Une histoire d'ours brun des Pyrénées qui, étant du Midi, a
vraisemblablement exagéré dans son comportement, chose qui le perdit.
Il y a chaque année, dans un des coins sauvages des vastes
forêts de sapin qui dominent Luchon, quelque ours tenté par les moutons des
pâturages.
Le pâtre signale : une bête est perdue ... Le
propriétaire de la bête constate que c'était la plus belle du troupeau et se
demande en lui-même si l'ours incriminé n'est pas tout simplement quelque
boucher désireux de faire une affaire, une bonne affaire que l'on coupe en deux
avec le berger.
La présente année, il y avait eu manifestement
exagération, puisque cinq, puis dix, puis quinze, puis vingt moutons avaient
disparu. Mais l'alerte donnée dès la deuxième ou troisième bête, les peaux
retrouvées déchiquetées, l'affirmation du pâtre déclarant que c'était l'ours !
La prudence de ce même pâtre quand il menait le troupeau à l'Esponne du Lys,
aux pentes gazonnées extrêmement rapides et proches de fourrés de rhododendrons :
toutes choses donc disaient aux propriétaires que l'ours, cette fois-ci, était
là.
Ce dernier, d'ailleurs, avait eu l'impudence de s'attaquer,
entre autres, aux troupeaux des frères Ader, maires de deux villages jumeaux.
Savait-il, cet ours, que le ministre de l'Agriculture avait
pris un décret pour le protéger ? Fort de ce décret, se croyait-il tabou ?
Peut-être. Mais un maire de la quatrième République, à plus forte raison deux
maires de cette même République, propriétaires et paysans de père en fils, ne
pouvaient tolérer plus longtemps le massacre des troupeaux de la vallée et
alertèrent, en vue d'une battue régulière, le préfet régional, le ministre
régional, M. le Président de la République, national par élection, mais
également régional par ses ascendants, et la défense des intérêts de ces
agriculteurs obtint un soupçon de légalité offrant d'ailleurs une certitude de
légitimité.
Durant ces secrètes palabres épistolaires, notre ours avait
acculé une génisse à sauter de peur dans un précipice et se délectait de filet
et de faux filet.
C'en était trop et le châtiment était proche ! Ni Meneu
de Meneu, ni à Castillon les Peyroulan, les Campet, les Aventin, ni à Cazeaux
les Jourteaux, les Mora et les Ribes ne pouvaient comme Oustalet, Pena, Loo ou Gasquet
en supporter davantage en leur colère.
Le dimanche 4 septembre, à l'orée de huit heures,
quatorze chasseurs occupèrent les postes ; dix-huit rabatteurs, à dix
heures, commencèrent la traque, et l'un d'eux, le fils Mounic, auquel des
jambes de dix-neuf ans permettaient de prendre de l'avance, vit, dans une
cheminée, notre plantigrade montant vers lui.
À dix mètres à peu près, une balle en plein poitrail,
doublée d'une décharge de chevrotines, fit rouler Maître Martin pendant bien
deux cents mètres. Il était mort, tout à fait mort, non loin de la Vierge de Saint-Anne,
et notre chasseur alors vendit sa peau.
Un boucher détailla la bête, mais il conserve en de
multiples pots cette graisse de vieil ours de 160 kilogrammes qui permet de
composer un onguent unique pour les rhumatisants autochtones.
G. DU BEVAL.
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