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Les momies

Évoquer les momies semble immédiatement rappeler l'histoire des traditions religieuses de l'ancienne Égypte, plus spécialement en son époque du nouvel Empire. C'est aussi évoquer les prestigieux travaux des savants français, depuis Napoléon et l'expédition d'Égypte. Cependant, les momies sont tout autre chose, car on en trouve à tous les âges et dans tout l'univers.

Certes, nul mieux que les Égyptiens ne surent pratiquer l'embaumement d'apparat avec d'interminables bandelettes recouvrant de fins linceuls de lin entourant les membres couverts de bracelets, colliers, amulettes et bagues d'une inestimable richesse. Que ne dirait-on pas aussi de ces triples sarcophages tout ouvragés de décors riches d'ors et de pierreries, et présentant des lignes anthropomorphes.

Cependant, sous des formes moins fastueuses, bien d'autres peuples ont momifié leurs cadavres dans un but de conservation essentiellement religieuse et non, comme certains auteurs le prétendirent, à des fins d'hygiène.

L'idée dominante reste toujours que la mort n'est effective que quand la décomposition a accompli son cycle total et qu'il ne reste rien du corps. Curieuse idée, en vérité, chez tous ces peuples primitifs aux concepts rudimentaires, puisque la science moderne est d'accord avec ce principe et que maintes expériences ont prouvé que les biologistes et chirurgiens actuels étaient capables de rendre la vie à un « patient » en état de « mort clinique » depuis une heure et plus. Et il faut dire qu'il ne s'agissait aucunement de simple léthargie. Au demeurant, la science moderne à mis quarante siècles pour découvrir expérimentalement ce que les primitifs connaissaient déjà, à savoir que la durée du passage naturel de la vie complète à la mort absolue est égale aux neuf mois séparant la conception de la naissance.

Le tout est que, pour ces anciens comme pour les actuels « sauvages » (puisque les « civilisés » qualifient ainsi les hommes des civilisations lointaines restées plus sagement qu'eux proches de la nature), reculer au maximum la disparition définitive d'un être vénéré, puissant ou cher, était lui permettre de continuer à vivre une vie simplement ralentie et bénéficier de sa participation posthume à la vie de la famille. Toutefois, en certaines peuplades actuelles, on relève que la momification est moins égoïste, et il ne s'agit plus uniquement de continuer à bénéficier de l'aide spirituelle du mort, mais simplement d'une manifestation extrêmement puissante du culte des ancêtres.

En Amérique, la momification est pratiquée dès l'époque précolombienne dans les Andes et au Pérou et, chez les Aléoutes du Nord, continue encore actuellement. Grâce à un climat sec et à un sol non humide, tombeaux, corps, ornements et même vêtements se maintiennent en parfait état de conservation. En d'autres régions se pratiquait un autre genre de conservation des corps : par dessiccation au chaud soleil, avec longue exposition sur une plate-forme.

On peut même affirmer qu'aux origines, si la momification a été moins pratiquée, l'embaumement a toujours été plus que largement appliqué, surtout pour certaines parties corporelles conservées séparément. En particulier, on retrouve des têtes embaumées et ayant servi de trophées.  En Amérique du Sud, les modes de sépulture ont été très variés, autant dans les hauts plateaux que dans les régions basses de la forêt tropicale. En Colombie, Pérou, Bolivie, Chili, la momification a joué un rôle essentiel ; inversement, dans les bassins de l'Orénoque et de l'Amazone, elle ne fut pratiquée que sporadiquement.

En Océanie, le « culte des crânes des ancêtres » a été d'une importance majeure. Toutefois, on retrouve à côté quelques embaumements totaux.

En Indonésie, Mélanésie, Polynésie et Nouvelle-Guinée, il y a eu des pratiques assez spéciales ; celles de recueillir les produits de décomposition des cadavres et de les mélanger à la nourriture des survivants.

La Nouvelle-Calédonie se signale en la matière par l'exposition des cadavres dans des grottes ou fentes de rochers, et aussi par des enterrements avec conservation de la tête du défunt hors du sol. Le but était de pouvoir détacher alors facilement cette tête quand la décomposition avait fait son œuvre et de l'aller déposer sur l'autel des ancêtres.

L'Asie est le continent où la momification semble avoir joué le moindre rôle.

L'Inde fut le foyer d'expansion de l'incinération religieuse, et cet usage gagna tous les pays brahmaniques au nom de l'espérance majeure pour le vivant de voir un jour ses cendres versées dans les flots sacrés du Gange. Toutefois, dans les régions acquises au bouddhisme, cette incinération est effectuée simultanément avec d'autres pratiques pieuses. Au Tibet, spécialement, la sépulture usuelle des prêtres est l'abandon du cadavre en des lieux isolés. Pour les hauts dignitaires, on a recours souvent à la momification.

