet
tout en restant le grand artiste intuitif.
L'alto a été longtemps méconnu et considéré comme un simple
remplissage à l'orchestre. Il doit sa réhabilitation à Gluck, au nom de sa « raucité
tragique » à effets poignants. Le répertoire de soliste est fort maigre,
encore que Mozart, Haydn, Paganini, Berlioz s'y soient intéressés. Son
caractère est de donner de brusques changements de timbre de la seconde à la
première corde.
Le violoncelle est différent du violon et de l'alto, avec
l'avantage de trois octaves et une quinte, encore accrus à l'aigu par les
virtuoses grâce aux puissants harmoniques. On l'utilise comme basse ou
instrument chanteur, mais en touchant le soprano on a des bruits parasites des
doigts ou de l'archet. Le violoncelle a un répertoire propre, en sonates et
concertos, dès le XVIIe
siècle, avec Gabrielli et Jacchini. Longtemps il a subi le préjugé défavorable
d'avoir trop d'éclat, et ce n'est que vers 1727 qu'il évince la viole à
l'orchestre de l'Opéra. Sa technique définitive paraît avec le Français
Jean-Louis Dupont en 1815, et, actuellement, il en existe deux tendances :
celle d'Elmain, toute de virtuosité, brillante, puissante, spectaculaire, et
celle de Casals, d'une esthétique plus sévère, avec un mécanisme plus complet.
La contrebasse a un registre de deux octaves plus un sixte,
prolongée à quatre octaves par des harmoniques. Elle double les violoncelles à
l'octave grave ; ses dimensions interdisent les grandes virtuosités.
Cependant il y a eu des solistes très remarquables, comme Joseph Kæmpfer en
1787 et Koussevitz en 1874.
Les instruments à corde et à archet se jouent tout
spécialement en quatuor. L'origine en réside dans la sonate de deux violons,
avec l'alto et le violoncelle. On obtient ainsi la plénitude de ces quatre
instruments de sonorité voisine.
L'équilibre judicieux de cette invention musicale est dû à
Joseph Haydn. Les premières œuvres pour quatuors à cordes sont des démarquages
de celles pour quatuors vocaux, mais écrites en contre-point. Le premier
quatuor fut organisé à Vienne par Ignoz, alors âgé de seize ans. De son vrai
nom, c'était Ignox Schuppanzigh. Il fit fureur dès 1793. À Paris, cette sorte
d'audition ne fut réalisée qu'en 1814, par Baillot.
Les plus célèbres quatuors des prolégomènes de ce genre sont
toutefois ceux de Joseph Joachim, en Allemagne, de 1860 à 1907, et en Italie
avec Ramacciotti.
Janine CACCIAGUERRA.
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