Accueil  > Années 1952  > N°663 Mai 1952  > Page 260 Tous droits réservés

Les braves gens de chez nous …

Il est un fait évident, et que pas une personne de bonne foi ne voudra contester — sauf toutefois MM. les bracos, ce qui, du reste, est une preuve supplémentaire en leur faveur : l'immense majorité des gardes-chasse est composée de braves gens.

Naturellement, ils ne sont pas maîtres des éléments, pas plus que des causes de force majeure ou fortuites ; aussi il arrive qu'un chasseur urbain, parce qu'il a mal réussi, ou mal tiré, parce que, aussi, il a été dans un jour de déveine, ce qui arrive à la chasse comme pour le reste, voudrait imputer l'absence de gibier à des fautes du garde.

D'abord, pour pouvoir juger en toute équité, il faut être propriétaire terrien de longue date et être observateur. Celui qui, ainsi que je l'ai fait si longtemps, a fait du contre-braconnage, aussi bien de jour que de nuit, par toutes les températures, qui a donc fréquenté les milieux des gardes, s'est aperçu qu'il se trouvait au centre d'hommes d'un niveau moral élevé, consciencieux et particulièrement attachants. Si un certain nombre d'entre eux ont bien voulu, parce que je me suis intéressé à eux, m'assurer de leur sympathie, je tiens à dire ici que je le leur rends bien et ai pour eux la plus vive estime en raison des qualités qui leur sont indispensables.

Tous les métiers sont sujets à un apprentissage, apprentissage plus ou moins long, sauf un seul, celui ayant trait à la politique, mais je touche là à un terrain trop brûlant pour vouloir aller plus avant ...

Le garde doit, en principe, faire abstraction de tout ; il doit être constamment sur la brèche, le jour, la nuit, et il n'aura jamais trop de toute son attention. Un vieux garde, qui borde actuellement les quatre-vingt-quatre ans, et que j'ai connu à ses débuts, me disait un jour qu'en dépit de toutes les précautions que l'on pouvait prendre l'on n'était jamais certain de ne pas être « joué » ! Et, cependant, celui-là aimait son métier.

Il lui faut donc une excellente santé, ses heures de sommeil, de repas n'étant jamais régulières, notamment quand il s'agit d'une « planque » qui pourra durer x temps. Je me souviens qu'une fois deux gardes ayant trouvé un lapin pris au collet en bordure d'un champ de betteraves se mirent en embuscade à la pointe du jour ; ils connaissaient parfaitement le délinquant ; à midi, ils s'absentèrent exactement un quart d'heure pour aller chercher un casse-croûte avant de reprendre leur faction. Le lapin avait disparu durant ce laps de temps, car, pendant qu'ils surveillaient, ils étaient eux-mêmes guettés.

On a écrit des livres et des livres sur le braconnage, mais ses procédés sont aussi innombrables dans leur ensemble que variés suivant les régions, et, j'ajoute, suivant l'espèce de gibier visé. Suivant aussi qu'il s'agira de plaine ou de bois, le marais ne pouvant entrer en ligne de compte qu'au titre de chasse sur terrain d'autrui, le braconnage proprement dit y étant inexistant.

Il faudra que le garde soit excessivement diplomate, un Talleyrand au petit pied, et sache se concilier la sympathie des milieux ruraux, indispensable pour la prospérité d'une chasse et pour éviter des ennuis à ses maîtres. Le jour où il l'aura gagnée par ses bons procédés, une main de fer dans un gant de velours, ou bien, comme l'a dit le maréchal Lyautey, quand il aura montré sa force pour ne pas avoir besoin de s'en servir, ou encore quand il sera de notoriété publique qu'il est juste et loyal, alors, dis-je, le plus fort sera fait. On ne cherchera plus à lui jouer des tours ; bien au contraire, on l'avertira si un complot est tramé contre lui. Tout cela n'a rien que de très naturel, car les cultivateurs, agriculteurs, ouvriers des champs donneront, et de beaucoup, la préférence à celui qui saura faire respecter leurs récoltes, par des brigands la nuit, par des chasseurs, peut-être non mal intentionnés mais maladroits, de jour.

