Dans une causerie sur la pêche du chevesne à la mouche
sèche, M. R. Balussaud (1) a soulevé un point de technique qui m'a
fréquemment intéressé (2).
Quelle est la meilleure présentation de la mouche quand il
s'agit du chevesne ? Faut-il pêcher « en remontant » (up stream)
ou « en descendant » (down stream) ? La méthode préférée et donc
préconisée par M. Balussaud est la méthode dite « en descendant »,
c'est-à-dire, encore, celle que T. Burnand appelle plus scientifiquement (3)
pêche sèche « en aval ».
La pêche sèche « en aval » consiste
essentiellement à laisser dériver la mouche, parfaitement flottante, au gré du
courant en aval du pêcheur, qui tourne le dos au courant, en évitant, autant
que faire se peut (ce n'est pas toujours facile), le moindre sillage.
Ainsi présentée la mouche descend le courant. Dans la
présentation « en remontant », la mouche descend aussi le
courant ; mais elle est lancée en amont, le pêcheur faisant face au
courant, au delà du poisson ; ce n'est, dans les deux cas, que dans sa
descente, lorsqu'elle entre dans la fenêtre visuelle du poisson, que ce dernier
la voit et s'en empare. Le sillage n'existe pas dans ce procédé, si le courant
est régulier ; quelques trucs de lancer peuvent partiellement y remédier
en cas contraire. C'est là un gros avantage.
Quelle différence donc, au point de vue présentation,
existe-t-il entre les deux méthodes ? Aucune. Cependant, dans la méthode « aval »,
la ligne, arrivant après la mouche, semble avoir l'avantage de ne pas effrayer
le poisson ; dans la méthode « en amont » au contraire, si elle
est placée bien déployée, en ligne droite, parallèlement à la rive
généralement, elle passe la première sur le poisson et théoriquement
doit l'effrayer. C'est pourquoi T. Burnand préconise dans cette technique,
à propos de la truite, le lancer courbe. Pratique à obtenir de différentes
façons.
Par ce procédé le bas de ligne se place, sans tenir compte
de la courbe pour simplifier, perpendiculairement au courant. C'est affaire de
lancer, de bas de ligne ; les mouches battent une zone plus large et
arrivent les premières avant le bas de ligne (question de potences) sur le
poisson.
Lancer en amont et lancer courbe, avec deux mouches, est la
méthode que, par expérience, j'ai reconnue être la meilleure, la plus
meurtrière, sportivement la plus intéressante.
A. Andrieux l'a préconisée avant T. Burnand d'une
manière humoristique qui lui était assez coutumière. Il évoquait à son sujet le
fusil à canon courbe (!) pour tirer derrière les meules de paille !
Le lancer courbe, en effet, a parfois un avantage analogue quand il s'agit, par
exemple, de poser sa mouche en amont derrière une branche ou une pierre qui
gêne. Elle demande de l'adresse, beaucoup d'entraînement et de raisonnement sur
le terrain avant de devenir instinctive ; mais combien amusante est sa
pratique, en « wading » presque toujours. On voit mieux et plus
souvent le poisson qu'en aval — ce qui fait faire de la précision, — on
le voit gober ... ou s'enfuir.
D'autre part, pêcher « up stream » en « wading »,
si l'on marche lentement sans heurter trop violemment les pierres, n'effraie
pas le poisson. Seuls les poissons situés sur votre chemin, que vous effrayez à
vos pieds, donnent parfois l'alerte ; mais cela est aussi vrai pour
l'autre méthode et même davantage. Dans ce cas, le poisson part le plus souvent
en travers ou en descendant sans qu'on s'en aperçoive.
Voilà pour le côté facile, tangible de la question.
Un autre avantage de la méthode, c'est que le ferrage est
plus sûr. En aval le pêcheur ferre quand le poisson « bade », ainsi que disent
dans la région toulousaine les « pescofis galejaïres ». Mais — nous y voilà —
il y a le comportement du chevesne dont on néglige toujours de parler quand on
discute de cette question.
Je pose en principe que le chevesne ne prend jamais sa
proie en remontant le courant ; sauf le cas de la surprise, à
condition que la mouche ne tombe pas trop loin de lui.
Posté sur le courant, nageant sur place au gré du courant et
de ses variations, ou bien il gobe l'insecte que le courant porte juste au
moment où il arrive dans sa gueule — le chevesne se place en conséquence,
— ou bien le laisse passer, fait demi-tour, le suit, l'observe quelquefois
un certain temps et le prend en descendant le courant. Ce comportement est
général quelle que soit la proie (4), sauf la restriction de la surprise
quand il s'agit de la mouche et, semble-t-il, du relâcher. Mais, dans ce
dernier cas, il faudrait remarquer que c'est au moment du relâcher,
c'est-à-dire quand l'amorce, un instant retenue, redescend le courant qu'elle
est prise. C'est le même comportement qui empêche le chevesne de prendre la
mouche légèrement en sillage ou simplement retenue par la ligne qui se tend
volontairement ou non. Je pense que le fait de remonter le courant, pour une
proie, est dans tous les cas un fait antinaturel (une larve d'éphémère dérangée
se laisse aller au courant par exemple) qui se traduit par un réflexe négatif
chez le poisson. J'ai constaté ce comportement sur les amorces vivantes et la
mouche ; il est vrai aussi sur la cuiller au lancer. J'ai vu à deux
reprises successives (la seconde fut meurtrière) un chevesne attaquer la
cuiller passant à une distance assez grande de lui. Pour ce faire le chevesne a
fait chaque fois un demi-tour complet pour aller saisir la cuiller par derrière,
dans le sens de la marche du leurre, donc encore en descendant.
