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Les sangsues des poissons

Il n'est pas question ici des classiques sangsues de nos mares, qui, friandes de sang chaud, ne s'attaquent guère au poisson, mais de certaines sangsues abondantes dans les étangs ou rivières à courant lent et que les pêcheurs ont eu souvent l'occasion d'observer.

La plus fréquente de ces sangsues est la piscicole géomètre, de couleur grisâtre et qui doit son nom à la façon dont elle se déplace, c'est-à-dire en nageant par saccades et en pliant son corps en angle droit comme la chenille arpenteuse. Le corps allongé, cylindrique, d'un brun rougeâtre, est orné de trois lignes jaunâtres de taches. Cette sangsue est la plus redoutable pour le poisson. On la trouve dans certains étangs de la Sologne ou de la Brenne ; on voit alors arriver dans la pêcherie de l'étang en vidange des brochets, des carpes et des tanches qui en sont véritablement couverts. Certaines années, elle pullule, et j'ai vu, il y a trois ans, en Brenne, un étang dont toutes les carpes et tanches portaient une douzaine de ces sangsues ; le fond de la pêcherie était couvert d'une masse grouillante de ces répugnants petits vers.

C'est un parasite à peu près permanent et qui, accroché aux végétaux aquatiques, attend le passage des poissons pour sauter sur eux et s'y coller avec sa trompe par l'une de ses deux ventouses ; j'oubliais de dire qu'il a une ventouse buccale et une ventouse postérieure.

Cette sale bête dépose sur les végétaux immergés son cocon en forme d'amphore, long de 1mm,5 et ne contenant qu'un seul œuf. La jeune piscicole éclôt, mène tout d'abord une vie libre, puis, poussée par la faim, s'attaque à un poisson quelconque. J'ai déjà dit qu'elle s'attaquait surtout à la carpe, à la tanche et au brochet ; elle est plus rare sur les autres poissons blancs ; on la signale aussi sur l'ombre commun et sur la truite, non point évidemment sur la truite des torrents de montagne, mais sur la truite des rivières calmes ou des lacs ; elle peut d'ailleurs descendre très profondément puisqu'on en a rencontré dans le Léman jusqu'à 54 mètres de profondeur.

Il est assez curieux de constater que, parfois, la piscicole s'agglomère sur certains poissons particulièrement chétifs ; dans les étangs relativement sains, on trouvera un seul poisson sur lequel seront accrochées quelques dizaines de géomètres alors que les autres poissons en sont indemnes.

Ces sangsues sont les plus visibles, car ce sont des parasites externes ; mais elles pénètrent parfois par les ouïes et même par la gorge. La piscicole géomètre s'attache solidement par la ventouse postérieure, si solidement que, si l'on essaie de l'en arracher, on enlève en même temps une petite partie de l'épiderme. Puis, de la ventouse buccale, elle suce le sang du poisson et l'affaiblit. La blessure causée par une piscicole est souvent le siège de maladies telles que la mousse, qui ont besoin d'une plaie pour contaminer l'organisme.

Comment se débarrasser de ce parasite ? Dans les étangs de pisciculture, cette sale bête provoque certaines années des catastrophes : la pêche est médiocre, le poisson maigre, peu abondant, affaibli, et les marchands de poissons savent alors le déprécier fortement, ce qui est normal, la présence de cette piscicole n'ayant rien de ragoûtant pour le consommateur. Après la pêche d'un étang, on peut plonger les poissons dans un bain salé à raison de 25 grammes de sel par litre d'eau ; on les y laisse pendant une demi-heure et les sangsues tombent seules au fond. Lorsque l'étang est trop envahi, il faut le vider et le chauler. Il faut surtout éviter d'employer des poissons portant des piscicoles pour réempoissonner une pièce d'eau. J'ajoute que ces poissons peuvent être consommés, ce parasite ne s'attaquant jamais à l'homme.

Dans les eaux libres, il n'y a pas de solution, les poissons ne mangeant pas les piscicoles, sauf la perche, et c'est le seul moyen de lutte biologique que nous avons actuellement ; il est certain que les eaux à perches renferment rarement ce parasite ; mais l'introduction de la perche dans certains étangs d'alevinage est parfois un remède pire que le mal. La perche soleil ou calico-bass mange également la piscicole, et c'est même son plus grand ennemi, mais son introduction en étang-élevage est toujours à déconseiller.

À côté de la piscicole se trouvent quatre autres espèces de sangsues parasitant le poisson ; trois de ces sangsues sont des cystobranchus qui, pratiquement, sont très difficiles à distinguer les uns des autres, hormis par un spécialiste ; elles ont la forme générale des piscicoles avec des sortes de boursouflures transparentes qui font saillie sur les bords du corps formant vésicule contractive. Elles sont beaucoup moins nombreuses que les piscicoles ; on les rencontre sur les poissons blancs et sur les truites, mais sans offrir ce caractère de pullulation excessive qui frappe chez la piscicole.

Enfin, la dernière espèce est la sangsue des pierres ou clepsine marginée, qui vit surtout sur les pierres, parmi les herbes aquatiques et sur le sable. Son corps est aplati et atteint 3 centimètres ; ses couleurs sont vives et comportent, sur fond jaune, des points verts et brun rouge ; ce parasite est évidemment carnivore comme toutes les sangsues, mais il s'attaque surtout aux vers, aux larves aquatiques et aux mollusques ; il est rare qu'on le trouve sur des poissons, sauf sur l'anguille.

En résumé, c'est surtout la géomètre piscicole qui peut être nuisible au poisson de nos eaux douces et le seul moyen de lutte biologique contre ce parasite est l'introduction de la perche.

DELAPRADE.

Le Chasseur Français N°663 Mai 1952 Page 278