Accueil  > Années 1952  > N°663 Mai 1952  > Page 257 Tous droits réservés

Illusions

Il nous a été fréquemment demandé s'il n'était pas possible d'améliorer le rendement du tir de chasse en augmentant la vitesse initiale des plombs, dans le but de diminuer la valeur des corrections de tir à effectuer. Certains chasseurs nous ont fait remarquer à ce sujet que la vitesse initiale employée dans le tir à plombs plafonne aux environs de 360 à 380 mètres, alors que, dans le cas du tir à balle, elle a passé pratiquement, en un siècle, de 300 mètres à 900 mètres, pour certaines armes.

Examinons donc dans quelle mesure un accroissement de vitesse des projectiles peut modifier l'importance des corrections de tir. On sait que, pour le tireur qui déplace sa ligne de mire avec une vitesse angulaire égale à la vitesse apparente du gibier, sans arrêt de l'arme en pressant la détente, la correction à effectuer correspond au déplacement du gibier pendant la durée du trajet des plombs. Dans le cas de l'emploi d'un plomb moyen, à une portée de 30 mètres, la correction est d'environ 1m,50 pour un gibier en plein travers. Si la durée du trajet des plombs était nulle, il n'y aurait plus de correction à faire ; il est donc séduisant, à priori, de songer à l'augmentation de la vitesse.

Il convient toutefois d'examiner les conditions dans lesquelles la grenaille de plomb perd sa vitesse après sa sortie de l'arme ; la résistance de l'air est beaucoup plus importante lorsque la vitesse du plomb est grande et sa masse petite ; on dispose d'ailleurs d'une formule assez exacte qui donne pour chaque numéro de plomb la vitesse restante en fonction de la vitesse initiale et de la portée ; on peut, par conséquent, calculer la vitesse moyenne avec une bonne approximation.

À l'examen des résultats obtenus, on constate tout de suite qu'au delà de 400 mètres de vitesse initiale tout accroissement supplémentaire ne se traduit que par un gain insignifiant de vitesse moyenne. La déformation des grains, aux vitesses ainsi envisagées, agit également sur la dispersion, et le rendement de la cartouche ne s'améliore pas.

Nous savons encore qu'il est beaucoup plus facile de lancer efficacement un caillou qu'une poignée de sable de même poids, toujours parce que la résistance de l'air agit plus fortement sur la même masse divisée que concentrée. De ce fait, la balle, projectile unique, conserve bien mieux sa vitesse que le même poids de grenaille ; on ne peut donc comparer les vitesses initiales employées dans le tir à balle et celles réservées au tir à plombs.

Dans une hypothèse un peu prématurée en ce qui concerne les cartouches de chasse, mais pourtant possible, admettons que l'on constitue un projectile autopropulsé à grenaille et que l'on profite ainsi à la fois de l'aptitude de ce genre de projectile à augmenter sa vitesse initiale et de la concentration de la charge pour diminuer considérablement la résistance de l'air ; nous arriverions très difficilement à tripler la vitesse moyenne, ce qui nous permettrait de réduire notre correction des deux tiers. Mais il faut tout de suite remarquer que l'organisation d'un tel projectile réduirait en même temps la dispersion, donc la surface dans laquelle on peut espérer tuer, ce qui nous ferait perdre tout le bénéfice du système.

En bref, une augmentation de la vitesse initiale dans les limites où elle est possible ne nous apporte aucun secours. Mais il y a toutefois un argument dont il convient de tenir compte en lui donnant sa juste valeur : un certain nombre de chasseurs restent partisans des munitions possédant une vitesse initiale voisine de 400 mètres et déclarent qu'avec ce genre de cartouches leur tir est amélioré. Ils en attribuent la cause à la réduction possible de la correction de tir.

Il suffit de réfléchir pour être bien convaincu que cette réduction est pratiquement trop faible pour être efficace en l'affaire ; cependant, nous pensons qu'il peut y avoir une certaine amélioration dans le tir de ces chasseurs, soit parce qu'ils bénéficient ainsi d'une pénétration un peu meilleure, soit surtout parce que la dispersion est augmentée dans une proportion convenant à leur genre de chasse et à leur écart probable personnel. Il arrive souvent de faire des observations exactes tout en commettant des erreurs sur les véritables causes des résultats observés.

Nous mentionnerons en passant l'opinion de ceux qui déclarent ne faire aucune correction de tir et cependant tuer du gibier : ceux-là sont indifférents à la vitesse des projectiles. Nous sommes entièrement persuadés de leur bonne foi, mais nous sommes également certains que, lorsque la pièce tombe, la correction de tir a été faite et exactement faite, sans quoi la charge aurait passé à côté de la pièce. Il s'agit ici de chasseurs de tempérament nerveux, exagérant volontiers leurs gestes et qui croient faire partir le coup lorsque leur arme est dans la direction du gibier, alors que cette direction est largement dépassée. Ceci n'est pas un défaut, et d'ailleurs ils tuent assez régulièrement le gibier qui leur passe sous des angles relativement faibles, mais les coups en plein travers sont rarement heureux.

Voici donc deux illusions dissipées, celle du chasseur qui désirerait ne pas avoir de correction à faire et celle de celui qui déclare n'en avoir aucun besoin. Il nous reste à conclure.

Nous ne contesterons pas les notables progrès des facultés d'un gibier trop pourchassé actuellement, progrès ayant porté principalement sur l'augmentation de la méfiance et sur la vitesse de fuite. En revanche, il est incontestable que les armes modernes sont plus maniables et plus puissantes que celles du passé.

Mais, sans faire preuve d'un optimisme exagéré et ennemi de tout progrès, nous estimons que les conditions dans lesquelles on utilise actuellement l'arme de chasse sont encore les meilleures possible, tenu compte des facultés des usagers. Celles-ci sont malheureusement restées à peu près les mêmes : le chasseur d'aujourd'hui n'est pas mieux musclé et n'a pas une meilleure vue que ses ancêtres. Nous n'oserions pas affirmer que son équilibre nerveux vaut celui des anciens.

Cependant, ne jetons pas le manche après la cognée ; limités à l'utilisation d'une charge adaptée à nos forces, ne pouvant guère envisager une réduction de la dispersion faute de précision dans le pointage rapide, il ne nous reste qu'à ajuster au mieux la valeur de cette dispersion à nos genres de tir et à notre adresse.

Pour le commun des chasseurs, il y a là encore de fort belles chances de réussite.

M. MARCHAND,

Ingénieur E. C, P.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 257