Quand on se trouve en présence de vieux meubles, et surtout
quand ceux-ci sont de styles régionaux, il est souvent fort difficile de les
dater et de fixer leurs origines.
Moins grave, contrairement à l'opinion courante, est la
question de leur authenticité. Pratiquement la contrefaçon absolue est une pure
légende. Pour parvenir à une copie parfaite, il faudrait d'abord utiliser des
matériaux, bois et tissus de l'époque correspondante ; ensuite il serait
nécessaire d'obtenir les mêmes procédés rudimentaires de fabrication, et il en
résulterait que le prix obtenu serait supérieur à celui de l'original.
Cependant il existe quelques rarissimes pièces ainsi
réalisées, mais elles ne concernent que des meubles datant de l'époque de
Versailles, et on les sait comme étant bien des copies puisque les originaux
sont connus et figurent dans les musées. Tels sont, dans ce cas, le bureau de
Louis XV, l'armoire à bijoux de Marie-Antoinette, le clavecin de Marie-Thérèse,
le lit des reines de France de Fontainebleau, On veut, dans ce cas, posséder la
copie d'un chef-d'œuvre, et c'est tout.
La vérification de l'authenticité d'un meuble ancien est
quelque chose de très simple, même pour un profane. Il y a d'abord la ligne
générale et la signature, mais ce sont justement là choses secondaires, car un
style ne se limite pas à une époque, comme dans les livres, mais sa tradition
se continue aux périodes suivantes.
Les meilleurs indices sont donc fournis par l'examen de son
ossature :
Avant le XVe siècle, on ne connaissait pas d'autres
modes d'assemblages des bois que les joints vifs ou à grains d'orge. Il
ne peut donc y en avoir d'autres. Après le XVe siècle, paraît
l'assemblage en onglet.
Ainsi, tout meuble ancien ne saurait comporter de vis ou de
clous, et encore moins être collé.
Il ne peut y avoir que des mortaises ou des chevilles, et
elles restent apparentes.
Ces meubles ont des bois présentant toujours des
irrégularités de coupes, car, les machines étant inconnues, ils ont été coupés
à la main. Enfin, contrairement aux usages modernes, les intérieurs — et
surtout les tiroirs — sont aussi soignés, polis et poncés que les
extérieurs, et toujours chevillés.
Les lignes générales démontrent que l'on peut
artificiellement les grouper en dix périodes :
Au Moyen Âge, et surtout dans le Roman, il n'y a que
des socles unis ou à faibles striures.
Au Gothique, le socle s'évide légèrement et le pied
est faux, réduit à une simple colonne cannelée pour protéger les angles.
À la Renaissance, ce pied devient quelque peu
fonctionnel, et il comporte deux ventres avec une bague médiane.
Le Louis XIII est en forme de torsade.
Ces quatre catégories correspondent aux meubles de hautes
époques. Après viennent les Louis XIV, XV, XVI, Directoire, Empire et XIXe
siècle.
Le Moyen Âge réunit d'abord le roman, puis le gothique, mais
il est loin de les confondre. Le premier comporte des arcs de cercles et le
second est décoré d'ogives.
Mais le roman ne connaît que le coffre sur socle,
parfois recouvert de cuir et garni de clous de fer forgé. C'est le meuble à tout
faire : il sert de siège, d'armoire et de malle. Il est du reste rarissime
et n'existe que dans les musées.
Les formes précédentes n'ont cependant pas disparu avec
l'Empire romain, mais les Romains ne connaissaient que les sièges, et ceux-ci
étaient trop délicats pour les civilisations rudes des pays dont ils
effectuaient la conquête.
Les débuts du Moyen Âge sont représentés par des meubles
primitifs agrémentés de décors simplement taillés dans le bois pour le style
profane. Pour les destinations religieuses ou d'apparat, il y a des garnitures
de fer, et parfois des incrustations d'ivoire. Les rares bahuts ou armoires
remontant vers 1200 sont parfois peints, avec un fronton en plein cintre.
