Lorsqu'on se promène dans la campagne, au printemps et
au commencement de l'été, il arrive qu'en longeant une haie touffue ou un
fourré de ronces on entende une sorte de petit gloussement étouffé qu'on
attribue, sans lui prêter plus d'attention, à quelque individu de la gent
batracienne, grenouille ou crapaud.
Pendant bien longtemps, je me suis contentée, comme tout le
monde, de cette détermination sommaire ; mais, il y a quelques années, ces
gloussements sont devenus, dans mon jardin même, tellement fréquents que j'ai
voulu en avoir le cœur net et savoir quelle espèce, de moi probablement
inconnue, se propageait ainsi dans mon entourage immédiat.
Je me suis donc tout naturellement rendue près du bassin
d'où les sons paraissaient, du reste, provenir. Mais, là, une surprise
m'attendait. Ce n'était pas « du sein des eaux », comme disent les
poètes, que m'arrivaient ces gloussements qui m'intriguaient si fort, non plus
que de la bordure d'herbe qui les limite et où se prélassent volontiers les
grenouilles vertes, mais bien des branches d'un grand cèdre, à peu de distance.
Il ne pouvait plus être question d'un batracien, car, seule de toute la
famille, la rainette est arboricole et rien ne ressemblait moins à son
coassement sec et précipité que les sons étranglés qui commençaient à se
multiplier autour de moi. Il s'agissait assurément d'un oiseau, mais lequel ?
Mon chat est venu résoudre le problème. Le rusé petit animal
avait mieux observé que moi et savait à quoi s'en tenir. Avec sa discrétion
coutumière, il m'avait suivie, inaperçu, et maintenant se mettait en devoir
d'escalader le cèdre, par ses basses branches.
Ah ! mes amis, quel spectacle et quel tapage ! Un
envol affolé de merluchons tout juste sortis du nid, gloussant de toute la
force éperdue de leurs jeunes gosiers et cherchant à terre un refuge dans les
situations les plus comiques : une feuille morte qui leur cachait à peine
le bec ou une touffe d'herbe qui n'aurait pas dissimulé le crapaud avec lequel
je les avais confondus. Les deux parents, accourus à la rescousse,
accroissaient le tumulte, mêlant à mes cris, destinés à effrayer le chat, les
leurs, stridents, précipités et qu'il faut avoir entendus pour comprendre à
quel point l'émotion paternelle peut, chez les oiseaux, décupler leurs moyens
d'expression. Ils les entrecoupaient du petit gloussement familial, destiné à
réconforter, sans doute, leur pauvre progéniture en danger. Au bruit, toute la
maisonnée accourut à mon aide, car Minet, descendu de son arbre en toute hâte,
se lançait à la poursuite des infortunés merluchons. Grâce au nombre, on put le
traquer, s'en emparer et l'emporter, crachant et se débattant comme un vrai
petit démon. Il fallut, après quelques bonnes tapes sur le museau, l'enfermer,
pour la nuit, dans le réduit aux balais, où il eut, jusqu'au lendemain, le
loisir de se calmer et d'expier ses méfaits.
Le merle, l'oiseau noir au bec jaune, est trop connu pour
qu'il soit besoin de le présenter. Mais sa discrète compagne, la merlette,
passe souvent inaperçue. Son plumage mêlé de griset de brun et son bec terne
n'ont rien qui attire l'attention. Tout au plus une gorgerette gris clair lui
donne-t-elle un faux air de merle à plastron, qui a bien failli m'induire en
erreur au début de mes observations. C'est une vaillante qui construit un nid
maçonné, d'un travail long et compliqué. Elle ne laisse pas à nu, comme la
grive, le beau mortier poli en forme d'écuelle qui recouvre l'armature de
mousse et de feuilles mortes, mais elle le garnit douillettement d'un matelas
d'herbes sèches. Elle le place souvent presque à terre, dans un tas de fagots,
sur une souche entourée de rejets, ou bien à faible hauteur dans une haie, une
charmille, mais elle l'installe aussi, très haut, dans les branches ou contre
le tronc des grands arbres. Cinq ou six œufs y reposent d'ordinaire ; d'un
beau bleu, uniformément recouverts d'un semis de petites taches brun rouge ou
bleuâtres, entièrement ponctués de brun gris, on les prendrait alors pour des
œufs de geai. D'autres sont plus pâles encore : blanc bleuâtre avec des
taches claires. On compte deux nichées par saison. L'an dernier, les merluchons
de la deuxième couvée n'ont quitté, chez moi, leur berceau que le 11 août.