Il n'y a rien de plus facile que de détruire nids de perdrix ou de faisans, lapereaux et levrauts, sans avoir l'air de le faire exprès, et, si l'on avait persévéré dans l'idée première d'exproprier, sans autres formalités, des droits de chasse, on l'aurait bien vu !

Si Sully a dit : « Labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France », on peut ajouter : « Entente entre ruraux et chasseurs est à la base d'une chasse giboyeuse. »

Un garde doit être observateur et connaître les mœurs des nuisibles comme celles du gibier, détruire adroitement les uns en protégeant les autres, et ce n'est pas si commode.

Il doit savoir diriger des battues, aussi bien celles de plaine, en tenant compte de la direction des vents, que celles au bois ; il doit dire au propriétaire de la chasse quand il doit s'arrêter, lui qui, par ses tournées, connaît la densité du gibier qu'il a mission de garder, s'il ne le connaît par corps, quand il s'agit de grands animaux. Bref, être un guide conseiller.

Les périodes de fermeture ne constitueront pas pour lui une trêve de repos. Il lui faudra réviser les belettières, les chatières, surtout celles ayant capturé des putois, dont griffes et dents sont aiguisées et qui les mettent à mal si souvent ; revue des pièges à fond, comme de leurs ressorts qui ont pu flancher.

Les sentiers d'assommoirs doivent être refaits, débarrassés de toute végétation parasite et, s'ils sont en bordure de bois — là, en effet, où est leur place, — ils constitueront pour lui d'excellents postes d'observation.

La suprême adresse sera de faire croire qu'il a le don d'ubiquité, c'est-à-dire que les délinquants penseront qu'il est toujours là, alors qu'il sera occupé ailleurs. Aussi, jamais de tournées à heures fixes.

En cas de neige, il devra alimenter son gibier et l'abreuver ; le gibier souffre plus de la soif que de la faim ; la glace des abreuvoirs doit être cassée. Sans ces précautions élémentaires, bien connues de nos voisins de l'Est, où les animaux gibier ont une densité que beaucoup ignorent, ces derniers chercheront refuge ailleurs, en émigrant vers des territoires mieux aménagés.

Le Midi veut avoir « du lapin » et considère donc comme ses pires ennemis les bracos au furet, et même les chasseurs l'utilisant. Un excellent moyen de défense, assez peu connu du reste, consiste à mettre dans chaque terrier un produit à odeur forte — car je suis assez sceptique sur l'emploi de têtes de harengs salés ! — soit un chiffon imprégné de crésyl, d'huile de cade, de phénol, soit, plus simplement, une boule de naphtaline ou de paradichlorobenzène. Ainsi, on forcera les lapins à devoir se rendre où l'on veut qu'ils se terrent. Ce système est valable quand il y a des récoltes près des bois, et, si un grillage est le moyen de protection le plus efficace, à condition pourtant d'être bien mis, la simple corde, enduite de l'un des produits précités, crésyl ou huile de cade, sera une protection suffisante, tendue à 20 centimètres du sol sur de petits piquets ; pour empêcher un dessèchement trop rapide, on peut mélanger avec de l'huile de vidange d'autos, cédée à vil prix dans les garages.

Et, la nuit, il faut encore savoir se défendre contre le braconnage à la lanterne, si répandu, celui au branché contre les faisans ; je ne parle pas des collets, aussi terribles dans leurs effets qu'efficaces contre tous les gibiers sans exception ; et ils ne font aucun bruit. Avouez qu'il faut une bonne dose de courage au garde qui s'aventure ainsi, seul, la nuit ; il aurait avantage à s'adjoindre un collègue, à charge de revanche et, en réalité, c'est ce qui est souvent pratiqué, quand il n'y a pas de vrai bon chien de contre-braconnage ; mais il le faut bon, sinon mieux vaut s'en passer, car il ne ferait que procurer des ennuis, sans contrepartie.

On peut, par cette brève énumération, forcément bien incomplète, d'autant plus que je m'abstiens volontairement d'autres précisions afin d'éviter de créer des vocations dans le camp adverse, se rendre compte des qualités de courage, d'intelligence, d'initiative, de doigté, de travailleur que doit montrer un bon garde.

Je laisse les critiques à d'autres ; quant à moi, je leur tire mon chapeau !

Jacques DAMBRUN.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 260