Au début de la période gothique, le meuble reste assez
semblable à celui de la période romane. Seule la décoration manifeste sa
volonté d'évolution. On se plaît à rapporter des éléments décoratifs de
l'architecture du bâtiment : tympans, ogives et autres.
Ensuite paraît une technique nouvelle : celle du bâti,
qui servira de base à l'évolution du meuble jusqu'aux temps actuels.
C'est alors sur une sorte de squelette que l'on va fixer des
panneaux qui pourront être très minces. C'est exactement ce que font les
bâtisseurs de cathédrales avec leurs vitraux magnifiques sur de puissants
contreforts tenant tout l'édifice. Le meuble en devient plus léger. On adopte
alors l'assemblage en embrèvement, ou queue d'aronde, connu des anciens.
En 1322 paraît à Augsbourg la première scierie, et elle va
donner un essor gigantesque au mobilier, car elle constitue l'élément majeur
facilitant le débitage en planches. Elle autorise également la création de
meubles nouveaux correspondants aux besoins des nouveaux progrès de la
civilisation.
C'est alors que les artisans se groupent en corporations et
celle du meuble va acquérir une place prépondérante. Mais ni dans les
intérieurs bourgeois, ni dans ceux de la noblesse, le luxe ne se manifestera :
on agrémente simplement de splendides et même fastueux tapis tissés ou en
fourrures.
La Renaissance verra naître des mobiliers aux destinations
nouvelles autorisant une vie moins fruste. L'évolution vers un certain confort
est due à François 1er, et elle s'épanouira avec Henri II.
La forme reste toutefois inspirée de l'architecture des
monuments, si la décoration s'émancipe et laisse paraître des chapiteaux,
colonnes et sculptures figurant souvent des personnages ou des animaux. Puis
paraîtront des ornements végétaux de tiges et feuilles d'acanthe encadrant des
médaillons à tête d'hommes ou de femmes, encerclés de godrons, torons,
denticules, perles et autres.
À la chaire médiévale ou à la cathèdre se substituent les
véritables sièges ou la chaise à bras, qui annonce le fauteuil.
On a beaucoup discuté sur l'influence de la Renaissance
italienne. À la suite des remarques pertinentes du grand médiéviste Franck Funck-Brentano,
on est actuellement d'accord pour déplorer que le style Renaissance ait balayé
totalement l'évolution médiévale, car elle aurait donné une civilisation
artistique particulière.
Or il faudra attendre quatre siècles pour retrouver dans
l'immense génie puissant de Viollet-le-Duc, au véritable atavisme totalement
français, une reprise de cette époque. L'effondrement de l'Empire en 1870
brisera cet essor, et ce n'est qu'actuellement, au milieu du XXe
siècle, que l'on assistera à un renouveau de ces efforts pour réagir avec une
énorme vigueur contre les élucubrations du genre mort-né du Modern-Style de
1900 et la nudité des vingt dernières années dans la décoration.
Toutes les tentatives de la première moitié du XXe
siècle ayant abouti à des échecs pour créer un style véritablement moderne et
surtout stable, c'est vers les mobiliers de hautes époques que les ensembliers
modernes se tournent, avec des succès fort divers, du reste.
Mais on ne peut nier que la tendance actuelle agit vers un
retour aux hautes époques ayant commencé par la Renaissance et remontant vers
le gothique, voire le roman.
Quelles en seront les conséquences ? Nul ne le sait,
car il faut tenir compte des progrès techniques et des difficultés d'adaptation
d'un style vieux de sept ou huit siècles à des besoins nouveaux.
Mais la tendance existe, et la preuve en réside dans ce
qu'il vient de se former un groupement national des amateurs amoureux des
meubles médiévaux, au moment même où vitrines de décorateurs, foires et
expositions abondent en meubles gothiques.
Un autre test est fourni par le fait que les réalisations de
mobiliers gothiques, construits au siècle dernier, et devenus sans preneur, ne
cessent de trouver des amateurs qui, eux, ne parviennent pas à trouver l'objet
de leurs recherches.
Alex ANDRIEU.
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