Un certain printemps, je m'étais intéressée à observer, jour
après jour, la merlette et la pie, venant chercher ensemble, à la boutasse qui
sert de déversoir au trop-plein du poulailler, la terre humide nécessaire à la
construction de leurs nids respectifs et qu'elles gâchent, toutes deux, comme
le plus habile maçon. Hélas ! un soir de mai, au bout de la terrasse, un
tumulte de cris m'a attirée, inquiète. Les pies dénichaient la couvée des
pauvres merles affolés, pour en nourrir leurs petits carnivores dès leur
naissance.
Le mâle chante au moins six mois de l'année. Il a droit à un
des tout premiers rangs parmi les oiseaux chanteurs. Sa voix a une résonance
particulière, pleine, forte, liée, harmonieuse, avec parfois une intonation
dramatique ; on l'entend de fort loin. Un concert de merles, au printemps,
est une des choses les plus captivantes qui se puissent écouter et je ne sais
pas, pour ma part, m'en rassasier.
La pluie, qui a sur tous les autres oiseaux une influence si
déprimante, n'arrive pas à l'attrister. Il chante sous l'averse avec autant
d'entrain que par les jours ensoleillés. Le premier, bien souvent, à ouvrir le
chœur de l'aurore, on l'entend encore bien après le coucher du soleil,
jusqu'aux approches de la nuit. Sa nourriture, en toute saison, est à la fois
carnée et végétale. Il recherche, sous les feuilles mortes, qu'il retourne du
bec, avec une amusante prestesse, des limaçons et des vers de toutes sortes ;
c'est exclusivement avec eux qu'il élève sa petite famille. Mais il se montre,
d'autre part, extrêmement friand de cerises, de grains de raisin, de baies
d'aubépine et de lierre, d'alises, de sorbes, des fruits du genévrier et du
sureau. Ce régime mixte, qui lui permet de supporter sans trop de dommage les
rigueurs de l'hiver, donne également à sa chair une saveur qui le fait
rechercher par le chasseur presque à l'égal des grives, ses proches parentes.
Je me souviens d'un après-midi de janvier où, le soleil ayant réussi à percer
les nuages et à réchauffer quelque peu la campagne couverte de neige, je me
divertissais, assise sur une grosse pierre, à l'abri d'une haie touffue, à
regarder un malheureux merle affamé qui cherchait sa vie dans l'étroite bande
de gazon que l'épaisseur de la haie avait préservée de la neige. Avec une hâte
fébrile qui dénonçait l'avidité de son appétit, il retournait, une à une, les
feuilles jonchant le sol en bordure du fourré. Je n'eus pas à jouir longtemps
de ce spectacle, car nous nous trouvâmes, tout à coup, le merle et moi, cernés
par sept chasseurs avec leurs sept fusils, en compagnie de leurs sept chiens.
Je m'enfuis sans difficulté — ce n'était pas à moi qu'ils en avaient, — mais
je n'ose espérer qu'il ait pu en être de même pour mon infortuné compagnon d'un
instant.
Le merle est seul, avec le rouge-gorge, a faire entendre, en
hiver, à la tombée du jour, une série de notes précipitées d'un timbre
particulier qui semblent une protestation contre l'obscurité qui grandit.
Certains soirs où la brume enveloppe la nature comme un linceul funèbre, elles
sont l'unique expression d'une vie animée qu'on pourrait croire éteinte, et
bien davantage encore par les grandes gelées. Le soleil a disparu, comme un
globe de sang, dans un ciel implacablement pur ; sur la terre blanche et
durcie, les grands arbres et les fourrés font des taches de deuil. De l'un
d'entre eux s'échappe tout à coup la voix fluette du rouge-gorge, bientôt
suivie et dominée par les cris agités du merle. Et, lorsqu'il se tait à son
tour, la nuit glacée en paraît plus impitoyablement cruelle et meurtrière.
Pierrette MAGNE.
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