En Chine, la tradition voulait l'exposition du corps pendant deux à trois ans, et cela impliquait des modes de conservation au moins relative, par enlèvement des viscères et remplacement par des bourrages de tissus imbibés d'aromates. Les deux ou trois ans écoulés, on vérifiait l'état de conservation et celui-ci indiquait l'état de sainteté du défunt. Si elle était parfaite, le cadavre était recouvert de feuilles d'or et revêtu de riches vêtements, puis mis définitivement au tombeau.

Incontestablement l'Asie, berceau de l’humanité, a eu la primeur des momifications, bien avant l'Égypte, qui ne fit que la copier jusqu'à en réaliser un véritable art décoratif.

Mais l'Égypte est trop connue pour qu'on s'y étende. Elle n'est pas toute l'Afrique, si elle a la prééminence dans le temps de la civilisation. Il y a aussi l'Afrique Noire.

En Haute-Guinée, au Gabon, au Congo, au Soudan, à Madagascar, la momification a été pratiquée surtout par simple dessiccation au feu, plus rarement avec des pratiques usuelles d'embaumement.

L'Europe ne présente que de rares momies, et elles ont été très mal faites. Les premiers Européens chrétiens, tout en ayant le culte des morts, considéraient en effet que les corps doivent obligatoirement revenir à la terre. Effectivement, au sens strict des textes pieux, la pratique de la mise dans un tombeau construit en maçonnerie est hérétique, et l'Église ne la tolère que depuis la Révolution, pour éviter le second terme du dilemme, celui de la crémation. Cependant il faut savoir que, maintes fois, on a pratiqué la dessiccation à l'air libre des hauts personnages en les suspendant autour des clochers. C'est ainsi que les cryptes des Cordeliers, à Toulouse, et celles des Jacobins, celles de Saint-Michel de Bordeaux, le cloître des Capucins, à Palerme, des monastères de Sicile, l'hospice du Saint-Bernard peuvent encore faire visiter leurs collections de cadavres desséchés et ce ne sont pas — les seules. Mais ce ne sont pas de véritables momies : simplement des corps décharnés, aux corps recouverts d'une peau rude et fragile, avec des visages contractés et sans aucune expression.

Chez les Grecs, véritables créateurs de la civilisation occidentale, il n'y eut que de bien rares momies, car ils n'attachaient aucune importance à la dépouille mortelle. Historiquement, on ne connaît que trois cas d'embaumements : Alexandre le Grand, oint de miel, Agésilas, roi de Sparte, enrobé de cire, et Patrocle, rempli de nectar et d'ambroisie aux dires d'Homère.

En Italie, c'est chez les Étrusques que l'on trouve des pratiques d'embaumement ; cependant, les luxueux sarcophages restitués par les fouilles ne contenaient pas de momies. Il semblerait que l'analyse historique et archéologique moderne s'oriente plus vraisemblablement vers une explication de parement et simple préparation fastueuse du mort, avec des soucis de conservations très temporaires.

Enfin, en France, les Gaulois ignoraient, ou tout au moins ne pratiquaient pas l'embaumement. Mais les corps étaient préparés avec grand soin à être mis dans des sarcophages de terre cuite, de pierre et parfois de plomb.

Pour terminer cette large fresque de l'embaumement, on dira qu'actuellement, dans les pays anglo-saxons et également en U.R.S.S., cette pratique connaît un énorme renouveau. À Moscou, le corps de Lénine a été embaumé et continue à être exposé aux yeux de ses admirateurs dans un cercueil de verre. Aux U.S.A., on ne conserve que rarement le corps d'un mort dans l'appartement de la famille pour des raisons d'hygiène. On le transporte dans des sortes d' « hôtels mortuaires », et le cadavre n'est alors aucunement exposé, comme en France, sur un lit mortuaire forcément triste et lugubre. Le défunt est habillé et paré après avoir reçu quelques préparations conservatrices, et des spécialistes le disposent dans des attitudes qui lui étaient usuelles, depuis la réception dans un salon jusque derrière un bureau, pour les hommes d'affaires, en passant par des attitudes sportives ou d'études pour les sportifs ou les savants ... C'est, du moins, les détails que l'on trouve jusque dans des ouvrages de documentation délivrés par les services officiels d'informations.

En France, on ne trouve, sur ces sujets de pratiques ethnographiques, que deux noms de savants s'étant penchés sur ces questions et les ayant publiées d'après leurs travaux au Musée de l'Homme : le Dr Dérobert et le professeur Reichlen. On doit leur en savoir gré, car, si le thème est puissamment instructif, il n'en reste que fort peu réjouissant.

Sylvain LAJOUSE.

Le Chasseur Français N°662 Avril 1952 Page 250