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Transport des proies par les rapaces

Tous les rapaces attaquent souvent des proies d'une taille disproportionnée à la leur, soit égale, soit supérieure à celle-ci. Mais il y a lieu de distinguer entre attaquer et transporter, il y a une belle marge entre ces deux actions.

Le transport des proies n'est pas une règle absolue. Je suis personnellement persuadé qu'il constitue même une exception, exception fréquente, je le reconnais, mais dont les mobiles sont, pour le rapace :

— soit la recherche d'une sécurité plus grande offerte par le choix d'une place de repas autre que celle de la capture ;

— soit la recherche d'une place plus confortable pour opérer son repas ;

— soit enfin d'assurer la subsistance des jeunes et de la femelle encore au nid.

Quelques exemples préciseront mieux ma façon de juger :

Si un autour vient de lier un poulet auprès d'une ferme, il ne se sent pas tranquille sur la place de capture et son premier mouvement est de l'emporter à distance et de choisir une place tranquille où il se sentira en sécurité pour y déchiqueter sa proie.

Si un épervier vient de s'emparer d'une grive dans les buissons fourrés d'une haie en pleine campagne, il la transportera à proximité immédiate pour la plumer et la dévorer sans être gêné par les branches du buisson.

Si un rapace quelconque a charge de famille, il emportera au nid la majorité de ses captures.

Que certains rapaces effectuent rarement l'enlèvement de leurs proies et leur transport à distance, la chose est indéniable, mais c'est là qu'il faut faire intervenir la faiblesse de leurs moyens, tels que : envergure de petite taille, musculature insuffisante en proportion du poids des proies, forme et puissance des serres inadaptées à l'enlèvement de poids égaux ou supérieurs à celui du rapace.

Parmi les rapaces, nous pouvons remarquer les points suivants :

Le vautour (plus charognard que rapace), malgré l'importance de son envergure, ne peut guère emporter une proie supérieure en poids à celui d'un lapin. Ceci du fait de la faiblesse de ses serres. Le gypaète, qui tient le milieu entre les vautours et les aigles, ne fait guère beaucoup mieux.

L'aigle royal, aux serres puissantes et à l'envergure voisine de celle des vautours, emportera un lièvre de montagne, un faon de chamois, un petit agneau, mais il est totalement incapable d'enlever un chamois, une chèvre, une brebis. Il le sait si bien que, poussé par la faim, il cherche non pas à enlever de telles proies, mais à les précipiter dans un ravin ou en bas d'un escarpement rocheux par une série d'attaques puissantes où les coups d'aile joints à la masse en pleine chute de l'oiseau jouent le plus grand rôle. L'animal, ainsi précipité dans le vide, s'écrase au sol et ce n'est que là que le repas s'effectuera par lambeaux arrachés au cadavre. En Asie, par contre, dans les grandes plaines, le bec et les serres jouent un rôle plus considérable que la puissance des ailes. Mais, là encore, il n'est pas question de transport de la proie : elle est dépecée et dévorée sur place ou emportée par lambeaux au nid du rapace, en famille.

J'ai observé pendant trois jours, sur la Durance, un aigle pygargue qui venait  régulièrement se repaître du cadavre d'un mouton amené par une crue et échoué sur un îlot. Jamais cet aigle puissant n'a esquissé la moindre tentative d'enlèvement. Quand cet aigle puissant se livre à la pêche, s'il capture une pièce de 8 à 10 livres, il s'empresse de l'emporter sur un rocher voisin, de même s'il capture des oiseaux d'eau (oies, canards, sarcelles).

L'autour, au vol rapide et glissé, est incapable d'emporter une poule, tout au plus peut-il se permettre d'emporter des poulets de deux mois à 200 mètres du lieu de capture (poulets gros comme une perdrix ou une corneille). Quand il tue une grosse poule, c'est sur place qu'il l'entame, y revenant ou non s'il est dérangé pendant son repas.

L'épervier, aux tarses grêles, enlève, sans trop de difficultés, des poussins de dix à vingt jours, mais, s'il les emporte, c'est pour esquiver les attaques de la poule meneuse ou pour nourrir ses petits. Sinon il les dévorerait sur place comme il le fait pour les pinsons ou alouettes. La femelle, plus forte, transporte facilement un merle, une grive et, avec difficulté, un geai, mais elle s'attaque facilement aux perdrix et aux pigeons, qu'elle ne peut transporter.

La buse, au vol lent et ramé, aux affûts patients, ne transporte guère que des lapereaux et des poussins de gibier, ou de jeunes poulets, des poules d'eau, des cailles, par exception des perdreaux. Elle est incapable d'enlever un lapin adulte ou une poule de basse-cour. Les petits passereaux : hirondelles, pinsons, ne la craignent pas et la harcèlent au vol, comme le font les corneilles.

Le milan, au vol plané interminablement, aux serres faibles, ne transporte guère que des proies minimes en proportion de son envergure (poissons, poussins et poulets, lapereaux).

Le faucon pèlerin, au vol rapide et aux attaques savantes en plein vol, malgré ses serres puissantes transporte une caille avec difficulté ; il dévore sur place comme le hobereau, l'émerillon et la crécerelle, ou à proximité immédiate.

Les busards, d'envergure similaire à celle des buses et autours, mais aux pattes faibles, dévorent sur place, ne pouvant guère transporter qu'une alouette ou un campagnol.

En résumé, entre la proie attaquée et le transport de celle-ci, il y a une énorme différence et l'on peut admettre que, si le rapace se sent en sécurité, il puisse effectuer facilement plumage et repas sur la place de capture, il ne cherchera jamais à emporter sa proie en dehors de la période d'élevage des jeunes.

A. CHAIGNEAU.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 268