Pratiquement les pêcheurs à la mouche ont observé que l'on
ne prend pas beaucoup de chevesnes à la mouche noyée « en descendant ».
C'est parce que, dans cette méthode, la mouche est toujours retenue. Quand on
en prend, c'est parce que l'on fait des relâchers. Sur un parcours aussi peuplé
en chevesnes qu'en vandoises, la proportion des prises par la méthode mouche
noyée en descendant est approximativement de deux chevesnes pour dix vandoises.
Enfin, si parfois dans la pêche « en amont » en
mouche sèche on observe la fuite du chevesne parce qu'il est effrayé par la
ligne, les résultats montrent que cette méthode ne l'effraie pour ainsi dire
pas — même sans poser courbe. Le soleil n'est même pas un inconvénient, au
contraire. Il semble qu'il soit préférable. Mon secret pour remplir le panier à
la pêche du « blanc », c'est de pêcher pendant le jour, en plein
soleil ou non, le chevesne en remontant, en grosse mouche bien flottante. À
partir de 17 heures environ, je pêche en mouche noyée, mouillée, coulée,
travaillée, glissée, etc., cela dépend des lieux, du jour après tâtonnements
parfois. Pendant le jour, je prends surtout les chevesnes — si c'est en
période d'éclosions (printemps, automne, hiver) en pêchant avec la mouche
exacte, celle que gobe le poisson ; je prends aussi les vandoises au
soleil en remontant, en sèche, et, en tout temps, le soir, les vandoises en
mouche noyée ... quand elles ne boudent pas.
En résumé, ma conviction est que l'on exagère beaucoup
l'influence de la visibilité de la ligne : le poser brutal et les arrachés
violents effrayent beaucoup plus. Si le léger choc de la mouche attire le
chevesne en impressionnant sa ligne très sensible, il est évident que le choc
de la ligne mal lancée par une main lourde ou fatiguée impressionne également
le poisson. La mouche doit être posée légèrement même pour le chevesne (les
insectes sont très légers) et la ligne posée et arrachée sans choc. Il ne faut
pourtant encore rien exagérer ni généraliser.
En péchant au flotteur lesté de 7gr,5 et parfois
plus lourd à grande distance, au pied d'une falaise de la rive opposée, j'ai
quelquefois observé au moment où le flotteur touchait l'eau, avec un choc
violent, des poissons situés à plusieurs mètres du point de chute sauter hors
de l'eau dans une direction opposée au flotteur. Or ce phénomène ne nuisait en
rien au bon résultat de la pêche. Je prenais quand même des chevesnes et des
vandoises sur ces lancers à première vue effrayants et épouvantables à tous
points de vue. Pourquoi ? Parce que le poisson, en cet endroit, c'est du
moins ce que je pense, est habitué à la chute fréquente de rochers et de
cailloux dont est constituée la falaise, due au phénomène d'érosion, dégel,
pluie, vent, eau souterraine d'infiltration. Néanmoins, depuis le jour où je
constatai l'effet du choc du flotteur sur les petits poissons de surface,
j'amortis sa chute en tournant le moulinet avant qu'il touche l'eau, ce que je
faisais partout ailleurs.
Quoique la mémoire soit un peu courte, les réflexes acquis
des poissons des rivières trop et maladroitement pêchées se manifestent
souvent. Il est des rivières et des endroits où la vue seule de la mouche
repousse (réflexe acquis) le poisson au lieu de l'attirer, si bien présentée
qu'elle soit. Nous avons en ce cas à faire à des poissons « éduqués »
et des rivières trop fréquentées. Le mal est inguérissable. Nous n'y pouvons
rien. Il ne nous reste plus qu'à chercher ailleurs des poissons moins civilisés
et de nous consoler en pensant qu'une bonne bredouille vaut encore mieux que du
mauvais cinéma.
P. CARRÈRE.
(1) Voir Le Chasseur Français, n° 651.
(2) Voir Le Chasseur Français, n° 639, « Le comportement du poisson ».
(3) Parlons mouche, T. Burnand.
(4) C'est ainsi qu'au ver rouge on pêche avec succès le chevesne « en wading »
en amont avec une ligne composée simplement d'un hameçon et d'un indicateur de
laine rouge toujours au-dessus de l'eau. C'est quand le ver descend, je veux
dire dans le parcours de la surface de l'eau au fond, que le chevesne est pris.
Cette pêche est semblable à la pêche mouche noyée « en amont ». C'est
au fil que l'on voit la touche.
La pêche au toc se fait aussi en descendant.
La pêche à l'arrêt plombé donne rarement des chevesnes.
|